02
fév
2021
Espace Média L'Ifri dans les médias
Hans STARK, interrogé par Angela Decker dans De Groene Amsterdammer (article paru en néerlandais)

Si la France et l'Allemagne ne sont pas d'accord, il ne peut y avoir d'unité en Europe

Dans un monde de près de neuf milliards d'habitants, seule 5,6% de la population mondiale vit dans l'Union européenne (UE). Et au sein de l'UE, les chiffres de la France et de l'Allemagne sont également peu élevés. Mais sans unanimité entre ces deux pays, il n'y a pas d'unité en Europe.

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Le choix rassurant de la CDU (Union chrétienne démocrate)", titre l'éditorial qui suit l'élection, le 16 janvier dernier, d'Armin Laschet (59 ans) pour succéder à la présidente du parti, Angela Merkel. On ne sait pas encore si les démocrates-chrétiens conservateurs éliront M. Laschet comme candidat à la chancellerie à la fin du mois de mars, mais la France est satisfaite de l'homme de la "connexion" qui poursuivra la ligne Merkel, selon les commentaires de la presse française. L'actuel Premier ministre de Rhénanie du Nord-Westphalie, originaire d'Aix-la-Chapelle en Rhénanie, au cœur de la région frontalière franco-allemande, est politiquement expérimenté et francophile. Depuis 2019, il est responsable des relations culturelles franco-allemandes et a été chaleureusement accueilli à l'Elysée l'année dernière. L'Européen passionné et ancien député européen a soutenu la politique d'accueil des réfugiés de Merkel en 2015, mais a ouvertement exprimé sa déception lorsque sa chancelière a d'abord été dédaigneuse du plan d'Emmanuel Macron pour relancer l'économie européenne avec le fonds de relance de la couronne pendant la pandémie de coronavirus.
 
  • Le politologue Hans Stark, professeur d'histoire contemporaine à la Sorbonne et conseiller pour les relations franco-allemandes à l'Institut français des relations internationales (IFRI), partage les critiques de M. Laschet à l'égard de Mme Merkel : "Le protectionnisme n'était pas une option après le déclenchement de l'épidémie de coronavirsu en Italie, pas plus que le désaccord antérieur sur la crise de la dette grecque ou la question des migrations. Beaucoup de gens auraient perdu confiance en l'Europe. L'unité européenne était également nécessaire en vue du Brexit".
  • Hans Stark (59 ans) a quitté sa ville natale de Krefeld en 1980 pour étudier les sciences politiques à Paris. Il se souvient du revirement d'Angela Merkel : "La réduction du déficit budgétaire conformément aux critères de Maastricht dans un certain nombre de pays d'Europe du Nord a été un facteur positif. En revanche, la dette de certains États membres du sud de l'UE, dont la France, qui représente 100 % du PIB, a menacé de devenir incontrôlable à cause de la COVID-19, avec des conséquences incalculables pour le fonctionnement du marché unique européen. La France, un pays qui exporte autant que l'Allemagne, est absolument indispensable".

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  • Le traité d'amitié entre le président français Charles de Gaulle et le chancelier Konrad Adenauer, outre la nécessité d'une coopération en matière de politique étrangère, était principalement basé sur la réconciliation, explique M. Stark. Les deux pays ont fait la guerre trois fois en soixante-dix ans.

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  • L'esprit d'amitié du traité de l'Élysée de 1963 a toujours besoin d'être maintenu, note Hans Stark. Lors de la crise de la dette grecque en 2015, les vieux stéréotypes ont rapidement fait surface. Les Français pensaient que les Allemands et leurs diktats étaient cruels et durs, ils n'ont pas fait preuve de solidarité. Du côté allemand, les gens pensaient que les Français prenaient la dette nationale et le déficit budgétaire trop à la légère". Hans Stark pense que la réconciliation se fait aussi à un niveau qui transcende la relation franco-allemande. L'Europe n'est plus seulement un projet de zone de libre-échange, mais un projet politique : maintenir la paix dans un monde où les conflits se multiplient.
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  • Après deux ans, le traité d'Aix-la-Chapelle connaît toujours des problèmes de démarrage, soupire Hans Stark. Les questions intérieures exigent toute l'attention des deux chefs de gouvernement. Le président Macron doit faire face au terrorisme et à une large protestation de la société, y compris plus tôt les chemises jaunes. En Allemagne, Merkel a dû faire face à des protestations anti-covid qui ont même conduit à une prise d'assaut infructueuse du Reichstag et, après que son futur successeur Annegret Kramp-Karrenbauer se soit avéré ne pas avoir l'autorité nécessaire pour la présidence éventuelle de la CDU, elle a dû chercher un nouveau leader pour les démocrates-chrétiens".
 
  • Le duo Merkel et Macron se caractérise par une forte volonté de coopération, y compris au niveau européen, mais ils ont des personnalités différentes, affirme Hans Stark. Angela Merkel est réfléchie et ne donne son accord que lorsqu'elle est sûre de son cas. Emmanuel Macron a vingt ans de moins, il improvise et réagit généralement rapidement. Son respect pour Merkel prévaut, mais il est frustré par la lenteur de sa réaction à ses propositions d'intégration européenne. Angela Merkel s'est réjouie du libéral et pro-européen Macron après une victoire menacée de la populiste Marine Le Pen, mais elle est plus pragmatique, principalement préoccupée par les problèmes actuels, en veillant à ce que la Pologne et la Hongrie respectent l'État de droit pour pouvoir bénéficier du fonds de relance, tandis que Macron aime penser en termes de perspectives et imaginer l'Europe en 2030, 2040".

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  • Le traité d'Aix-la-Chapelle appelle à une plus grande unité entre la France, l'Allemagne et les autres pays de l'UE, affirme Hans Stark. En même temps, les gens valorisent leurs propres traditions, leur langue, leur culture et leur identité ; on ne peut pas transformer un Italien en Norvégien ou en Suédois. Mais nous disposons d'un cadre de règles auxquelles vous pouvez vous référer, et elles s'appliquent à tous les pays européens. Nous sommes d'accord sur l'économie et le climat, nous respectons l'État de droit, nous luttons contre le populisme et en faveur de la démocratie et du multilatéralisme. Même si nous sommes en mode de crise permanente, la France et l'Allemagne trouvent ici beaucoup de points communs. C'est donc ainsi que nous devons faire avancer l'Europe. Nous ne pouvons plus fonctionner seuls en tant qu'État-nation. Dans un monde de près de neuf milliards d'habitants, l'UE ne compte pas plus de 450 millions de personnes, soit 5,6 % de la population mondiale. Une population de soixante millions d'habitants en France et de quatre-vingt-trois millions en Allemagne n'est pas un problème majeur.
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>> Lire l'article original paru en néerlandais sur le site de De Groene Amsterdammer : « Als Frankrijk en Duitsland het niet eens zijn, kan er geen eenheid zijn in Europa » <<
 
 
 
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