Publié le 06/02/2017
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Tatiana KASTOUEVA-JEAN, citée par Catherine Gouëset dans l'Express

Les signaux d'accommodement envoyés à la Russie par le 45e président des Etats-Unis ont probablement contribué à l'escalade de violence dans l'est de l'Ukraine depuis une semaine. Voici pourquoi.

Près de quarante morts en une semaine. Les violences dans l'Est de l'Ukraine la semaine passée sont les pires depuis l'instauration d'un cessez-le-feu "illimité" fin décembre. Elles interviennent quelques jours après l'entrée en fonction du nouveau président américain. Faut-il y voir un lien? 

Les autorités de Kiev et les rebelles s'accusent mutuellement, comme elles l'ont souvent fait par le passé. "Les premiers accrochages sont très probablement dus à la dynamique locale", observe Ioulia Shukan, spécialiste de l'Ukraine à l'université Paris Nanterre. Les adversaires tentent en permanence de grignoter du terrain, en dépit de l'accord signé à Minsk en février 2015. Dans le secteur très peuplé d'Avdiïvka, tout près de la ligne de front, des affrontements se sont déjà produits par le passé. Il s'agit parfois d'avancer de quelques centaines de mètres." 

Tester la position de la nouvelle administration Trump

Pourquoi ces escarmouches ont-elles pris une telle ampleur au cours des derniers jours? "Les premières échauffourées ont sans doute servi de prétexte pour tester la position de la nouvelle administration Trump, alors que la crise est bloquée", poursuit Ioulia Shukan. Les discussions qui se poursuivent à Minsk portent surtout sur des détails tels que les factures d'eau ou d'électricité d'un secteur à l'autre. Les négociations de fond, elles, sont paralysées tant que la sécurité n'est pas assurée.  

A l'inverse de l'administration Obama, qui condamnait aussitôt chaque accrochage, l'équipe de Donald Trump a attendu deux jours avant de réagir. L'ambassadrice américaine à l'ONU, Nikki Haley a averti jeudi que les sanctions contre la Russie resteront en place "jusqu'à ce qu'elle redonne le contrôle de la péninsule [de Crimée] à l'Ukraine".  

Cette réaction prend à revers la volonté de réchauffement des relations avec Moscou affirmée par le nouveau président américain: mi-janvier, il a évoqué une éventuelle levée des sanctions en échange d'un nouvel accord sur le désarmement et d'une coopération dans la lutte contre le terrorisme. Il a réitéré cette volonté d'apaisement par son coup de fil à Vladimir Poutine, le 28 janvier, ou ce weekend, quand il a minimisé les crimes de la Russie sur Fox News.  

A Donetsk, la peur d'un lâchage...

Quelle part joue la Russie dans cette flambée de violence? "Sans exonérer Moscou de ses responsabilités à l'origine de la crise, Vladimir Poutine est aujourd'hui celui qui a le moins intérêt à une montée des tensions, observe Tatiana Kastouéva-Jean, chercheure à l'IFRI. Plusieurs tendances politiques s'affrontent dans l'entourage de Trump. Un regain de tension risque de conforter les partisans de la ligne la plus hostile à la Russie. La réaction de Moscou aux accrochages a d'ailleurs été plus mesurée que de coutume: les médias russes n'ont cette fois pas accusé Kiev directement." 

Les rebelles pro-russes de l'Est de l'Ukraine, de leur côté, peuvent être inquiets de la rhétorique qui se met en place entre les deux grandes puissances. En disant vouloir "travailler avec la Russie pour mettre fin au conflit", Trump -consciemment ou par naïveté- va à l'encontre du discours du Kremlin selon lequel la crise du Donbass est un conflit entre Ukrainiens. A Donetsk "capitale" des rebelles, ce langage a peut-être inquiété. "Dans la perspective de nouvelles relations entre Russes et Américains, les rebelles craignent peut-être un futur arrangement au-dessus de leur tête", avance Tatiana Kastouéva-Jean. 

Sur le terrain, le contrôle de la Russie sur les insurgés n'est pas total. "Les escarmouches sont probablement du ressort des acteurs locaux", juge Ioulia Shukan. Les grandes orientations, à l'inverse, sont fixées par le Kremlin. Raison pour laquelle, l'Otan a demandé à Moscou, mercredi dernier, à user de sa "considérable influence" pour mettre fin aux violences. Avec succès, visiblement, puisque la région a retrouvé un calme relatif ce lundi. 

L'inquiétude grandit aussi à Kiev

A l'aune des déclarations pro-Poutine de Trump, les autorités ukrainiennes sont quant à elles inquiètes d'un possible lâchage par les Etats-Unis. Kiev a tenté en vain d'entrer un contact avec la Maison Blanche depuis l'arrivée de Trump au pouvoir, jusqu'à ce weekend, après la flambée de violence. Cette inquiétude fait courir le risque d'une surenchère, seul moyen pour Kiev de rappeler la menace que fait peser la Russie sur son intégrité, souligne l'International Crisis Group. Une montée des tensions peut aussi arranger le président ukrainien alors qu'il est critiqué en interne pour sa faiblesse dans la lutte contre la corruption.  

La préoccupation est d'autant plus vive que dans le même temps, l'Europe a aussi d'autres chats à fouetter, avec le Brexit et plusieurs compétitions électorales cette année. Ces scrutins eux-mêmes sont source de doute alors que plusieurs candidats proposent un rabibochage avec la Russie. "Une levée des sanctions ne laisserait d'autre choix à Kiev que l'escalade" avertit l'International Crisis Group. Les décisions à venir de l'administration Trump ont donc toutes les chances de peser sur la crise ukrainienne. Qu'il le veuille ou non. 

lire l'article sur l'Express [1]