Publié le 15/12/2016

Thierry VIRCOULON, interviewé par Christophe RIGAUD sur Afrikarabia

A quelques jours de la fin du mandat du présisent Joseph Kabila, Kinshasa retient son souffle et redoute une flambée de violence alors que les négociations entre la majorité et l'opposition sont au point mort. Thierry Vircoulon nous livre les différentes hypothèses d'une transition à haut risque qui se profile.

 

Afrikarabia : Que peut-on attendre des ultimes tractations en cours entre l’opposition et la majorité présidentielle avant la date fatidique du 19 décembre ?

Thierry Vircoulon : Ces négociations piétinent. Elles achoppent sur deux points principaux : le fait que Joseph Kabila se prononce publiquement pour dire qu’il ne briguera pas de nouveau mandat et sur le calendrier électoral. Cette médiation de la dernière chance a été tentée par l’Eglise catholique congolaise et aucun des deux camps ne voulaient être perçus comme celui qui refuserait cette ultime négociation. Leurs positions semblent encore très divergentes sachant qu’après le 19 décembre, Etienne Tshisekedi considère que le président Kabila n’a plus aucune légitimité légale. A moins d’une surprise de dernière minute, les probabilités sont très minces pour que cette médiation aboutisse.

 

Afrikarabia : Craignez-vous de violents affrontements dans la rue après la date du 19 décembre ?

Thierry Vircoulon : Plusieurs scénarios sont possibles. Le premier est un soulèvement populaire à Kinshasa seulement. Le second est un verrouillage sécuritaire qui empêche toute manifestation à Kinshasa mais avec une forte mobilisation en province et notamment dans les Kasaï comme on l’a vu récemment à Tshikapa ou Kananga. La troisième hypothèse est que les deux se passent en même temps, avec à la fois des mouvements de révolte plus ou moins coordonnées à Kinshasa et en province. Quatrième scénario qu’il ne faut pas négliger, c’est que finalement il ne se passe rien, compte tenu de l’emprise du contrôle sécuritaire.

 

Afrikarabia : L’appareil sécuritaire congolais est-il toujours fidèle au président Kabila ?

Thierry Vircoulon : On a vu que pendant les différentes confrontations du mois de septembre, il y avait des unités qui avaient été sanctuarisées par le pouvoir. Ce sont ces mêmes unités qui seront utilisées pour la répression parce qu’elles sont composées de personnes dont la loyauté au pouvoir ne fait aucun doute. Mais attention, la majorité de la police, mais aussi de l’armée, n’est pas dans une stratégie de loyauté aveugle. Une des questions qui se posera sur la gestion sécuritaire de l’après 19 décembre sera le paiement des hommes de ces services pour qu’il reste loyaux. Il ne faut pas oublier que cette crise électorale se déroule sur fond de grave crise économique et budgétaire en RDC.

 

Afrikarabia : Si Joseph Kabila peut compter sur son système sécuritaire, peut-il également compter sur ses pays voisins ?

Thierry Vircoulon : Comme cela a déjà été le cas dans le passé, Joseph Kabila pourrait obtenir un coup de main de l’Angola, notamment s’il y a un soulèvement à Kinshasa, parce que les troupes angolaises ne sont pas très loin. Il semble qu’à Luanda, comme à Brazzaville, on est assez inquiets de la situation en RDC. Ces deux pays fermeront sans doute leurs frontières préventivement avant le 20 décembre. Est-ce que ces régimes iront jusqu’à soutenir militairement Joseph Kabila en cas de soulèvement ? La question reste posée. En tout cas, il est clair que ces deux voisins préfèreraient trouver un arrangement pour prolonger le président Kabila au pouvoir.

 

Afrikarabia : Après le 19 décembre, la RDC va obligatoirement entrer dans une phase de transition. Que doit-on attendre de cette période transitoire ?

Thierry Vircoulon : Il y a deux hypothèses. Soit il y a un accord avec le Rassemblement d’Etienne Tshisekedi et dans ce cas nous aurons affaire à une transition classique avec un partage du pouvoir entre le président Kabila et l’opposition. Soit il n’y a pas d’accord et on rentre dans une période de tension et d’incertitude très importante avec une année 2017 qui sera l’année de tous les dangers. Sans accord avec le Rassemblement, le nouveau gouvernement de Samy Badibanga va se retrouver dans une situation très inconfortable. D’une part, la population ne reconnaitra pas la légitimité de cette transition, et d’autre part les occidentaux garderont leurs distances vis à vis de ce gouvernement. Cela fera une grande différence avec la transition congolaise précédente où il y avait un soutien international extrêmement fort. Après le 19 décembre, on rentrera dans une transition complètement différente. Cette transition ne sera validée que par l’Union africaine mais pas par les occidentaux. Ce qui créer une division claire au sein de la communauté internationale.

 

Afrikarabia : Dans votre dernière étude publiée à l’Institut français des relations internationales (IFRI) avec Mathilde Tarif [1], vous comparez les transitions politiques au Mali, en Centrafrique et en Somalie. Quelle serait une transition réussie en RDC ?

Thierry Vircoulon : Ce serait une transition qui naîtrait d’un accord politique entre le pouvoir et le Rassemblement d’Etienne Tshisekedi et qui serait donc légitimée par l’opposition et dont l’objectif serait d’organiser les élections le plus tôt possible. C’est cela une transition réussie : un consensus de la classe politique congolaise autour de l’organisation rapide des élections.

 

Propos recueillis par Christophe RIGAUD – interview publiée sur le site Afrikarabia [2]