02
aoû
2023
Espace Média L'Ifri dans les médias
Le président du Nigeria, Elect Bola Ahmed Tinubu, aux côtés du gouverneur de l'Etat de Lagos, lors du rassemblement présidentiel APC à Lagos au Nigeria, en février 2023.
Benjamin AUGE, interviewé par Pierre Lepidi dans Le Monde.

Benjamin Augé : « La crédibilité de Bola Tinubu va dépendre de ce qu’il parviendra à faire au Niger »

À la tête de la Cedeao, le nouveau président nigérian va devoir « montrer qu’il sait être décisif sur les questions de défense malgré son manque d’expérience dans ce domaine », estime Benjamin Augé, chercheur associé au Centre Afrique subsaharienne de l'Ifri. 

Le Nigeria, dont le président Bola Tinubu dirige actuellement la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), est à la manœuvre pour faire plier les putschistes qui retiennent depuis mercredi 26 juillet le président nigérien, Mohamed Bazoum. Dimanche, les dirigeants de la sous-région ont fixé un ultimatum d’une semaine aux hommes d’Abdourahamane Tiani, ancien chef de la garde présidentielle et président du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), pour un « retour complet à l’ordre constitutionnel ». Jusqu’à vendredi, c’est à Abuja que les chefs d’état-major des pays de la Cedeao sont réunis afin de « travailler sur la stratégie militaire ».

Benjamin Augé, spécialiste du Nigeria et chercheur au sein de l’Institut français des relations internationales (IFRI), revient sur le rôle majeur que joue actuellement ce pays dans cette crise.

Le Nigeria apparaît en première ligne face aux putschistes du Niger. Pourquoi un tel engagement ?

Le Nigeria est la puissance politique et économique dominante en Afrique de l’Ouest. Il est frontalier du Niger et les deux pays ont une langue en partage, le haoussa, qui compte 80 millions de locuteurs dans le nord du Nigeria et au Niger. Son nouveau président, Bola Tinubu, est arrivé au pouvoir le 29 mai et, depuis moins d’un mois, il dirige la Cedeao. Le discours qu’il a prononcé lors de sa prise de fonction à la tête de l’organisation régionale a notamment porté sur la nécessaire fin des coups d’Etat dans la région.

Sa crédibilité, même d’un point de vue de politique intérieure – il subit une pression très forte depuis l’arrêt des subventions sur l’essence dans son pays en juin –, va dépendre de ce qu’il parviendra à faire après le coup d’Etat au Niger. Face aux putschistes, Bola Tinubu a tenu un discours très ferme et des sanctions économiques drastiques ont été mises place. Mais si la junte à Niamey ne vacille pas et qu’il renonce finalement à déclencher l’option militaire, cela lui laisse peu de portes de sortie.

Le sultan de Sokoto, un religieux influent au Nigeria et lui-même ancien militaire, fait partie de la délégation de la Cedeao, conduite par l’ex-président nigérian Abdulsalami Abubakar, qui doit se rendre à Niamey. Quel rôle peut-il jouer dans cette crise ?

Il est la première autorité religieuse sunnite au Nigeria, mais il n’est pas certain que son influence sur des militaires nigériens soit décisive. Il est davantage respecté que craint.Le chef des armées du Nigeria, le général Christopher Musa, a répété lundi que ses troupes se tenaient prêtes à intervenir. En ont-elles les moyens ?L’armée nigériane a notamment été déployée dans les années 1990 au Liberia et en Sierra Leone [via des mandats de la Cedeao], et plus récemment en Gambie. Mais la situation au Niger est très différente. Les inconnues sont multiples et les nombreux échecs du maintien de l’ordre sur le territoire national nigérian depuis vingt ans ne plaident pas en faveur d’une solidité à toute épreuve. On y déplore des violences, des vols de pétrole brut à échelle industrielle dans le delta du Niger, une explosion du banditisme dans le nord-ouest…

Par ailleurs, l’équipe aux affaires à Abuja vient d’être nommée et le gouvernement n’a pas encore été constitué. Ses futurs membres sont actuellement devant le Sénat pour validation et, par exemple, il n’y a pas encore de ministre de la défense. Seuls les chefs des armées ont été nommés, ainsi que le « national security adviser » [conseiller à la sécurité nationale]. Il s’agit de Nuhu Ribadu, premier patron du parquet financier du pays.

Il faut rappeler que Bola Tinubu n’est pas un militaire, contrairement à plusieurs de ses prédécesseurs depuis le retour à la démocratie, comme Olusegun Obasanjo [1999-2007] ou Muhammadu Buhari [2015-2023]. Il a intérêt à montrer qu’il sait être décisif sur les questions de défense malgré son manque d’expérience dans ce domaine.

Si la Cedeao et le Nigeria décident d’avoir recours à la force au terme de l’ultimatum, l’armée nigériane serait-elle prête à combattre l’armée nigérienne, qui compte comme elle de nombreux Haoussa dans ses rangs ?
La question n’est pas simple à trancher, mais elle en appelle une autre : est-ce que les Forces armées nigériennes (FAN) seront parfaitement soudées pour combattre les forces armées nigérianes ?

Au cours de son premier mandat, Emmanuel Macron s’était fortement rapproché du Nigeria, où il avait effectué un stage à l’ambassade de France d’Abuja en 2002. Peut-il maintenant espérer tirer profit de ce rapprochement ?
Une éventuelle décision d’intervention de l’armée nigériane sous mandat de la Cedeao et de l’Union africaine (UA) ne se fera pas, je pense, sans concertation avec les deux acteurs militaires qui comptent au Niger : les Etats-Unis et la France. Paris sait pertinemment qu’il ne peut pas apparaître directement en première ligne dans la résolution de cette crise. La France compte donc effectivement beaucoup sur le Nigeria, avec lequel le partenariat n’a jamais été aussi fort que depuis l’élection d’Emmanuel Macron.

Lire l'interview sur le site du Monde.

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