Publié le 17/03/2017

Corentin BRUSTLEIN, cité par Marc Semo dans Le Monde.

Fin décembre 2016 à l’ONU, 113 pays ont voté une résolution, afin de convoquer une conférence « chargée de négocier un instrument juridiquement contraignant d’interdiction des armes nucléaires conduisant à leur élimination totale ».

L'argumentaire est au moins autant moral que politique : toute utilisation des armes nucléaires aurait des « conséquences inhumaines » et celles-ci ne servent pas à grand-chose face aux menaces qui pèsent aujourd'hui sur leurs détenteurs. Alors que les pays possédant l'arme nucléaire ont engagé des investissements importants pour rénover leur arsenal, le mouvement pour l'interdiction totale agrège des soutiens. Fin décembre 2016, lors de l'assemblée générale de l'ONU, 113 pays (contre 35 et 13 abstentions) ont voté la résolution 141, afin de convoquer une conférence « chargée de négocier un instrument juridiquement contraignant d'interdiction des armes nucléaires conduisant à leur élimination totale ». Elle se tiendra du 27 au 31 mars, puis du 15 juin au 7 juillet.

« Nous n'allons pas interdire les armes nucléaires d'ici à la fin de l'année, mais nous souhaitons affirmer un certain nombre de principes et montrer qu'une écrasante majorité de pays estiment leur possession inacceptable », explique un haut diplomate autrichien. Vienne est l'une des capitales les plus engagées, avec Dublin et Mexico, dans cette bataille soutenue par un nombre croissant d'ONG et d'organisations internationales. Les armes nucléaires sont les dernières armes de destruction massive à n'être soumises à aucune interdiction, à la différence des armes biologiques (1972) et chimiques (1993).

Paradoxalement, alors que l'Europe doit à nouveau faire face à la menace russe et que l'Asie est confrontée à une Corée du Nord devenue puissance nucléaire, jamais la mobilisation pour une interdiction « universelle, totale et vériflable », lancée notamment par la Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires (ICAN), fondée en 2007, n'a eu autant d'écho. Ce mouvement international bénéficie du soutien de personnalités - anciens chefs d'Etat ou de gouvernement comme Mikhaïl Gorbatchev ou Michel Rocard, décédé récemment, ex-ministres de la défense comme Paul Quilès et anciens ministres des affaires étrangères comme Henry Kissinger ou Joschka Fischer.

« De bonne foi »

La stratégie consiste à mobiliser les opinions publiques en regroupant un maximum de pays, afin d'isoler les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, détenteurs de l'arme nucléaire (Chine, Etats-Unis, France, Royaume-uni, Russie). Elle est semblable à celle qui mena à la convention interdisant les mines antipersonnel (1997) et les armes à sous-munitions (2008), que des pays comme les Etats-Unis, la Russie, la Chine et l'Inde, utilisateurs massifs de ces armes, n'ont jamais signée. A défaut d'être hors-la-loi, l'emploi de telles armes devient néanmoins toujours plus honteux.

Les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France et la Russie ont voté contre la résolution L41, tout comme Israël. La Chine, en revanche, s'est abstenue, ainsi que l'Inde et le Pakistan. La Corée du Nord a voté... pour. « Tout l'enjeu est de savoir si le désarmement nucléaire doit être immédiat en se fondant sur une base morale, ou s'il s'agit d'un processus progressif et négocié qui tient compte des impératifs de la sécurité internationale», explique un haut diplomate français, soulignant la nécessité de rester dans le cadre du traité de non-prolifération (TNF). Son article 6 stipule en effet que ses signataires s'engagent « à poursuivre de bonne foi des négociations » pour arrêter la course aux armements nucléaires et arriver, à terme, « à un traité de désarmement général et complet». Mais rien n'avance sur ce point, au contraire.

Alors que les puissances nucléaires - en premier lieu les cinq signataires du TNF - modernisent leurs arsenaux, l'idée de tenter une autre voie a émergé. «Etablir une nouvelle norme juridique internationale forte permettra de stigmatiser les armes nucléaires et obligera les Etats à prendre des mesures urgentes sur le désarmement », résume Jean-Marie Collin, vice-président des Initiatives pour le désarmement nucléaire, qui mène la bataille en France. En outre, 82 députés et 19 sénateurs ont signé un appel pour réclamer un référendum sur l'arme nucléaire. Une telle consultation est possible si elle est demandée par 185 élus et un million de signatures.

Risques d'affaiblissement

Selon la phrase de Raymond Aron, « la dissuasion contient l'extrême violence », dans les deux sens du terme « contenir » (inclure et limiter). « Depuis soixante-dix ans, le nucléaire a montré, une fois contrôlées les possibles proliférations, qu'il contribuait à éviter la guerre », assure Corentin Brustlein, de l'Institut français des relations internationales (IFRI). Ce chercheur relève néanmoins que les effets de la mobilisation internationale se font sentir au sein de l'OTAN. «De réelles dissonances risquent d'affaiblir les capacités de l'Alliance à rester un tout cohérent, alors qu'elle doit faire face à de nouvelles réalités stratégiques», prévient-il.

L'exemple des Pays-Bas - un des cinq pays de l'OTAN hébergeant des armes nucléaires américaines avec la Belgique, l'Italie, l'Allemagne et la Turquie - est à cet égard révélateur. L'opinion y est très hostile au nucléaire, civil et surtout militaire. Des ONG, les Verts et la gauche ont recueilli 40000 signatures pour un vote au Parlement qui a imposé au gouvernement d'être ouvert à un traité sur le désarmement nucléaire. La Haye s'est ainsi abstenu à l'ONU, se mettant en porte-à-faux avec ses alliés. « Notre position est difficile, voire intenable, mais nous essayons déjouer un rôle de médiateur », reconnaît Sico van der Meer, de l'Institut néerlandais des relations internationales de Clingendael.

Un temps hésitante, l'Allemagne s'est mise au diapason de ses partenaires de l'OTAN face aux partisans de l'interdiction totale. « Cette approche se prétend moralement supérieure mais elle risque surtout de ne pas être très efficace », note Oliver Meier, de l'institut de recherche allemand en relations internationales et sécurité SWP. Le traité voulu par les partisans de l'abolition risque d'hypothéquer toute négociation au sein du TNF en braquant les puissances nucléaires. Washington, Paris et Londres ne participeront pas aux discussions de la conférence de l'ONU. Or sans l'implication des détenteurs d'arsenaux nucléaires et sans de réelles possibilités de vérification, toute interdiction resterait vaine.

Lire l'article sur Le Monde. [1]