25
mai
2009
Espace Média L'Ifri dans les médias

Une nouvelle résolution accompagnée de sanctions n'est pas à exclure

Avant son dernier essai nucléaire, la Corée du Nord avait procédé à un premier tir de missile balistique en octobre 2006. A l'époque, outre une condamnation unanime, la communauté internationale avait pris des sanctions. Cet essai avait aussi permis de relancer les négociations à Six (Chine, les deux Corées, Japon,Russie et Etats-Unis). Entretien avec Corentin Brustlein, chercheur à l'IFRI, revient sur l'enjeu de l'essai nucléaire nord-coréen.

En avril 2009, Pyongyang a lancé une fusée censée mettre sur orbite un satellite. Or, il s'agissait d'un missile balistique à capacité nucléaire, selon certaines analyses. La Corée du Nord s'est aussitôt retirée des discussions. Quelques semaines plus tard, la Corée du Nord annonce un essai nucléaire souterrain. Comment l'interprétez-vous ?

Corentin Brustlein : On peut hasarder plusieurs interprétations simultanées des agissements nord-coréens : par ce geste, Pyongyang peut aussi bien désirerentrer dans des négociations bilatérales directes avec la nouvelle administration américaine ; renforcer la crédibilité de ses capacités militaires mise en doute suite au premier essai nucléaire - raté - de 2006 et aux échecs rencontrés lors de ses tirs balistiques ; retourner à la table des négociations en position de force - ces différentes hypothèses ne s'excluant naturellement pas. En outre s'ajoutent peut-être d'autres considérations, liées quant à elles aux dynamiques internes au régime nord-coréen. Enfin, on ne peut exclure de simples erreurs d'appréciation.

Les Occidentaux ont condamné cet essai. La Russie s'est dite "inquiète", la Chine n'a toujours pas réagi officiellement et le Japon veut saisir le Conseil de sécurité des Nations Unies qui va d'ailleurs se réunir lundi 24 mai à 22 heures (heures de Paris). Que faut-il attendre de cette réunion, quand on sait que la Chine, proche de la Corée du Nord et opposée à de lourdes sanctions, peut utiliser son droit de veto ?

Corentin Brustlein : Le positionnement chinois vis-à-vis du nucléaire nord-coréen est complexe. C'est en fait le fruit d'objectifs en partie contradictoires. Il est vrai que Pékin, comme dans une moindre mesure Moscou, a "protégé"Pyongyang de manière répétée des sanctions que Washington, Séoul, Tokyo ou encore certaines capitales européennes, ont voulu imposer depuis la découverte du programme nucléaire nord-coréen. Cette politique chinoise a néanmoins évolué au cours des dernières années, en particulier suite au premier essai nucléaire nord-coréen d'octobre 2006, contre lequel Pékin avait mis en garde Pyongyang. Plus généralement, la République populaire de Chine semble se lasser de l'inconstance et de l'imprévisibilité des dirigeants nord-coréens, ce qui a permis le vote par le Conseil de sécurité de la résolution 1718, placée sous le chapitre VII de la Charte des Nations unies et imposant une série de sanctions. La RPC se trouve donc "coincée" entre sa relation particulière avec la Corée du Nord, la crainte de déstabiliser celle-ci et son agacement croissant vis-à-vis d'une politique risquant d'inciter le Japon à reconsidérer ses choix de défense. Dans la situation présente, une nouvelle résolution accompagnée de sanctions n'est pas à exclure : reste à savoir si ces sanctions seront mises en œuvre et si elles parviendront àinfluencer la politique nord-coréenne.

La Russie et les Etats-Unis ont entamé depuis le 17 mai de nouvelles négociations sur la réduction de leurs arsenaux nucléaires, afin d'aboutir au remplacement du traité START, qui expire à la fin de cette année. Cet essai nord-coréen remet-il en question la stratégie américaine d'un monde dénucléarisé ? S'agit-il du premier réel test pour l'administration Obama ? Est-ce qu'il n'y a pas un risque de naïveté de la part du président Obama ?

Corentin Brustlein : On peut à mon sens difficilement parler d'une "stratégie"américaine visant un monde dénucléarisé, tout au plus d'une adhésion de l'administration Obama au principe même du désarmement nucléaire et d'une interrogation sur les prochaines étapes envisageables afin d'y contribuer, notamment via la ratification du Comprehensive Test Ban Treaty (Traité d'Interdiction Complète des Essais nucléaires). Il est encore trop tôt pour évaluerles conséquences concrètes de cet essai sur l'idéal d'un monde dénucléarisé promu notamment par l'administration Obama - mais un certain pessimisme semble aujourd'hui de rigueur. L'été dernier, Pyongyang semblait désireux d'accepter l'aide internationale proposée en échange d'une suspension de ses activités nucléaires militaires. Depuis, vous l'aurez compris, la situation a bien changé, et ces gesticulations ne sont pas sans inquiéter la Corée du Sud et le Japon. Au minimum cela risque de renforcer la demande d'une poursuite du"parapluie nucléaire" américain en Asie du Nord-Est. Au pire, cela peut pousser le Japon, voire la Corée du Sud, à revenir sur leur choix de s'en remettre à la dissuasion nucléaire dite "élargie", c'est-à-dire de bénéficier de la dissuasion offerte par les armes nucléaires américaines, pour développer leurs propres capacités nucléaires. Il va sans dire qu'un tel scénario bouleverserait considérablement les équilibres stratégiques asiatiques.

Cet essai intervient également en pleine crise du dossier nucléaire iranien. Il y a quelques jours, le président Obama a annoncé à son invité, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, qu'il s'accordait un délai jusqu'en janvier 2010 pour réviser sa stratégie de dialogue avec l'Iran. Or, l'Iran et la Corée du Nord coopèrent sur le plan militaire. Quel effet le tir nucléaire nord-coréen peut-il susciter à Téhéran et plus largement dans le bras de fer entre la communauté internationale et l'Iran ?

Corentin Brustlein : L'Iran regarde avec une grande attention la façon dont la communauté internationale se comporte face aux provocations de Pyongyang, et c'est une chose qu'il faut impérativement garder à l'esprit en réagissant à cette nouvelle gesticulation : Téhéran a déjà beaucoup appris, directement, ou indirectement, des crises nucléaires nord-coréennes. Prouver à Téhéran que le chantage nucléaire ne profite pas à Pyongyang de manière durable doit indéniablement faire partie de nos objectifs afin d'éviter d'être confrontés à court ou moyen terme aux mêmes difficultés vis-à-vis de l'Iran.

Y a-t-il dans cet essai nucléaire une lecture intérieure qui échappe a priori à notre attention en Occident ? D'après ce que vous nous avez dit et ce que pensent certains chercheurs asiatiques spécialistes des questions nucléaires, le régime nord-coréen aurait procédé à cet essai pour monnayerauprès de l'armée la succession du leader Kim jong-il au profit de l'un de ses fils. Qu'en est-il exactement ?

Corentin Brustlein : Il est vrai que la question de la succession de Kim Jong-il se pose de manière croissante depuis les problèmes de santé de celui-ci à l'été 2008, et cette dimension ne doit pas être négligée. Dans cette perspective, au moins deux lectures peuvent être faites de cet essai : en première analyse et comme vous le mentionnez, il peut témoigner de la volonté de Kim Jong-il de faireaccepter son fils comme successeur. A l'inverse, le test peut traduire l'influence grandissante de la hiérarchie militaire sur la politique nord-coréenne et un durcissement potentiel de celle-ci. En tout état de cause, il est certain qu'une crise de succession ne rendrait que plus difficile encore la tâche de négocier avec Pyongyang. La réaction de la communauté internationale face à la crise actuelle doit ainsi prendre soin de ne pas favoriser l'émergence d'un pouvoir nord-coréen plus dur qu'il ne l'est actuellement. Cela étant dit, il convient de souligner que les dimensions interne et externe sont et resteront inextricablement liées : un essai nucléaire est aussi un moyen de paraître puissant vis-à-vis de l'extérieur malgré les nombreuses interrogations quant à la succession de Kim Jong-il.