20
mar
2018
Espace Média L'Ifri dans les médias
Alice EKMAN, interviewée par Charles Haquet pour L'Express

La Chine veut exporter son mode de gouvernance

La Chine entend étendre son influence, en questionnant notamment l'efficacité des démocraties libérales. Alice Ekman, responsable des activités Chine à l'Institut français des relations internationales (Ifri), et auteur de La Chine dans le monde (ouvrage collectif, éditions CNRS), décrypte les ambitions planétaires de Pékin. 

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Dans son premier discours depuis qu'il a obtenu le droit de se maintenir au pouvoir à vie, le président chinois Xi Jinping a évoqué, ce mardi, les "batailles sanglantes" livrées par la Chine pour tenir son rang parmi les nations. A l'occasion de la clôture de la session plénière annuelle de l'Assemblée nationale populaire, il a aussi adressé une mise en garde à Taïwan, l'île revendiquée par Pékin depuis 1949.

L'Express : Depuis le 11 mars, Xi Jinping peut, s'il le souhaite, rester "président à vie". Que veut vraiment le "Nouveau Timonier"? 

Cet amendement, entériné par le Parlement chinois, confirme l'intention de Xi Jinping d'inscrire son action sur un temps long. Lors du 19e Congrès du parti, en octobre dernier, le dirigeant chinois avait réaffirmé une échéance: "le renouveau de la nation chinoise", c'est-à-dire une Chine développée, et reconnue, d'ici à 2050, sur le plan international dans de nombreux domaines (économique, technologique, diplomatique, militaire). Parmi la vingtaine d'amendements adoptés le 11 mars, il y en a un autre, moins remarqué, qui est pourtant aussi significatif que celui sur le mandat présidentiel : l'inscription, dans la Constitution, du " rôle dirigeant du Parti communiste chinois (PCC)". Celui-ci sera désormais prééminent dans tous les domaines d'activité et dans toutes les régions du pays, comme l'ont précisé les médias officiels. En clair, le PCC consolide son pouvoir dans toutes les institutions publiques, mais aussi dans les entreprises privées, où les " cellules du parti " jouent un rôle de plus en plus important. Ce 11 mars, les députés chinois ont également plébiscité l'inscription de la "pensée de Xi Jinping" dans la Constitution. Il ne s'agit pas d'une simple coloration politique. Depuis son arrivée au pouvoir, Xi a renforcé l'apprentissage du marxisme-léninisme dans les universités du pays. Ce recadrage idéologique a de fortes implications sur le plan intérieur, mais il dessine aussi les orientations de la politique étrangère chinoise. Son principe : promouvoir une voix alternative, qui s'adresse à tous les pays qui seraient disposés à construire à ses côtés un nouvel ordre post-occidental et post-démocratique. Le PCC ne veut plus seulement résister aux "forces occidentales hostiles", il compte désormais contre-attaquer et promouvoir un mode de développement et de gouvernance alternatif. 

De quelle manière? 

La Chine développe une diplomatie offensive, qui consiste à prendre en permanence l'initiative. La Chine souhaite notamment piloter la réforme de la gouvernance mondiale. Elle considère que la plupart des organisations internationales ne représentent pas suffisamment les intérêts du pays. Pour parvenir à ses fins, la diplomatie chinoise agit de trois manières. Elle s'efforce d'abord de renforcer l'intégration de la Chine dans des organisations existantes, d'où l'activité de ses représentants à l'ONU. Elle s'emploie aussi à réactiver des organisations jusqu'à présent inutiles, en prenant par exemple la présidence de la CICA (Conférence pour l'interaction et les mesures de confiance en Asie). Enfin, elle crée de nouvelles institutions, comme la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures. 

Depuis son discours à Davos, en janvier 2017, Xi Jinping se présente comme le garant d'une certaine forme de multilatéralisme et de mondialisation, jouant sur le contraste avec les Etats-Unis de Donald Trump. Pékin organise depuis plus de 5 ans un nombre croissant de forums et de sommets internationaux,et multiplient les rencontres avec une diversité d'acteurs étrangers (représentants de gouvernement, d'entreprises, de partis politiques). C'est une offensive tous azimuts. 

En matière de "soft power" également? 

Oui. L'un des objectifs de Xi Jinping consiste à mieux "faire entendre la voix de la Chine", via la promotion de certains concepts officiels: "rêve chinois", communauté de destin commun, nouvelles routes de la soie... La promotion de la voix de la Chine se fait également au travers de son réseau de think tanks et de médias en langue étrangère (China Daily, agence Xinhua, CGTN). Outre le matraquage de concepts officiels, ces canaux de communication pointent ouvertement ce qu'ils considèrent comme les faiblesses des démocraties libérales. Ils critiquent notamment leur manque d'efficacité et la lenteur avec laquelle elles répondent aux crises internationales. La Chine organise aussi des programmes de formation à destination des fonctionnaires et ingénieurs étrangers, en premier lieu des pays en voie de développement. Un moyen de familiariser ces acteurs aux positions chinoises. Le PCC est également en train de développer un "nouveau type de relation avec les partis politiques". Il part du principe que ces relations institutionnelles sont utiles pour la promotion des intérêts chinois.Dans cette perspective, Xi Jinping invitera 15 000 représentants politiques étrangers de tous bords dans les 5 prochaines années. Pékin suit d'ailleurs de plus en plus près les évolutions politiques de certains pays, considérés comme stratégiques. A peine élu, le président philippin, Rodrigo Duterte, réputé plus favorable aux Chinois que son prédécesseur, s'est vu inviter à Pékin. Et Xi Jinping a levé plusieurs sanctions économiques prises vis-à-vis de Manille, sur fond de tensions en mer de Chine. 

Les Chinois cherchent-ils à imposer leur modèle à l'étranger? 

Les officiels chinois ne parlent pas de "modèle", car ils estiment que l'utilisation de ce mot pourrait susciter des résistances. Ils essaient plutôt de promouvoir une "solution chinoise" en matière de développement et de gouvernance: "Vous avez besoin de conseils pour lancer des réformes? Vous avez des problèmes d'infrastructure? La Chine est à votre disposition pour vous aider!" Les Chinois tiennent en substance ce discours dans un nombre croissant de pays en voie de développement, mais aussi dans certains pays d'Europe centrale et orientale, et en Grèce. 

Pragmatisme avant tout... 

Le gouvernement chinois considère que la stabilité politique est un prérequis au développement économique et au maintien de la croissance. Il plaide donc pour un Etat fort et centralisé, capable d'anticiper et d'éviter les instabilités sociales et politiques.Aujourd'hui, Pékin plaide pour une nouvelle "gestion de la société", soutenue par les nouvelles technologies. De fait, le Parti a fortement investi ces dernières années dans la gestion des données. Il dispose d'outils d'analyse de données pointus, qui lui permettent d'effectuer des cartographies très fines des zones de contestation potentielles. Pour le PCC, ces nouvelles technologies sont un outil à double tranchant: il comporte des risques, mais ils peuvent également aider le Parti à se maintenir au pouvoir. Le gouvernement chinois compte désormais exporter cette " expertise " à l'étranger. Les clients ne manquent pas. 

Cette politique étrangère offensive menace-t-elle la suprématie américaine en Asie-Pacifique? 

Pékin veut remettre en cause les alliances nouées par les Américains avec de nombreux pays d'Asie; il supporte de plus en plus mal les exercices militaires conjoints et les activités de surveillance américaines dans la région. A long terme, les Chinois espèrent chambouler cette stratégie d'alliance. Ils ont annoncé, il y a deux ans, qu'ils allaient développer une nouvelle "architecture de sécurité". Le principe: tisser avec les acteurs locaux des partenariats, plus flexibles et informels que l'actuel système d'alliance. Pékin multiplie donc les réunions multilatérales et les rencontres informelles avec des acteurs régionaux. L'objectif est de proposer un nouveau schéma d'organisation régionale, plus favorable à ses intérêts.

Alice EKman est responsable des activités Chine à l'Ifri.
 

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Mots-clés
Diplomatie politique internationale Chine