Transition énergétique : le programme extravagant et inquiétant de Marine Le Pen
PRESIDENTIELLE 2022. De la réouverture de la centrale de Fessenheim à la construction de 20 nouveaux EPR, en passant par le démantèlement des éoliennes existantes et un moratoire sur les panneaux solaires… La Tribune a passé au crible les propositions énergétiques de la candidate du Rassemblement national. Ces mesures apparaissent à la fois irréalistes et dangereuses pour le climat. Décryptage.
Quels programmes énergétiques les deux finalistes à l'élection présidentielle proposent-ils ? Sont-ils réalisables ? Nucléaire, éolien, solaire, hydrogène, hydraulique... Sur quels piliers reposent-ils ? Conduisent-ils à une réduction majeure des émissions de gaz à effet de serre ? Si Emmanuel Macron et Marine Le Pen mettent tous les deux l'accent sur le développement de l'atome civil, leurs programmes respectifs présentent de grandes différences. La Tribune a examiné le programme de la candidate d'extrême droite et fera de même pour celui d'Emmanuel Macron dans les prochains jours.
À retenir
- Neutralité carbone en 2050. La loi Énergie Climat, votée en 2019, engage la France à atteindre la neutralité carbone en 2050, soit une division par 6 des émissions de gaz à effet de serre sur son sol par rapport à 1990. Or, la production et la consommation de l'énergie sont les principaux contributeurs d'émissions de CO2, et notamment les hydrocarbures, qui fournissent plus de 60% de l'énergie finale. L'électricité représente pour sa part moins de 30% de l'énergie consommée en France.
- Une électricité peu carbonée. La France dispose d'un atout de taille : son électricité est déjà très largement décarbonée grâce au nucléaire. L'atome répond à environ 65% des besoins électriques en moyenne. Si la loi impose également de réduire la part du nucléaire à 50% du mix énergétique d'ici à 2035, les deux candidats ont annoncé qu'ils reviendront sur cette obligation. L'enjeu pour les années à venir se situe à la fois dans le renouvellement du parc de production vieillissant, soit par la construction de nouveaux réacteurs atomiques, soit par l'installation de sources d'énergie renouvelable (éolien, solaire et hydraulique notamment), soit par les deux.
- Rattraper le retard. Le cadre légal impose également de réduire les sources d'énergie carbonée (chauffages au fioul, carburants fossiles). La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) votée en 2020 exige une baisse de 35% en 2028 par rapport à 2012. Alors que la France accuse déjà un lourd retard en la matière, elle devra se doter d'une nouvelle PPE dès 2023, qui fixera un cadre pour le déploiement futur des énergies bas carbone.
Nucléaire : Réouverture de Fessenheim
La candidate du Rassemblement national l'assure. A son arrivée à l'Elysée, elle rouvrira la centrale nucléaire de Fessenheim, située en Alsace et fermée définitivement depuis juin 2020. "C'est pour des raisons idéologiques que l'on a fermé Fessenheim. Et on l'a fermé avant même d'avoir ouvert [l'EPR de, ndlr] Flamanville", a dénoncé Marine Le Pen, ce mardi 12 avril, au micro de France Inter.
"Rouvrir Fessenheim est totalement irréaliste", tranche d'emblée Jacques Percebois, professeur émérite de l'université de Montpellier et spécialiste de l'énergie.
"On ne peut pas redémarrer Fessenheim pour des raisons techniques", abonde Nicolas Goldberg, référent énergie au sein du cabinet Colombus Consulting. "Certaines pièces sont déjà parties sur d'autres réacteurs nucléaires. Par ailleurs, prolonger la durée de vie d'un réacteur n'est pas une opération qui s'improvise. Il faut désormais que le réacteur ait un niveau de sûreté équivalent à celui d'un EPR. Une cartographie de tous les ouvrages à réaliser est nécessaire et il faut déposer un dossier auprès de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN)", détaille l'expert.
La candidate d'extrême droite souhaite également prolonger tous les réacteurs jusqu'à 60 ans. Là encore cette mesure semble, pour le moins, audacieuse. Le gendarme du nucléaire, qui a autorisé en février 2021 la prolongation des réacteurs jusqu'à 50 ans sous réserve d'un réexamen approfondi de chacun d'entre eux et de travaux d'amélioration de la sûreté, ne s'est en effet jamais prononcé sur une prolongation au-delà. "Bien sûr que si on sait faire [prolonger les centrales nucléaires jusqu'à 60 ans, ndlr]", a insisté Marine Le Pen sur France Inter. "Je vais vous dire pourquoi. La centrale jumelle de Fessenheim, qui se trouve aux Etats-Unis, a été repoussée à 60 ans et il y a zéro problème", a-t-elle ajouté, en omettant totalement les différences qu'il peut y avoir entre les deux sites où ces centrales sont implantées et celles liées à l'exploitation des réacteurs.
En effet, aux Etats-Unis, le nucléaire ne représente que 20% du mix électrique. Les réacteurs y fonctionnent en "base load", c'est-à-dire presque tout le temps, tandis qu'en France, la production des 56 réacteurs est modulée pour s'adapter à l'évolution de la demande. Ce qui crée une "fatigue thermique et mécanique plus importante" qu'outre-Atlantique, explique Cédric Philibert, analyste de l'énergie et du climat, associé à l'Institut français des relations internationales (Ifri).
"Je vous affirme que tous les spécialistes du nucléaire vous disent qu'il n'y a aucune difficulté pour repousser la durée de vie des centrales nucléaires pour que cette durée de vie soit de 60 ans", a insisté la candidate d'extrême droite.
La Société française d'énergie nucléaire (Sfen), qui est le lobby de la filière, espère effectivement que la durée de vie des réacteurs pourra se prolonger jusqu'à 60 ans, mais elle souligne bien évidemment qu'il faudra prévoir un nouvel examen de sûreté au passage des 50 ans.
> Lire l'article sur le site du journal La Tribune
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