09
nov
2007
Espace Média L'Ifri dans les médias

Al Qaïda ou la méthode Wikipédia

Le 3 novembre, le Groupe islamique combattant de Libye (GICL) se ralliait à al-Qaida. Un an plus tôt, le Groupe salafiste de prédication et de combat (GSPC) algérien endossait lui aussi l’étiquette al-Qaida en devenant al-Qaida au Maghreb islamique.

Après la création, plus an-cienne, d’al-Qaida en Mésopotamie, la mouvance djihadiste poursuit donc son internationalisation. Mais al-Qaida n’est ni internationale ni une multinationale.

La métaphore de l’Internationale djihadiste est ici couramment utilisée, Internationale dont Oussama Ben Laden et sa garde rapprochée formeraient le bureau central. Quant aux branches régionales d’al-Qaida, elles entretiendraient avec lui des rapports similaires à ceux des différents partis communistes avec Moscou du temps du Komintern. Une autre image, moins centralisatrice, est aussi utilisée : al-Qaida serait une firme multinationale ouvrant des «franchises» de par le monde. À la tête de l’entreprise se trouveraient un patron, Oussama Ben Laden, et son adjoint, Ayman al-Zawahiri. Chaque filiale aurait elle-même un chef, prenant ses consignes générales auprès du siège, installé dans les zones tribales de la frontière pakistano-afghane.

Ces métaphores sont, d’un certain point de vue, rassurantes : al-Qaida ne s’écarterait pas des schémas de pensée familiers. Elles ne reflètent cependant qu’une réalité partielle. Abu Mus’ab al-Suri – vétéran des camps afghans, remarqué notamment pour son livre de plus de 1 500 pages souvent présenté comme «l’encyclopédie du djihad» – affirmait en 2000 : «Al-Qaida n’est pas une organisation, ce n’est pas un groupe et nous ne voulons pas que cela le devienne. C’est un appel, une référence, une méthodologie.»

L’appel semble avoir été entendu. La revendication du label al-Qaida par des groupes comme le GICL ou le GSPC en est une illustration. L’émergence de home grown terrorists («terroristes de chez nous »), à l’instar des kamikazes de Londres en 2005, en est une autre. Et si certains groupes locaux peuvent être considérés comme des filiales d’al-Qaida, tel n’est pas le cas des individus qui décident de passer à l’acte sans avoir jamais été en contact avec Oussama Ben Laden autrement que par l’intermédiaire de vidéos diffusées sporadiquement à la télévision, mais disponibles continuellement sur YouTube et MySpace.

Une virtualisation du djihad

La mondialisation d’al-Qaida va de pair avec une virtualisation du djihad. Le Web n’est pas pour les djihadistes un média classique, un simple outil de propagande, mais permet de récolter des fonds, de recruter de nouveaux sympathisants et d’échanger des conseils tactiques. Cette virtualisation a entraîné une décentralisation de la mouvance djihadiste. Les groupes djihadistes sont aujourd’hui plus diffus, avec des modes de décision plus horizontaux.

Ainsi, dans son fonctionnement, la mouvance djihadiste internationale paraît ressembler davantage au Web 2.0 – réseau de réseaux «collaboratif» dont les incarnations les plus connues sont Wikipédia, YouTube ou encore Facebook – qu’à une entreprise multinationale, toujours plus ou moins pyramidale. Oussama Ben Laden n’est probablement que le chef spirituel des terroristes arrêtés en Allemagne début septembre. Tout comme Jimmy Wales et Larry Sanger, nouveaux gourous de l’Internet, ne sont que les fondateurs de Wikipédia et ne commandent pas les dizaines d’internautes qui publient chaque jour des informations sur le site de l’encyclopédie numérique.

Evidemment, comme toutes les métaphores, celle du «wikiterrorisme» a ses limites, mais elle permet de mettre en avant la rapidité avec laquelle la mouvance djihadiste internationale s’adapte et innove. Si une structure en réseau rend une organisation particulièrement compliquée à appréhender et renforce donc ses capacités défensives, un fonctionnement en réseau est une source d’efficacité offensive. Les groupes djihadistes cumulent ces deux caractéristiques, ce qui les rend d’autant plus difficiles à combattre. Pour les institutions chargées de la lutte contre le terrorisme, l’alternative est simple : innover ou subir.