Publié le 19/05/2017

Alain ANTIL, cité par Camille Belsoeur sur Slate.fr

Le président s'est rendu à Gao au Mali, le 19 mai, pour saluer les troupes françaises de l'opération Barkhane. Pour certains observateurs, l'une des causes du regain de violence est l'incapacité des forces militaires à prendre en compte les aspirations des populations locales.

«Cette opération durera le temps nécessaire». En prononçant ces mots, lors d'une conférence de presse donnée le 11 janvier 2013 pour annoncer l'intervention des forces françaises au Mali à la demande des autorités locales menacées alors par une coalition de groupes djihadistes et indépendantistes, François Hollande pensait-il que la guerre s'éterniserait dans le sable du désert et se poursuivrait au-delà de son mandat? 

En remettant les clés de l'Elysée à Emmanuel Macron, l'ex-chef d'État lui a aussi laissé une guerre entre les mains: l'opération Barkhane, qui a pris le relais de l'opération Serval en août 2014, menée par l'armée française en coopération avec les autres pays de la région du Sahel (Burkina Faso, Tchad, Mauritanie, Niger). Signe que le tout nouveau président a conscience de l'enjeu sur place, il s'est rendu à Gao le 19 mai pour saluer les troupes françaises et s'entretenir avec son homologue malien Ibrahim Boubacar Keïta. C'était son deuxième déplacement à l'étranger, après sa rencontre avec la chancelière allemande Angela Merkel à Berlin. 

Il a confirmé que l'armée française resterait engagée sur place pour lutter contre les groupes terroristes. 

«La France est engagée depuis le début à vos côtés et ce que je suis venu ici vous dire, de manière très claire, c'est qu'elle continuera à l'être, de la même manière (...) La détermination de la France sera complète à vos côtés pour la sécurité non seulement du Mali mais du Sahel, en continuant l'engagement de nos forces (...), en continuant à nous engager aussi dans une feuille de route diplomatique et politique», a déclaré Emmanuel Macron lors d'une conférence de presse commune avec le président malien «IBK».

Le «Far West» malien 

En janvier 2013, François Hollande avait dressé trois grands objectifs que devait remplir l'intervention française au Mali: «arrêter l'agression terroriste qui consistait à vouloir, y compris jusqu'’à Bamako, le contrôle du pays», «sécuriser Bamako» et «permettre au Mali de recouvrer son intégrité territoriale», selon ses mots. Si, contrairement à 2012, les groupes djihadistes et salafistes ne menacent plus l'intégrité du pays, et que les grands axes du pays sont sécurisés, de larges pans du territoire échappent toujours au contrôle de Bamako. Pire, depuis quelques mois, la situation sécuritaire, jamais stabilisée dans le nord, s'est dégradée de manière inquiétante dans le centre du pays. 

«La dégradation de la situation sécuritaire dans les régions dites du nord et du centre du pays participe au fait que ni Serval, ni Barkhane, ni la Minusma (la mission de maintien de la paix des Nations unies au Mali), n’ont réussi leur mandat ou mission. D’une part, à combattre et à réduire les repères des terroristes, qui mutent au gré des contingences entre les groupes islamistes et djihadistes confinés dans Kidal et dans d’autres localités. D’autre part, à ne point s’adapter et mieux comprendre les acteurs réels en scène», témoigne Naffet Keita, anthropologue spécialiste du djihad à l'université de Bamako. 

En 2015, un accord de paix, qui avait mis fin au conflit armé de 2012-2013, avait pourtant soulevé l'espoir d'une normalisation. Mais, «les signataires n’ont pas réussi à appliquer plusieurs de ses dispositions essentielles, en particulier celles qui concernent le désarmement de milliers de combattants. En 2016, le nombre de morts au sein des forces de maintien de la paix des Nations Unies a doublé par rapport à l’année 2015, pour atteindre 29», souligne l'ONG Human Rights Watch dans un rapport datant du 18 janvier. 

Dans le centre du Mali, des combattants islamistes multiplient désormais les menaces, intimidations et crimes contre des policiers ou des chefs de village soutenant l'armée malienne. Récemment, le site d'information Le Journal du Mali qualifiait ainsi de «Far West» une large partie du pays. En mars dernier, les chefs djihadistes les plus recherchés de la région ont, en guise de pied de nez aux troupes françaises, diffusé une vidéo dans laquelle ils annoncent côte à côte la fusion de leurs groupes au sein d’une nouvelle organisation baptisée « Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans ». 

Régler les violences intercommunautaires

  • «Le dispositif militaire n'est pas assez étendu numériquement pour permettre un retour au calme dans le nord du Mali. On a 10 à 20.000 soldats pour un territoire qui fait un peu plus que la surface de la France métropolitaine. La Minusma sécurise les grands axes et les principaux lieux habités et le dispositif Barkhane a deux buts: éviter que les groupes salafistes-djihadistes puissent de nouveau être en capacité de contrôler un territoire, et permettre aux armées du G5 (cinq pays du Sahel) d'interagir entre elles», explique Alain Antil [1], responsable du programme Afrique subsaharienne à l'Institut français des relations internationales (Ifri). 
  • «On a 10 à 20.000 soldats pour un territoire qui fait un peu plus que la surface de la France métropolitaine», Alain Antil [1], chercheur à l'Institut français des relations internationales.

Pour la France, l'objectif de l'opération Barkhane est de sécuriser les zones instables pour permettre aux autorités maliennes d'accélérer le développement du pays. L'armée française ne peut donc pas tout.

  • «Barkhane fait son travail. Mais l'armée malienne n'arrive pas à se reconstruire. Sur le long terme, l'État malien doit pouvoir assurer la sécurité des populations et réussir à mettre sur pied une justice efficiente, notamment pour réguler l'accès entre populations aux ressources naturelles dans le centre et dans le nord du pays. Ce qui est un facteur de violences intercommunautaires aujourd'hui», poursuit Alain Antil [1]

«En cinquante ans, nous n'avons rien obtenu»

Mais, pour certains observateurs, l'une des causes du regain de violence au Mali est l'incapacité des forces militaires, dont l'opération Barkhane, à prendre en compte les aspirations des populations locales. Dans le nord du pays, le peuple touareg se sent mis à l'écart de la gestion du territoire par le gouvernement de Bamako et milite pour une plus grande autonomie, voire une indépendance. Les mots «Barkhane dégage» s'affichent ainsi les murs de la ville de Kidal

Dans une interview accordée au mois de mars, l'un des membres du célèbre groupe touareg Tinariwen nous expliquait comment les groupes islamistes étaient liées aux populations. 

«Celui qui a créé son mouvement islamique (Iyad ag Ghali), c’est quelqu'un de la région. Donc tu ne peux pas lui interdire. Il a les mêmes droits que toi sur son territoire. Lui il veut la charia, toi autre chose. S’il a la majorité, il a le pouvoir», disait Abdallah.

Une réalité que semble oublier la coalition armée emmenée par la France et le Mali. Dans une analyse publiée sur le site universitaire The Conversation, le chercheur de l'Université du Kent, Yvan Guichaoua, s'interrogeait sur l'aveuglement militaire de l'opération Barkhane.

«Régulièrement, les officiers de Barkhane déplorent, avec un soupçon de condamnation morale, la “porosité sociale ou économique” entre populations, mouvements signataires des accords de paix et mouvements djihadistes. (...) À quoi sert-il de sommer les populations de s’éloigner de “terroristes" qui ont les traits familiers de voisins, parents, (...) enfants? Quel sens y a-t-il à choisir le camp étatique lorsque l’État est vu comme l’origine même de vos tourments? Quelle confiance accorder à l’injonction de se distancer des terroristes émanant d’hommes surarmés, envoyés par l’ancien colonisateur, qui ne partagent ni votre langue ni votre religion?», écrivait-il. 

Où est le renouveau? 

Pour «réussir» au Mali et aider de manière durable son allié malien, Emmanuel Macron ne doit donc pas se concentrer sur une approche uniquement guerrière, la posture qu'il semble adopter pour le moment. 

«Il est temps que les partenaires donnent l’opportunité au corps social malien de jouir de son inventivité et d’apporter les solutions idoines au problème auquel ils font face. Ni l'accord de Ouagadougou (2013), ni les accords d'Alger (2015) n’ont abordé les relents spirituels de la crise. Le corps social malien se doit de s’exprimer et d’être pris en compte», appuie l'universitaire Naffet Keita. 

Dans son discours prononcé à Gao le 19 mai, il a également insisté sur la nécessité de contribuer au développement du Mali: «Les terroristes prospèrent sur la misère. Nous avons un travail de développement de long terme à conduire.» 

Mais tout porte à croire que, dans ce dossier, la continuité avec l'action menée sous le mandat de François Hollande sera de mise. L'influent ex-ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian a guidé la politique française dans la région. Emmanuel Macron l'a nommé au Quai d'Orsay et le breton, riche de ses contacts au Sahel et de ses liens privilégiés avec l'armée française, devrait continuer à être le chef d'orchestre de l'Elysée sur place. Il était du voyage avec Emmanuel Macron à Gao le 19 mai. Le conseiller Afrique du nouveau président aussi, Franck Paris, un homme lige de Le Drian, note le magazine Le Point. Âgé de 39 ans, cet ancien rédacteur spécialiste de l'Afrique centrale et orientale à la Direction Afrique et océan Indien (DAOI) au Quai d'Orsay a travaillé dans le cabinet de Le Drian au ministère de la Défense. 

Emmanuel Macron a également emmené Rémy Rioux, le directeur de l'Agence française de développement dans ses bagages au Mali. «Une manière de rassurer les acteurs du secteur, alors que le nouveau gouvernement ne comporte aucun ministère dédié au développement», analyse Jeune Afrique. Surtout que «l’opération Barkhane n’est pas l’indéniable succès vendu depuis trois ans par le ministère de la Défense devenu celui des armées», souligne Mediapart. 

Le «renouveau» prôné par Emmanuel Macron semble donc difficile à envisager au regard de la gestion de l'opération Barkhane. Ce qui risque d'ensabler un peu plus les troupes françaises au Sahel. 

Voir l'article sur Slate.fr [2]