14
oct
2016
Espace Média L'Ifri dans les médias
Alice EKMAN, citée par Cyrille Pluyette, dans Le Figaro

Les effets pervers de la lutte anticorruption en Chine

Plus le pouvoir de Xi Jinping dénonce la fraude des élites locales, plus les citoyens, selon une étude, suspectent des manœuvres de Pékin. Lancé depuis son accession au pouvoir, il y a près de quatre ans, dans une vaste et très médiatique campagne anticorruption, le président chinois, Xi Jinping, peine à en recueillir les fruits.

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Pire, alors que cette lutte, officiellement destinée à éradiquer les abus de pouvoir à tous les échelons, visait aussi, selon les experts, à redorer le blason d'un Parti communiste dont il est aussi le chef, elle se retournerait en réalité contre le régime.

Plus les cas de corruption sont dénoncés dans une préfecture, plus les habitants de la région perçoivent Pékin comme davantage corrompu que leur gouvernement local, affirme une enquête réalisée par l'Université Sun Yat-sen de Canton, et publiée dans le dernier journal de l'administration publique chinoise.

Ce sentiment serait lié à la centralisation croissante du régime, analysent les auteurs, Ni Xing et Li Zhen, qui ont interrogé 83.300 personnes. Dans ce contexte, «lorsque le gouvernement local est submergé par la corruption, les gens se mettent progressivement à en attribuer la responsabilité au pouvoir central», incapable, selon eux, d'empêcher ces dérives. Seuls environ un quart des sondés considèrent que le gouvernement central est moins corrompu que celui de leur province.

Xi Jinping joue gros sur ce sujet. La corruption est le «plus grand danger» auquel est confronté le Parti communiste, a martelé le dirigeant chinois le plus autoritaire depuis Mao en juillet dernier, prônant une «tolérance zéro».

«Au moins 80 % des cadres du parti sont corrompus, ce qui paraît inévitable, tant leur pouvoir est absolu et opaque.» L'historien indépendant Zhang Lifan

Depuis, les condamnations spectaculaires se multiplient. Le mois dernier, 45 parlementaires ont été expulsés du Parlement pour avoir acheté des voix dans leur province d'origine, le Liaoning. Un ancien haut gradé de la province du Yunnan vient, lui, d'être condamné à mort - une peine souvent commuée en prison à vie - pour avoir touché des millions en pots-de-vin.

Certains observateurs doutent toutefois de la réelle détermination du pouvoir. Ce combat «sélectif» permettrait surtout, selon eux, à Xi Jinping d'écarter ses rivaux. Moins de 36.000 cadres du parti ont été expulsés et poursuivis devant les tribunaux en trois ans, sur quelque 7,4 millions, calcule le Financial Times. Reste qu'éradiquer le problème provoquerait un séisme. «Au moins 80 % des cadres du parti sont corrompus, ce qui paraît inévitable, tant leur pouvoir est absolu et opaque», souligne l'historien indépendant Zhang Lifan.

L'enjeu politique est pourtant crucial: les Chinois placent la corruption en tête de leurs préoccupations, devant les inégalités sociales ou les scandales alimentaires. Près d'un citoyen sur deux considère que c'est un «très grand problème», selon la dernière étude du Pew Research Center.

Autre effet contre-productif: au lieu de rendre plus réactive la chaîne de commandement, cette campagne a paralysé le pays. Craignant d'être dénoncés, de nombreux cadres du parti, de l'armée, des ministères ou des entreprises d'État «préfèrent éviter de prendre des initiatives», souligne Alice Ekman. Cela contribue, poursuit le responsable de la Chine à l'Ifri, à «maintenir une forme d'immobilisme» qui freine les réformes économiques. 

 

Article paru dans Le Figaro

Mots-clés
Corruption Xi Jinping Asie Chine