12
nov
2018
Espace Média L'Ifri dans les médias

L'allié américain, plus incertain mais toujours engagé en Europe

En dépit des doutes instillés chez les Européens par Donald Trump, les États-Unis restent présents sur le Vieux Continent pour des raisons stratégiques et commerciales.

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DES MESSAGES s'entrechoquent. D'une part, l'hommage de Donald Trump, dimanche, aux 116 000 « Sammies » tombés en France lors de la Grande Guerre (dont 53 000 au combat). II avait été critiqué pour avoir annulé, la veille, sa visite sur le site de la bataille du Bois Belleau, en raison du mauvais temps... Et, d'autre part, l'écho des saillies du même president
tançant ses allies européens et menaçant par un tweet explosif de pétarder la solennité des commémorations du centenaire. Un Donald Trump qui continue d'instiller le doute sur l'éventualité que les Etats-Unis puissent revenir à la rescousse du Vieux Continent, en cas de péril majeur, comme ce fut le cas il y a cent ans et, à nouveau, un quart de siècle plus tard.

Le 11 novembre 1918, 2 millions de soldats américains campaient en France. Aux Etats-Unis, 2 autres millions de soldats se préparaient dans des camps d'entraînement, prêts à débarquer. L'Amérique fournissait des hommes et des matières premières, la France fabriquait des armes. «L'armistice survint sans qu'eussent figuré, sur les champs de bataille, un seul canon, un seul avion, un seul tank fabriqué en Amérique », rappelle Charles de Gaulle, dans ses Mémoires de guerre. L'engagement américain sur le sol européen marque un tournant historique dont la portée, symbolique, stratégique, économique, reste patente. Avant 1917, les forces américaines n'avaient été engagées que dans des expéditions plus limitées, à Cuba, Haïti ou aux Philippines. Un siècle plus tard - dans un contexte certes très différent - l'on est en droit de s'interroger: les Etats-Unis, première puissance mondiale, demeurent ils, in fine, les garants de la sécurité de l'Europe ? Renverraient-ils des troupes si leurs vieux alliés sonnaient à nouveau le tocsin ? « Oui », répond John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, interrogé à Paris par Le Figaro et quelques médias, avant les commémorations du 11 Novembre.

Le vieux clivage

« Notre détermination à protéger nos intérêts et la liberté à travers le monde n'est pas remise en question », affirme l'ex-homme lige de George W. Bush. Néanmoins, poursuit-il, «beaucoup dépend de ce que les Européens eux-mêmes pensent être de leur intérêt. La force d'une alliance dépend de la volonté de tous ses membres». Allusion à l'exigence de Washington que les Européens prennent davantage part au « fardeau » de leur sécurité. Une antienne reprise, samedi, dans le tweet « insulté » de Trump, enjoignant aux alliés européens d'accroître leurs budgets de defense.

Le vieux clivage entre isolationnisme et idéalisme wilsomen perdure même si les avatars de cette grille de compréhension sont complexes à déchiffrer. « C'est la première fois que l'on a le président d'un côté et l'Administration de l'autre, et il est difficile de savoir quelle tendance va prévaloir», souligne Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l'Institut international de recherches stratégiques (Iris). En remplaçant, au début de l'année, certains conseillers par des personnalités plus proches de sa ligne idéologique - John Bolton ou Mike Pompeo, venant de la CIA, au département d'Etat - Donald Trump a repris la main en donnant une inflexion plus « interventionniste ». Au Pentagone, en revanche, Jim Mattis est considéré comme plus en retrait sur les options extérieures. « La situation est contrastée, avec une tendance au repli mais qui n'est pas complet », estime Jean-Pierre Maulny. « Il n'y a jamais eu d'isolationnisme de notre part », n'hésite pas à affirmer John Bolton. « Cela a pu être la perception en Europe parce que nous n'étions alors pas tournés vers l'Atlantiquee mais occupés à construire un pays en nous orientant vers l'Ouest», explique-t-il. «Lorsqu'on est une puissance globale, ce que nous étions déjà à l'époque de la Première Guerre mondiale même si nous ne l'avions pas compris à l'époque, on a forcément des intérêts globaux», juge M Bolton.

Une certaine continuité

A cet égard, Donald Trump s'inscrit dans une certaine continuité. Sous Barack Obama, déjà, la tendance était à la réduction de la présence militaire américaine en Europe, eu égard notamment, au prisme grandissant de l'Asie-Pacifique et à l'affaiblissement relatif de la Russie. La donne change à partir de 2014, avec la résurgence de la puissance militaire russe et la relégitimation de la mission de défense collective de l'Otan.

  • « C'est pour la protection face aux menaces majeures que la dépendance militaire des Européens à l'égard des Etats-Unis est la plus grande et nombre de pays ont soutenu un accroissement de la présence américaine en guise de réassurance, ce qui a été initié à la fin du deuxième mandat d'Obama», explique Corentin Brustlein, directeur du Centre des études de sécurité à l'Ifri.

Parallèlement à une réelle proximité opérationnelle - tels les échanges de renseignements, au Sahel notamment -, des visées stratégiques et commerciales assez classiques perdurent elles aussi. C'est notamment l'idée selon laquelle « l'Otan est un instrument de contrôle des Européens à qui l'on dit: faites en davantage et achetez américain », dit Jean-Pierre Maulny. L'injonction constitue le « sous texte » du tweet de Donald Trump. Emmanuel Macron, lui, y fait explicitement référence, dimanche, dans son interview à CNN: « Je ne veux pas voir les pays européens augmenter le budget de la défense pour acheter des armes américaines ou autres, ou des matériels issus de votre industrie », affirme en anglais le chef de l'Etat.

  • Davantage qu'un désengagement américain, non avéré à ce stade, prévaut plutôt chez les Européens la crainte de voir Trump prendre des décisions « structurantes » en matière de sécurité sans les consulter, explique Corentin Brustlein, en citant la sortie de l'accord avec l'Iran ou du traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI). Pour le chercheur de l'Ifri, « il n'y a pas aujourd'hui de raison de douter de l'engagement de Washington à défendre l'Europe dans l'hypothèse improbable d'une agression russe », relève Corentin Brustlein. « Les inquiétudes seraient plus fondées pour des scénarios opposant les Européens à des menaces moins écrasantes mais plus probables, d'où la nécessité de renforcer leur capacité à y faire face de manière autonome» estime-t-il.

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