06
fév
2017
Espace Média L'Ifri dans les médias
Carole MATHIEU,  citée par Elise Koutnouyan et Mélanie Chenouard pour Arte info

#Nuclexit: L'Europe peut-elle sortir du nucléaire?

Chaque Etat membre de l’Union européenne a le champ libre sur "les conditions d’exploitation des ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d’énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique", indique la Convention européenne.

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Difficile, dès lors, d’attendre des Vingt-Huit qu’ils adoptent la même ligne de conduite à propos de l’énergie nucléaire. Si certains ont déjà commencé à fermer leurs centrales, d’autres au contraire ont prévu d’en ouvrir de nouvelles. Arte Info fait le point sur la situation dans les cinq pays européens qui produisent le plus d’énergie nucléaire : la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Suède et l’Espagne.

La France, championne du monde du nucléaire

Nombre de réacteurs nucléaires en service : 58
Nombre de centrales actives : 19
Part de la production électrique nationale générée par les centrales : 76% en 2015 (il s’agit du pourcentage le plus élevé au monde)

Projet énergétique pour les prochaines années : Réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50% à l’horizon 2025, tel était l’objectif affiché par François Hollande au début de son quinquennat. Un engagement qui figure aussi parmi les grands axes de la loi sur la transition énergétique d’octobre 2015.

"L’objectif de 2025 est tenable, estime Carole Mathieu, chercheuse au centre Energie de l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI). Mais il nécessite un effort de planification rapide sur la fermeture des centrales nucléaires. Contrairement à l’Allemagne, la France n’a pas encore de calendrier précis sur la fermeture de ses centrales". Le président Hollande avait par ailleurs fait de la fermeture de Fessenheim, la plus vieille centrale du pays, l’une de ses promesses de campagne. Bien que son mandat présidentiel arrive à son terme, l’arrêt de la centrale est loin d’être effectif : quand bien même les négociations s’accélèreraient, Fessenheim devra rester active au moins jusqu’à la mise en service de l’EPR de Flamanville, prévue en 2018.

En outre, un rapport parlementaire publié le 1er février 2017 pointe les moyens insuffisants mis en oeuvre par EDF pour le démantèlement des installations nucléaires. Les fonds alloués par le groupe ne garantissent pas la "faisabilité technique" des travaux de déconstruction, ont alerté les députés Barbara Romagnan (PS) et Julien Aubert (LR).

L’Allemagne donne l’exemple

Nombre de réacteurs nucléaires en service : 8 (9 réacteurs ont été fermés après la catastrophe de Fukushima en 2011)
Nombre de centrales actives : 7
Part de la production électrique nationale générée par les centrales : 14,2% en 2015, contre 22,2% en 2010. (Source : Ministère Fédéral de l'Économie et de l’Énergie, BMWE).

Projet énergétique pour les prochaines années : La catastrophe de Fukushima en 2011 provoque immédiatement le déclic allemand : cette année-là, Berlin décide de sortir du nucléaire et se fixe pour objectif la fermeture de ses 17 centrales d’ici à 2022. Alors que la chancelière Merkel avait jusque là une vision plutôt pro-nucléaire, c’est le gouvernement allemand qui, le premier, popularise l’expression "Energiewende" ("transition énergétique").

Mais après la fermeture de 8 réacteurs en 2011, la part du charbon dans la production électrique allemande augmente légèrement : elle passe de 44% en 2012 à 45,5% en 2015. Certaines personnalités politiques françaises en profitent pour pointer du doigt les effets pervers du charbon sur la pollution atmosphérique, laissant entendre que le remède allemand, - la sortie du nucléaire -, aggraverait le mal. Pendant la campagne de la primaire de la droite et du centre en novembre dernier, Nicolas Sarkozy a par exemple critiqué la stratégie de l’Allemagne, lui reprochant de "rouvrir toutes les centrales à charbon, qui envoient leurs particules jusqu’à Paris".

L’argument est en réalité plus que discutable. Certes, l’Allemagne peine à sortir du charbon et à remplir ses objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre (moins 40% à l’horizon 2020 par rapport aux émissions de 1990). Mais affirmer que l’Allemagne s’est contentée de rouvrir ses centrales à charbon pour remplacer le nucléaire serait réducteur. Berlin a beaucoup investi dans les énergies renouvelables, qui ont couvert près d'un tiers (32,5%) de la consommation électrique du pays en 2015.

Le Royaume-Uni garde le cap sur le nucléaire

Nombre de réacteurs nucléaires en service : 15
Nombre de centrales actives : 7
Part de la production électrique nationale générée par les centrales : 18,9% en 2015

Projet énergétique pour les prochaines années : Le Royaume-Uni entend continuer à développer le nucléaire : "C’est le pays d’Europe qui a le message le plus clair sur cette question, précise Carole Mathieu. Le Royaume-Uni a acté sa stratégie en 2006 : renouveler leur parc de centrales."

En septembre dernier, le gouvernement britannique a donné son accord à EDF pour installer deux réacteurs EPR sur le site d’Hinkley Point C, centrale située dans l’ouest de l’Angleterre. Hinkley Point C devrait fournir à elle seule 7% de l’énergie du Royaume-Uni à partir de 20125.

Le Brexit est-t-il susceptible d’infléchir l’orientation du gouvernement en terme de production d’énergie ? Amber Rudd, secrétaire d’Etat chargée de l’énergie, a affirmé le contraire à la fin du mois de juin 2016 et indiqué que "18 GW de nouvelles centrales" étaient en projet. En effet, une grande partie des vieilles centrales britanniques doivent fermer d’ici à 2030, voire 2025 pour certaines, et le Royaume-Uni entend les remplacer par de nouvelles installations.

La Suède, pas si bon élève

Nombre de réacteurs nucléaires en service : 10
Nombre de centrales actives : 3
Part de la production électrique nationale générée par les centrales : 34% en 2015 (source : IAEA)

Projet énergétique pour les prochaines années :  La politique de transition énergétique suédoise repose en grande partie sur le nucléaire, aux côtés des énergies renouvelables. En juin 2016, les principaux partis politiques ont signé un accord prévoyant que la Suède ne soit plus émettrice nette de gaz à effet de serre à l’horizon 2045. Le pays fait déjà figure de modèle avec 98% de sa production électrique "décarbonée".

Mais cet accord a aussi relancé le nucléaire, avec l’autorisation de construire dix nouveaux réacteurs nucléaires pour compenser la fermeture prochaine des sites en fin de vie ou trop coûteux. Selon le gouvernement, cette mesure vise à garantir l’approvisionnement énergétique du pays. Comme l’explique Carole Mathieu, chercheuse à l’IFRI, : "dans la vision suédoise, le nucléaire est considéré comme pertinent à moyen-terme, mais l’objectif à long-terme (2040) est de passer aux énergies renouvelables à 100%".

Face aux menaces des opérateurs de ne pas pouvoir prolonger la durée de vie des réacteurs existants, la taxe sur la production nucléaire (environ 500 millions d’euros par an) va aussi être supprimée. Malgré la fermeture prévue de trois réacteurs d’ici 2020, la Suède n’est pas donc prête de sortir du nucléaire.

L’Espagne reste dans le flou

Nombre de réacteurs nucléaires en service : 7
Nombre de centrales actives : 5
Part de la production électrique nationale générée par les centrales : 20,3% en 2015

Projet énergétique pour les prochaines années : L’Espagne n’a pris aucune mesure législative en faveur de la transition énergétique.  L’ex-gouvernement socialiste, d’abord défavorable au nucléaire, avait finalement viré en faveur de l’atome, sans modifier la législation. "Le paysage espagnol du nucléaire est assez flou, notamment à cause de l’instabilité politique et des particularismes régionaux (par exemple la Catalogne a une taxe sur le nucléaire qui pèse sur le développement de la filière), analyse Carole Mathieu. La plupart des sites nucléaires arrivent au terme de leur durée d’exploitation légale et la question se pose du renouvellement."

Mi-janvier 2017, des organisations ont réclamé au nouveau gouvernement de Mariano Rajoy une "loi pour le changement climatique et la transition énergétique", pour s’aligner sur les recommandations européennes. La dernière fermeture de centrale nucléaire date de 2012 : il s’agissait de la centrale de Garoña, la plus vieille d’Espagne. Mais il y a quelques semaines, son opérateur a demandé sa réouverture, actuellement en cours d’examen par l’autorité de sûreté nucléaire. Une mesure approuvée par le gouvernement conservateur.

Les pays de l’Union européenne n’ont pas tous la même vision de la transition énergétique : certains mettent la priorité sur la réduction des gaz à effet de serre, d’autres sur l’investissement dans les énergies renouvelables, et la notion de "sortie du nucléaire" est loin de faire l’unanimité parmi les Etats membres. C’est pourquoi Carole Mathieu se montre prudente sur la question d’une éventuelle harmonisation de la politique européenne sur le nucléaire : "Aujourd’hui, les dissensions sont trop fortes entre les pays, notamment entre la France et l’Allemagne, pour arriver à un mix énergétique commun. Ce n’est pas envisageable dans les prochaines années".

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Nucléaire transition énergétique Union européenne Allemagne France Royaume-Uni Suède Espagne