03
mar
2024
Espace Média L'Ifri dans les médias
Hans STARK, interviewé par Jelena Tomic sur RFI

Fuite d'échanges confidentiels allemands sur l'Ukraine : « Olaf Scholz est sous pression »

Des échanges confidentiels entre plusieurs officiers allemands sur des livraisons d'armes à l'Ukraine, ont fuité sur les réseaux sociaux en Russie. Le contenu des échanges concerne l'hypothèse de la livraison à Kiev de missiles allemands de longue portée Taurus et de frappes visant le pont de Crimée.

rfi_logo_2013.svg_.png

Cette fuite, très embarrassante pour Berlin, pourrait avoir des répercussions géopolitiques considérables. 

Entretien avec Hans Stark, professeur de civilisation allemande à Sorbonne université et conseiller pour les relations franco-allemandes à l'Institut français des relations internationales.

 

RFI : L'affaire a été qualifiée de très grave par le chancelier Olaf Scholz, qui a promis une enquête minutieuse, rapide et approfondie. Illustre-t-elle de l'imprudence pour Berlin ?

Hans Stark : Cet échange en visio a été réalisé sur une plateforme non sécurisée, paraît-il, ou non suffisamment sécurisé. Donc il ne s'agit pas d'une fuite. Il s'agit tout simplement d'une plateforme qui a été utilisée et qui est visiblement malléable. En tout cas, on pouvait y avoir accès sans passer par des hackers. Par conséquent, une imprudence a été commise. Celle-ci pourrait éventuellement montrer qu'au niveau des cyberattaques et des politiques d'influence via les réseaux, les ministères allemands ne prennent pas encore toutes les précautions requises. Voilà les critiques qui vont être faites. Visiblement, toutes les précautions prises n'ont pas été suffisantes. C'est assez embarrassant en réalité. 

Quels sont les enjeux autour des livraisons de ces missiles ? 

C'est par le pont de Crimée que parviennent les soldats russes, les approvisionnements en munitions, en artillerie et toute la logistique pour la guerre. Donc c'est essentiel. En plus, c'est un objet de prestige pour Poutine. C'est son pont. Enfin, c'est absolument stratégique pour le contrôle de la Crimée. Sans le pont de Kertch, la Crimée pourrait tomber. Donc, pour toutes ces raisons-là, Scholz ne veut pas engager des Taurus en Ukraine. Et puis, un dernier argument qui est également mis en avant, mais qui n'est pas partagé par Paris, est que pour la programmation de ciblage des Taurus, il faut absolument du personnel allemand qualifié. Le ciblage ne va pas être fait par les Ukrainiens et le ciblage ne va pas être fait non plus en Allemagne pour les Taurus qui seraient stationnés en Ukraine. Si on traduit, cela voudrait dire qu’il faut des troupes au sol en Ukraine pour programmer des Taurus, à des fins de frappe contre le pont de Kertch, ou autre chose. Et là, on est de nouveau dans la discussion. Faut-il oui ou non déployer des troupes au sol ? Certes, ce n'est pas pour combattre directement en première ligne, mais c'est quand même pour mettre en place un dispositif militaire qui serait utilisé sur le front.

Cette affaire pourrait-elle avoir des répercussions géopolitiques considérables ?

Olaf Scholz est sous pression à l'international dans la question de la livraison de Taurus. C'est pour lui un terrible dilemme. S'il ne livre pas les Taurus, il peut être rendu responsable de la percée, à travers le front des forces russes. Et s'il les livre, il va mettre totalement à mal la relation germano-russe. D'ailleurs, en Russie des articles circulent et disent qu'il faut dénoncer le traité de Moscou de 1990 qui est un traité d'unification. Dans ce traité, l'Allemagne s'engage à ne pas mener des politiques d’agression vis-à-vis de la Russie. Du point de vue de Moscou, l'Allemagne agresse la Russie via cette affaire. Donc, c'est un fait : les Taurus ont des répercussions géopolitiques, militaires, diplomatiques absolument considérables. Mais aussi sur le plan intérieur.

 

 

Mots-clés
guerre en Ukraine livraison d'armement Olaf Scholz Allemagne Russie Ukraine