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Les crises du COVID-19 en Afrique australe : inquiétudes et premières conséquences

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Au 27 avril, deux pays africains membres de la Communauté de développement d'Afrique australe (CDAA ou SADC selon le sigle anglais) n’avaient pas encore enregistré de cas de COVID-19[1] : le Lesotho et les Comores.

 
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Cette situation pose la question de la capacité de réaliser des tests ainsi que de l’accès aux résultats. En mars, leurs voisins ont, les uns après les autres, annoncé les premiers cas et souvent les premiers décès. Le Botswana fut l’un des derniers pays à annoncer ses premiers cas le 30 mars, puis un décès le 31 mars. L’Afrique du Sud est pour le moment le pays le plus touché du continent avec 4 546 cas diagnostiqués et 87 décès.

Face à la hausse des cas, le président de la République sud-africaine (RSA), Cyril Ramaphosa imposait un confinement national pour trois semaines à compter du 26 mars, puis le prolongeait jusqu’à la fin du mois d’avril. La plupart des voisins ont décidé d’en faire de même. Le Botswana a ainsi fermé ses frontières et instauré un état d’urgence avec confinement.

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Au regard de cette pandémie et des stratégies mises en place par les dirigeants des pays de la région, quels sont les impacts sanitaires et sociaux et quelles sont les conséquences en termes de gouvernance politique, sécuritaire et économique ?

Des systèmes de santé fragiles et menacés

La mortalité des personnes âgées étant plus élevée parmi les victimes du COVID-19, la jeunesse de la population en Afrique australe semble constituer un avantage. En effet, l’âge médian est de 27,6 ans en RSA, plus « vieux » pays de la SADC continentale (seuls les Seychelles et l’île Maurice présentent un âge médian de leur population supérieur). La non-résistance du COVID-19 à de fortes chaleurs est une hypothèse qui laisse espérer une diffusion limitée sur le continent africain. Mais cette hypothèse est moins valide en Afrique australe qui s’approche de la saison hivernale.

Comme ailleurs en Afrique et dans le monde, la qualité des services de santé et de réanimation joue un rôle important dans la lutte contre cette maladie. Or, au moins six pays de la SADC ne disposent d’aucun lit en réanimation[2]. La RSA accueille souvent des malades issus des pays de la région mais une possible saturation limitera sa capacité d’accueil, d’autant plus que les possibilités de transferts sont contraintes par les restrictions actuelles. Le Botswana compte environ 150 lits de réanimation, mais selon son président, 2000 lits pourraient être nécessaires[3].

Les règles strictes de confinement qui affectent les transports collectifs peuvent empêcher les personnels médicaux de se rendre sur leur lieu de travail. Au Botswana, l’arrêt des combis, les minibus servant de transport empêche ainsi certains soignants de prendre leurs postes. Dans les hôpitaux, l’exposition des personnels de santé qui n’ont pas toujours le matériel de protection adéquat constitue un risque majeur de déstabilisation des services de santé. Au Zimbabwe, des soignants se sont mis en grève dénonçant le manque de matériel. Par ailleurs, plusieurs millions d’habitants[4] de la zone sont porteurs du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) et les cas de tuberculose sont nombreux[5], ce qui accroît leur vulnérabilité face à l’apparition d’un nouveau virus. En Afrique du Sud, l’obésité[6] et le diabète[7] sont également très présents, or les personnes souffrant de ces maladies auraient plus de risques de développer une forme grave du COVID-19.

Des sociétés impactées

L’impact social de cette crise se fait déjà ressentir dans la zone pour les nombreux travailleurs aux contrats précaires, et de ce fait, rarement bénéficiaires de filets sociaux : gardiens, personnels de ménage, etc. Les travailleurs informels dont les maigres revenus permettent pour certains de ne vivre qu’au jour le jour pour se nourrir sont également touchés de plein fouet par les mesures de restrictions. Celles-ci font craindre la superposition de préoccupations humanitaires à la crise sanitaire. Si les gouvernements mobilisent des ressources pour répondre à certaines urgences, elles ne pourront être suffisantes si la crise se prolonge dans la durée. L’aide alimentaire nécessite en effet d’immenses moyens logistiques pour couvrir de vastes zones où l’État n’est parfois que partiellement présent : c’est le cas en République démocratique du Congo (RDC) ou à Madagascar.

Cette crise vient s’ajouter à l’insécurité alimentaire que connaissait la région début 2020[8] menaçant près de 60 millions d’habitants de la zone en raison de problèmes climatiques, de gouvernance ou de sécurité. Des pays comme le Botswana et la Namibie dépendent de l’approvisionnement de leurs supermarchés par l’agro-industrie sud-africaine. Le vice-président botswanais, dont le pays disposerait de trois semaines de stocks[9], a affirmé que les transports de nourriture continueraient à circuler[10]. Bien que son influence diminue, l’Afrique du Sud demeure la première puissance régionale, ses capacités agro-industrielles et logistiques devraient permettre de limiter la pénurie alimentaire qui menace. Cela n’a pas empêché la flambée des prix de produits de première nécessité dans la plupart des pays de la zone, affectant encore davantage les populations les plus vulnérables[11]. Le 21 avril, le président Ramaphosa annonçait la mise en place d’un fonds de solidarité pour ceux qui sont hors du système de redistribution sociale habituel[12] afin de limiter le désastre social qui menace.

Au Malawi, la Haute Cour a suspendu la mise en œuvre du confinement en raison de l'impact dévastateur qu'il aurait sur les travailleurs et les populations les plus fragiles. D’autres pays font face à des tensions sociales importantes comme le Zimbabwe qui traverse une grave crise économique et sociale.

Les États de la SADC connaissent comme ailleurs des difficultés de mise en place des règles de confinement notamment dans les zones urbaines et périurbaines densément peuplées. La promiscuité et l’accès limité à l’eau sont sources d’inquiétudes pour les autorités et les experts sanitaires. Le cas des townships sud-africains offre un casse-tête que le gouvernement semble avoir décidé de gérer par le recours à la police et à l’armée[13], ce qui pose également des questions en termes de droits humains. Avec les états d’urgence et les confinements obligatoires, la production d’informations va se complexifier, rendant difficile la possibilité de rendre compte de certains abus.

Réactivité et gouvernance

La période actuelle constitue un moment de vérité pour tous les régimes politiques de la région, dont les capacités de réaction face à la crise et le contrôle réel de leur territoire sont mis en exergue. Le président sud-africain Cyril Ramaphosa est salué par de nombreux experts, et même par des membres de l’opposition, pour les décisions rapides et délicates qu’il a su prendre, ainsi que le leadership dont il fait preuve pour susciter une adhésion nationale face à l’urgence sanitaire. Il est pour l’instant conforté dans cette période de crise, alors que son autorité et son bilan à la tête du pays étaient contestés, y compris au sein de son propre camp. En plus de devoir gérer l’urgence sanitaire, certains pays sont confrontés à des enjeux sécuritaires. C’est le cas du Mozambique où les attaques d’insurgés se multiplient dans la province riche en gaz naturel de Cabo Delgado. En RDC, les atermoiements de la décision du confinement prise par le président Tshisekedi ont créé de la confusion[14] et mis en lumière sa faible autorité dans un pays encore largement sous l’influence de son prédécesseur, Joseph Kabila. Par ailleurs, ce pays doit toujours faire face à des problèmes récurrents de sécurité intérieure aux Kasaï et à l’Est de son territoire, sans compter que la lutte contre l’épidémie d’Ebola n’est toujours pas terminée. Les dirigeants de la SADC communiquent désormais par vidéoconférence, et officiellement, maintiennent un suivi des situations mozambicaine, congolaise et du Lesotho. Mais les questions internes de chaque État sont aujourd’hui prioritaires et d’éventuelles missions de médiation régionale paraissent très improbables.

Certains décideurs vont sans doute tenter de profiter de cette période pour asseoir une autorité fortement remise en cause. Le Premier ministre du Lesotho, Tom Thabane, inculpé en février 2020 pour le meurtre de son épouse en 2017, a décidé fin mars la mise en place d’un confinement de trois semaines, malgré l’absence officielle du COVID-19 dans son pays, et de suspendre le parlement début avril[15]. Dans ce contexte tumultueux, il a demandé à l’armée de se déployer dans la capitale le 19 avril. Ce déploiement et le risque d’escalade ont provoqué l’envoi d’une mission spéciale sud-africaine le jour même, le retour des militaires dans les casernes, et l’annonce par le gouvernement d’un départ prochain de T. Thabane, sans toutefois fixer de date[16]. Au Malawi, où les présidentielles de 2019 ont été annulées pour fraude en janvier 2020 par la Cour constitutionnelle, le parti au pouvoir réfléchit à repousser les élections prévues en juillet. Au Botswana, une bataille parlementaire s’est déroulée, et a donné lieu à un prolongement de six mois de l’état d’urgence, pendant lequel le rôle de contrôle du parlement sera limité[17]. Quant à la Tanzanie, le président John Magufuli, à contre-courant, a opté pour le refus du confinement au nom de la sauvegarde de l’économie[18].

Concernant les acteurs internationaux, la Chine étend son influence en proposant son expertise, profitant du ralentissement de la première vague du virus sur son territoire, au moment où l’Europe et les États-Unis deviennent des épicentres.

Les initiatives européennes ont tardé, mais se mettent en place. Emmanuel Macron s’est entretenu le 3 avril avec dix homologues africains dont le Zimbabwéen Emmerson Mnangagwa et le Sud-africain Cyril Ramaphosa avec pour objet : la réponse internationale à cette crise sanitaire et son corollaire économique. La présidente de la Commission européenne a annoncé un plan d’aide de 15 milliards d’euros en ce sens[19] et le G20 s’est engagé à suspendre pour un an le service de la dette pour les pays les plus pauvres.

La crise économique est déjà là

La plupart des économies de la SADC sont basées sur les exportations de matières premières et sont donc très affectées par le ralentissement de l’activité économique mondiale. Le produit intérieur brut (PIB) du Bostwana devrait reculer de 13 % cette année, impacté par la baisse de ventes de diamants et l’arrêt du tourisme. La RSA était déjà entrée en récession début mars, et l’Angola, deuxième économie régionale, était considérée comme très fragile à cause de la baisse des cours du pétrole. Le Fonds monétaire international (FMI) vient de lancer un appel[20] urgent au soutien financier pour le Zimbabwe. L'Afrique du Sud, longtemps réticente à cette option, compte également solliciter auprès du FMI et de la Banque mondiale une aide financière pouvant atteindre 4,2 milliards de dollars. Il est probable que ces démarches se multiplient dans les semaines à venir, car la crise actuelle frappe sévèrement des économies déjà fragilisées.

La région la plus stable d’Afrique fait face à des défis dont l’ampleur commence à se révéler négativement dans les domaines sanitaires, économiques et sociaux. La situation actuelle est unique et implique de trouver comment garantir la survie des plus pauvres, assurer le confinement, remporter la lutte sanitaire, et amortir la contraction des économies. Une prolongation de la période de confinement combinée à certains abus de la part des forces de sécurité et à l’aggravation de la situation économique et sociale des personnes les plus précaires, pourraient conduire à des crispations très fortes ; voire à des protestations sociales d’ampleur notamment dans les pays déjà très polarisés (Zimbabwe, Malawi, Lesotho), ceux où les mobilisations sociales sont des formes courantes d’expression politique (Afrique du Sud) et ceux fortement impactés par la chute des cours des matières premières (Angola, Botswana, RDC, Mozambique ?). Les autorités devront ainsi procéder à des arbitrages entre les enjeux sanitaires, sociaux et économiques et s’assurer de l’acceptation (ou la soumission) de leur population.

 

[1]. « Coronavirus Disease (COVID-2019) Situation Reports », Organisation mondiale de la santé (OMS), disponible sur : www.who.int. Voir aussi : https://covid19.who.int.

[2]. Angola, Lesotho, Malawi, Mozambique, Seychelles et Zimbabwe. D. Finnan, « Lack of Covid-19 Treatment and Critical Care Could Be Catastrophic for Africa », RFI, 3 avril 2020, disponible sur : www.rfi.fr.

[3]. P. Lebanna, « Botswana: Masisi to Seek 6-Month State of Emergency », Botswana Daily News, 6 avril 2020, disponible sur : https://allafrica.com.

[4]. Près de 7 millions de Sud-Africains et 360 000 Botswanais vivent avec le virus de l'immunodéficience humaine (VIH), estimations de l’OMS en 2016 pour l’Afrique du Sud et le Botswana.

[5]. Il y a plus de 300 cas de tuberculose par an pour 100 000 habitants au Botswana et en Angola, plus de 700 en République sud-africaine (RSA) contre 8 à 9 en France. « Global Health Observatory Country Views », OMS, chiffres de 2016, disponible sur : https://apps.who.int.

[6]. J. Ralston, « Obesity Crisis Threatens South Africa’s Health System », Daily Maverick, 19 septembre 2019, disponible sur : www.dailymaverick.co.za.

[7]. S. Makgabutlane, « #WorldDiabetesDay: About 3.5m South African Suffer From Diabetes », IOL, 13 novembre 2018, disponible sur : www.iol.co.za.

[8]. Voir la déclaration de janvier 2020 du Programme alimentaire mondial (PAM) concernant 45 millions de personnes dans 8 pays : Zimbabwe, Zambie, Mozambique, Madagascar, Namibie, Lesotho, Eswatini et Malawi, auxquels il faut ajouter 15,6 millions en République démocratique du Congo (RDC) fin 2019 selon le PAM.

[9]. Discussion de T. Kurtz avec un haut-fonctionnaire du gouvernement botswanais en mars 2020.

[10]. « Ramaphosa Assures on Goods, Services to Botswana », Mmegi, 24 mars 2020, disponible sur : www.mmegi.bw.

[11]. T. Head, « Checkers and Pick N Pay Accused of Hiking Prices During Lockdown », The South African, 8 avril 2020, disponible sur : www.thesouthafrican.com ; N. Chingono, « “We Will Starve”: Zimbabwe’s Poor Full of Misgiving Over Covid-19 Lockdown », The Guardian, 3 avril 2020, disponible sur : www.theguardian.com.

[12]. Q. Masuabi, « What You Need To Know About SA’s R500bn Covid-19 Support Package », City Press, 21 avril 2020, disponible sur : https://city-press.news24.com.

[13]. C. Bargelès, « Confinement : la police et l’armée sud-africaines mises en cause dans des violences », RFI, 1er avril 2020, disponible sur : www.rfi.fr.

[14]. « RDC : le confinement de la Gombe tourne au chaos », Politico.cd, 6 avril 2020, disponible sur : www.politico.cd ; « RDC : heurts avec la secte Bundu dia Kongo sous fond de lutte contre le coronavirus », RFI, 31 mars 2020, disponible sur : www.rfi.fr.

[15]. N. Ngatane, « Lesotho PM Thabane’s Decision to Suspend Parliament Over Lockdown Challenged », Eyewitness News, 8 avril 2020, disponible sur : https://ewn.co.za.

[16]. J.D. Mihamle, « Lesotho : accord pour le départ du Premier ministre », Africanews, 22 avril 2020, disponible sur : https://fr.africanews.com.

[17]. P. Tau, « Covid-19: Botswana Parliament Endorses 6-Month State Of Emergency », City Press, 9 avril 2020, disponible sur : https://city-press.news24.com.

[18]. « La Tanzanie s’en remet à Dieu pour se protéger du coronavirus et refuse de sacrifier son économie », Le Monde, 21 avril 2020, disponible sur : www.lemonde.fr.

[19]. « Coronavirus : l’UE garantit 15 milliards d’euros en faveur des pays les plus vulnérables », Le Monde, 7 avril 2020, disponible sur : www.lemonde.fr.

[20]. G. Marawanyika, « IMF Says Zimbabwe Needs Aid Urgently to Ease Humanitarian Crisis », Bloomberg, 3 avril 2020, disponible sur : www.bloomberg.com.

 

 

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Victor MAGNANI

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Ancien Chargé de projets, Centre Afrique subsaharienne de l'Ifri

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Créé en 2007, le centre Afrique subsaharienne de l’Ifri produit une analyse approfondie du continent africain, de ses dynamiques sécuritaires, géopolitiques, politiques et socio-économiques (en particulier le phénomène d’urbanisation). Le Centre se veut à la fois, via les différentes publications et conférences, un espace de diffusion d’analyses à destination des médias et du public mais aussi un outil d'aide à la décision des acteurs politiques et économiques à l'égard du continent.  

 

 

Le centre produit des analyses pour différents organismes tels que le ministère des Armées, le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’Agence française de développement (AFD) ou encore pour différents soutiens privés. Ses chercheurs  sont régulièrement auditionnés par les commissions parlementaires.

 

 

L’organisation d’événements de divers formats complète la production d’analyses en amenant les différentes sphères de l’espace public (académique, politique, médiatique, économique et société civile) à se rencontrer et à échanger outils d’analyse et visions du continent. Le Centre Afrique subsaharienne accueille régulièrement des responsables politiques de différents pays d’Afrique subsaharienne. 

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