Publié le 27/07/2017
Migrants, Calais

Matthieu TARDIS

Le 12 juillet 2017, le Premier ministre a présenté le plan d’action du gouvernement sur l’asile et l’immigration. Ce plan a fait l’objet de nombreuses critiques alors même que la situation sur le terrain est à nouveau extrêmement difficile depuis le début du printemps.

Très loin du renouvellement des pratiques ou d’une vision plus ouverte des questions migratoires que l’élection d’Emmanuel Macron en mai dernier avait laissé espérer, il marque un recul certain sur de nombreux points, en s’inscrivant dans la continuité de politiques qui, depuis 30 ans, visent à lier la politique d’asile à l’objectif de maîtrise des flux migratoires.

Faut-il encore réformer la politique d’asile française ?

La vallée de la Roya, Paris et Calais constituent des lieux symboliques qui mettent particulièrement en lumière les défis migratoires de la France. Ils illustrent également la réponse des pouvoirs publics, caractérisée avant tout par les contrôles à la frontière italienne que permet l’état d’urgence, par des évacuations à répétition des campements dans le nord de la capitale et une pression policière intense sur les côtes de la mer du Nord. La principale boussole de cette politique est la crainte de « l’appel d’air ».

Or, cette approche n’est pas durable, pour plusieurs raisons. L’état d’urgence ne durera pas indéfiniment et donc les contrôles aux frontières ne seront plus possibles dans leurs formes actuelles. Compte tenu de l’ampleur du défi, la ville de Paris ne peut gérer seule la situation sanitaire et humanitaire sur son territoire. Quant aux conditions de vie des migrants à Calais, le défenseur des droits les a décrites le 14 juin comme une « atteinte aux droits fondamentaux d’une exceptionnelle et inédite gravité », dénonçant au passage « la traque policière » dont font l’objet les migrants jour et nuit. Enfin, s’il est important de faire baisser la pression migratoire perçue comme importante, l’approche omet de prendre en considération deux éléments essentiels : d’abord la complexité et la durabilité du phénomène migratoire au niveau mondial, ensuite les dysfonctionnements structurels qui affectent le système français d’asile depuis de nombreuses années, bien avant la crise de 2015.

On sait que la politique d’asile a fait l’objet d’une réforme de fond il y a deux ans. Cette réforme visait à mettre la France au niveau des standards européens et, déjà, à répondre aux problèmes des demandeurs d’asile sans solution d’hébergement. Il s’agissait également de mieux répartir les populations de demandeurs d’asile sur l’ensemble du territoire national. Il s’agissait enfin d’accélérer la procédure d’asile, avec l’enregistrement des demandes d’asile dans un délai de trois jours et une proposition d’hébergement immédiate.

De toute évidence, cette réforme n’a pas été pleinement mise en œuvre. Dans certains endroits, il n’est pas rare aujourd’hui d’attendre un voire plusieurs mois avant d’obtenir un rendez-vous à la préfecture. Les capacités d’hébergement, quant à elles, restent insuffisantes en dépit d’un effort indéniable réalisé par les autorités entre 2015 et 2017. De ce point de vue, donc, le centre de premier accueil de la Porte de la Chapelle et la proposition de la maire de Paris de dupliquer ce dispositif dans d’autres villes ne peuvent constituer que des palliatifs à des défaillances qui n’ont fait que s’aggraver au cours des 15 dernières années.

Deux options se présentent alors aux pouvoirs publics. Ils peuvent considérer que l’afflux actuel de migrants est exceptionnel par son ampleur et, sur cette base, décider des mesures exceptionnelles, telle que, par exemple, l’ouverture de centres de premier accueil. À l’inverse, ils peuvent estimer que le cadre juridique actuel est à même de résoudre les difficultés rencontrées aujourd’hui sur le terrain. Cette seconde option est sans doute envisageable, à condition toutefois que la loi soit effectivement appliquée. Si plusieurs propositions du plan semblent effectivement s’orienter vers cette seconde option (par exemple en termes d’accélération de l’enregistrement et du traitement des demandes d’asile), l’ensemble des propositions qui y sont faites soulignent combien la préoccupation prioritaire demeure la maîtrise et le contrôle des flux entrants et sortants.

Des « migrants économiques » contre « réfugiés » ?

Si aucun responsable français n’entend remettre en cause la tradition française d’accueil des réfugiés, il semble toutefois que les discours récents opèrent un glissement depuis l’objectif d’assurer l’accueil des populations en besoin de protection vers celui de lutter contre l’immigration irrégulière. Cela instrumentalise la politique d’asile au service d’une politique de plus fort contrôle des frontières.

Le nouveau gouvernement ne déroge pas à cette rhétorique et en intensifie la portée d’une façon qui semble inédite. On mesure le contraste entre les propos du président de la République sur l’accueil des réfugiés comme « un devoir et un honneur » et ceux de son ministre de l’Intérieur, évoquant à propos des mêmes personnes, afghanes ou érythréennes, des migrants qui « s’enkystent » à Calais. Ce décalage a d’ailleurs désorienté les acteurs de terrain impliqués sur ces questions.

D’une certaine façon, le plan du 12 juillet clarifie la situation en ce qu’il indique sans doute plus clairement où se situe aujourd’hui le curseur gouvernemental : il semble en effet que la défense du droit d’asile soit devenue un prétexte pour mieux contrôler les frontières extérieures de l’UE et renforcer la politique d’éloignement des étrangers en situation irrégulière. Cela remet au goût du jour des propositions en vogue dans les années 2007-2008 qui visaient, par exemple, à allonger la durée de rétention des étrangers et à réduire les possibilités de recours devant le juge.

Pour mieux justifier de telles mesures – dont, rappelons-le, l’efficacité n’a jamais été établie –, la figure du « migrant économique » a émergé comme une figure opposée à celle du réfugié. On retrouve cette opposition entre « migrants économiques » et « réfugiés » dans la déclaration de politique générale prononcée par le Premier ministre au début du mois de juillet. Mais cette opposition ne s’accompagne pas d’une définition de ce que recouvre la figure du migrant économique ni d’une réflexion sur les raisons et les conditions de l’exil en 2017. La perception du réfugié reste celle des années 1970 et l’action publique s’appuie sur les mêmes recettes que dans les années 1990.

Le risque d’une telle approche est de vider le droit d’asile de sa substance et d’en faire une protection illusoire pour les personnes en danger, dont les situations individuelles et familiales ne correspondent pas à cette vision dépassée du statut de réfugié. De plus, cette approche n’empêchera pas les mouvements migratoires et les drames qui l’accompagnent. Au mieux, elle les endiguera loin de nos yeux, mais pour combien de temps ?

Enfin, l’absence de pragmatisme de la politique esquissée aujourd’hui par le gouvernement résulte en partie également d’un problème de méthode. L’approche aurait pu s’appuyer sur les leçons tirées de la crise des réfugiés de 2015 et des dynamiques sociales et institutionnelles qui ont contribué, au-delà des tensions entre les États membres, à maintenir un vecteur de solidarité au sein de l’UE : des citoyens européens et de nombreuses villes ont fait preuve de résilience et de solidarité au moment de l’arrivée de centaines de milliers de migrants, s’imposant de fait comme des acteurs nouveaux des politiques migratoires.