15
nov
2016
Espace Média L'Ifri dans les médias
Thomas GOMART, interviewé par Yves Bourdillon pour LES ECHOS

« L’élection de Trump est une heureuse surprise mais représente aussi une incertitude » aux yeux de Poutine

Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des relations internationales, décrypte les jeux de pouvoir qui lient le président élu des Etats-Unis au président russe.
 
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Quels sont les objectifs de Donald Trump vis-à-vis du Kremlin et réciproquement ?

On peut commencer à discerner ce que veut faire Trump. Il dispose d'une réelle marge de manoeuvre vis-a-vis de la Russie, mais elle est réduite vis-a-vis de la Chine : la relation Washington-Moscou doit s'apprécier à l'aune de la relation Washington-Pékin. Du côté du Kremlin, on s'était préparé à l'élection de Hillary Clinton, et à la confrontation. L' élection de Trump est donc une heureuse surprise , mais qui représente aussi une incertitude au vu de la personnalité de Trump et de son entourage. Les Etats-Unis constituent aux yeux des élites russes la source principale d'instabilité mondiale, face à laquelle n'existeraient finalement que deux grands pôles de stabilité : la Chine et la Russie. S'ouvre donc pour la Russie une opportunité même si le Kremlin sait que le système américain n'offre pas toute latitude à Trump, aussi bien disposé soit-il envers Moscou.

Par ailleurs, une large frange des Républicains demeure hostile à Moscou. Trump payerait comptant le moindre faux pas. Le premier test pour Moscou sera le dossier des sanctions liées à l'Ukraine, ce qui pourrait diviser les Républicains au Congrès, mais aussi les Européens. A la suite de l'ingérence russe dans la présidentielle, on peut s'attendre à un retour de baton américain, dans la perspective de l'élection russe de 2018. La rivalité russo-américaine, mais aussi sino-russo-américaine, s'observe désormais dans le cyberespace. La Russie accorde la plus grande attention à la sécurité informationnelle, comme l'illustre la possible interdiction de LinkedIn. Aujourd'hui, son système nerveux informationnel semble moins vulnérable que celui des Etats-Unis, qui préconisent l'ouverture.
 

Peut-on dire, au vu de ses déclarations quasi angéliques concernant Vladimir Poutine, que Donald Trump se comporte en « idiot utile » du Kremlin, pour reprendre une expression empruntée à Lénine de Madelaine Albright, l'ancienne secrétaire d'Etat de Bill Clinton ?

L'expression est provocatrice, mais personne, peut être pas même le futur président américain, ne sait précisément l'ampleur des concessions que Trump est prêt à faire à Poutine et ce qu'il veut en échange. Pour le Kremlin l'élection de Trump est surtout la démonstration par l'absurde des limites de la démocratie représentative, puisqu'elle a permis à un outsider sans aucune expérience politique d'accéder au pouvoir.

En outre, Trump semble psychologiquement très sensible au concept de deal, d'homme à homme, qu'il a pratiqué durant sa carrière immobilière, c'est une approche flatteuse pour lui et un angle d'attaque, certainement repéré par le Kremlin. Pour ce dernier, l'objectif serait de parvenir à un accord général pour reconsidérer la fin de la guerre froide. L'objectif de Poutine est de faire admettre par les Occidentaux qu'ils ne sont pas les vainqueurs de la guerre froide.
 

Les conceptions de Trump sont-elles dangereuses pour l'Otan et pour les Européens ?

Sa fameuse déclaration selon laquelle la solidarité militaire ne jouerait que sous certaines conditions a deux aspects ; le premier signifie aux Européens que leur sécurité ne sera assurée qu'en proportion de leurs propres efforts militaires, un réveil pour ceux qui n'ont cessé depuis 1991 de toucher les dividendes de la paix. Le deuxième fragilise l'article 5 de l'Otan, ce qui correspond à un objectif de long terme : affaiblir, voire rompre le lien transatlantique . Effet d'aubaine si cet affaiblissement était provoqué par la Maison blanche. Une limite toutefois ; il existe des invariants stratégiques aux États-Unis défendus aussi bien côté républicain que démocrate : un attachement politique et militaire à l'Otan. Trump est le chef de la plus puissante armée du monde, mais il est soumis à un système de fortes contraintes internes.

 

Voir l'interview sur le site des ECHOS

 

 

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