29
nov
2017
Espace Média L'Ifri dans les médias

Pétrole : l'OPEP dans le piège de la concurrence américaine

L’accord sur la réduction de la production a fait remonter le prix du baril et pourrait être reconduit jeudi. Mais le cartel reste englué dans sa compétition avec le pétrole de schiste américain.Ce n’est pas un mystère : lors de sa réunion du jeudi 30 novembre à Vienne, le cartel des pays pétroliers devrait, selon toute vraisemblance, décider de prolonger son accord de novembre 2016 sur la réduction de la production qui court jusqu’en mars 2018.
 
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Ce Cet accord trouve son origine dans la concurrence américaine. En 2015, la production massive de pétrole de schiste américain déstabilise le marché. Personne n’avait vu venir cette quantité de barils supplémentaires, ce qui fait baisser les prix très rapidement.

Le premier réflexe des membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), et particulièrement de l’Arabie saoudite, est de continuer à inonder le marché de brut. La logique semble implacable : avec un prix du baril descendant jusqu’à 28 dollars, les Américains ne pourront pas tenir, et la route sera de nouveau libre pour les producteurs traditionnels, pensait-on dans les couloirs du siège viennois du cartel.

C’est l’inverse qui se produit : les Américains encaissent le choc avec difficulté, réduisent leurs coûts drastiquement, mais tiennent bon. L’OPEP change alors de stratégie. En novembre 2016, le cartel s’allie à la Russie pour réduire la production d’environ 1,8 million de barils par jour, pour diminuer les stocks mondiaux et faire repartir les prix à la hausse. Même si c’est l’Arabie saoudite qui fait le plus gros des efforts, la présence du géant russe dans le deal permet d’atteindre des niveaux significatifs.

Après des débuts difficiles, et malgré les doutes des observateurs, l’accord finit par fonctionner et le prix du baril remonte, passant en quelques mois de 40 à 63 dollars.

« Ils n’ont pas le choix »

Pour continuer à stimuler les prix, les officiels saoudiens diffusent depuis plusieurs semaines l’idée que cet accord serait prolongé. « A vrai dire, ils n’ont pas vraiment le choix, analyse Olivier Appert, président du Conseil français de l’énergie, le marché a déjà intégré cette possible prolongation. » Autrement dit : ne pas reconduire l’accord reviendrait à envoyer un signal négatif en faisant courir le risque d’une hausse incontrôlée de l’offre, et d’une nouvelle chute des prix. Mais si l’accord est prolongé, le diable sera ensuite dans les détails : pendant combien de temps ? Quels seront les nouveaux objectifs de réduction de production, pays par pays ?

Les principaux obstacles à la reconduction de l’accord pourraient venir de la Russie. Ces dernières semaines, Moscou a envoyé des signaux contradictoires. Les producteurs de pétrole russes ont exprimé à plusieurs reprises leurs réticences à voir leur pays impliqué dans cet accord. Le président Vladimir Poutine a, jusqu’ici, écarté leurs doutes.

La Russie a intérêt à un cours élevé du baril… jusqu’à un certain point. Si le rouble s’apprécie trop, alors l’envolée des prix ne sera plus intéressante pour les exportations. De ce fait, les analystes estiment que Moscou pourrait défendre une prolongation de quelques mois seulement. La présence de la Russie dans l’accord est une des garanties de sa réussite, ce qui donne à M. Poutine un poids économique et géopolitique certain auprès des pays de l’OPEP.

De fait, un certain nombre de pays du cartel – Arabie saoudite en tête – ne peuvent se permettre une nouvelle baisse des prix. Le prince Mohammed Ben Salman, qui a accentué son pouvoir à Riyad en faisant arrêter plusieurs dignitaires le 4 novembre, a besoin que la situation économique s’améliore pour poursuivre ses réformes et financer la guerre au Yémen. Sans compter l’introduction partielle en Bourse d’Aramco, le géant pétrolier du pays, qui doit intervenir dans le courant de l’année 2018.

Les pays de l’OPEP sont coincés

  • « L’équation est très compliquée pour les Saoudiens », note Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du centre énergie de l’Institut français des relations internationales (IFRI), « si les prix continuent de monter, cela profite aussi à l’Iran, son principal adversaire dans la région ».

Autre difficulté : quand les prix étaient bas, tous les pays du cartel avaient intérêt à jouer le jeu. Mais, maintenant qu’ils sont remontés, la discipline sera plus difficile à tenir pour des pays dont le budget est calculé sur un prix du baril élevé, comme l’Algérie.

Les pays de l’OPEP sont coincés. D’un côté, ils dépendent tellement de l’or noir qu’une baisse des prix serait insupportable pour les économies de certains pays déjà en difficulté. Mais, de l’autre, la hausse bénéficie tout autant, sinon plus, aux producteurs de pétrole de schiste américain. C’est le piège dans lequel s’est enfermé le cartel : puisque les producteurs américains ont su survivre dans un environnement où le prix du baril était très bas, ils sont encore plus bénéficiaires avec un prix du baril plus élevé.

  • « L’accord fait aussi plaisir aux producteurs américains qui, par ricochet, voient leurs profits augmenter et dont le nombre de forages repart à la hausse », analyse Marc-Antoine Eyl-Mazzega. Ils ont donc tout intérêt à continuer à produire et à inonder le marché, ce qui fait courir le risque aux pays de l’OPEP de perdre des parts de marché à terme, dans un environnement de plus en plus concurrentiel, qu’ils ne maîtrisent plus aussi simplement qu’autrefois.

Signe des temps, les membres du cartel ont invité à Vienne, jeudi, des analystes et des tradeurs à venir leur présenter des perspectives détaillées du marché du pétrole de schiste américain. Dans son dernier rapport annuel, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que les Etats-Unis vont représenter, à eux seuls, 80 % de la croissance de la production mondiale de pétrole d’ici à 2025 et pourraient devenir le deuxième exportateur mondial.

 

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Mots-clés
Cours du pétrole Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) pétrole