12
jan
2024
Espace Média L'Ifri dans les médias
Marc JULIENNE, interrogé par Benjamin Laurent pour Géo

"La Chine est le sujet n°1 de cette élection" : quels sont les enjeux de la campagne présidentielle à Taïwan ?

Quel peut être l'impact des élections taïwanaises sur le globe, alors que les tensions sino-américaines ont rarement été plus fortes ? GEO a interrogé Marc Julienne, chercheur de l'IFRI et spécialiste de l'île, pour décrypter un évènement majeur de 2024.

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L'élection présidentielle prévue à Taïwan le 13 janvier 2024 est cruciale non seulement pour l'avenir de l'île, mais aussi pour celui de toute la région.

Trois candidats espèrent l'emporter : le favori Lai Ching-te, du parti au pouvoir DPP, œuvre pour des liens plus forts avec l'Occident. Hou Yu-ih, du Kuomintang, met en avant un rapprochement avec la Chine, et Ko Wen-je du TPP, l'outsider qui est parvenu à chambouler le bipartisme taïwanais, tente de maintenir une position centrale entre les deux autres candidats.

Décryptage des enjeux de cette élection avec Marc Julienne, chercheur à l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI). Le spécialiste de Taïwan et de la Chine vient de rédiger un mémo sur la question paru sur le site de l'IFRI.

Quelle est la place du rapport à la Chine parmi d'autres sujets lors de ces élections ?

Il s'agit du sujet n° 1 pour l'élection présidentielle. Mais la question des relations inter-détroit a beaucoup d'influence sur tous les autres thèmes : le Kuomintang cherche par exemple un rapprochement avec Pékin et défend dans le même temps des relations économiques plus poussées avec la Chine continentale.

Les candidats peuvent-ils appliquer leur programme concernant la Chine en cas d'élection, ou risque-t-on plutôt d'assister à un maintien du statu quo ?

Lai Ching-te du DPP veut maintenir une continuité de la politique actuelle, son parti dirigeant l'île depuis 2016. Il est vu comme plus radical que Tsai Ing-wen, sans pour autant qu'on aille forcément vers une déclaration d'indépendance.

Le Kuomintang de Hou Yu-ih, lui, revendique le fait de pouvoir reprendre le dialogue grâce à ses liens avec Pékin. La position de ce parti, historiquement, est celle d'une unification, qui n'est plus soutenue par personne à Taïwan aujourd'hui.

Le Kuomintang a poursuivi le principe d'"une Chine avec plusieurs interprétations", développé par le consensus de 1992 (un ensemble de dialogues entre la Chine et Taïwan). Ce terme est controversé à Taïwan, mais la Chine de Xi Jinping s'est mise à l'associer au principe d'"un pays, deux systèmes", qui pour sa part est unanimement refusé par l'île. Le dialogue avec la Chine doit donc passer par la défense du consensus de 1992 – ce qui devient difficile, d'autant que le fait que Hou Yu-ih veuille dialoguer ne veut pas dire que Pékin le désire aussi.

Ko Wen-je, enfin, affirme aussi vouloir des relations apaisées avec la Chine mais tient des positions contradictoires, entre un dialogue avec Pékin et un renforcement de la position taïwanaise dans le monde.

Du côté américain, est-ce que la victoire d'un candidat apprécié par Pékin ne serait pas finalement une bonne chose pour diminuer les tensions ?

Pour les États-Unis, un gouvernement pro-indépendance ne doit pas aller trop loin dans les revendications de l'indépendance, et un gouvernement pro-rapprochement avec Pékin ne doit pas trop se lier au continent. Le principal problème pour Washington serait cependant que Taïwan devienne trop dépendant et vulnérable vis-à-vis de la Chine suite à un rapprochement. Mais il faut aussi noter qu'il n'y a aucun parti anti-américain à Taïwan : tout le monde reconnaît que la relation avec les États-Unis est indispensable, d'autant que Taïpei dépend fortement des Américains dans le domaine de l'armement.

Pour la Chine, l'élection d'un candidat indépendantiste ne serait-elle pas l'occasion de continuer à mobiliser l'opinion publique sur la question taïwanaise plutôt que sur l'économie en berne ou la situation politique ?

Le Kuomintang apparaît pour l'instant comme le candidat favori de Pékin, et Ko Wen-je du TPP paraît malléable, mais un gouvernement DPP offre à Pékin un prétexte pour continuer à entraîner son armée avec des exercices navals et aériens autour de Taïwan. L'île reste une aubaine pour ces entraînements, avec des missions autour de l'île qui placent les soldats chinois en situation quasiment réelle. Pékin réduirait-il ses exercices en cas de victoire du Kuomintang ? Ce n'est pas certain.

D'un autre côté, depuis le début du deuxième mandat de Tsai Ing-wen, qui appartient au DPP, la politique internationale taïwanaise est une franche réussite, avec le développement de liens à l'étranger. Cette situation ne sert pas Pékin, il y a donc plusieurs interprétations possibles sur quel candidat serait en réalité le plus utile pour la Chine.

Le résultat de l'élection peut-il influencer la Chine dans son projet éventuel d'invasion ?

En dépit de ce qu'on entend sur Lai Ching-te, qui serait la bête noire de Pékin, il reste du même parti que Tsai Ing-wen : il n'y aura pas de changement politique majeur. Et une victoire du Kuomintang ou du TPP ne signifierait pas pour autant que le projet d'une invasion devrait être abandonné : l'élection ne devrait donc pas jouer de rôle direct pour déclencher ou abandonner une offensive.

Pour la Chine, on a surtout l'impression d'une fenêtre d'opportunité qui se referme : Pékin est de plus en plus puissant, mais les pays de la région s'organisent et renforcent leurs alliances. Une attaque pourrait donc survenir au tournant de la décennie plutôt que dans 20 ou 30 ans.

>> Retrouver l'entretien en intégralité sur le site de Géo

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