Publié le 19/08/2017

Thomas GOMART, interview parue dans L'Obs. Propos recueillis par Justine Benoit

100 JOURS DE MACRON. Thomas Gomart, directeur de l'Institut français des relations internationales, juge les premiers pas du président sur la scène internationale.

Femmes et hommes politiques, économistes, chefs d'entreprises, syndicalistes… Chaque jour, pour "l'Obs", un expert ou une personnalité dresse le bilan des premiers pas d'Emmanuel Macron à la présidence de la République. Thomas Gomart est le directeur de l'Institut français des relations internationales depuis 2010. Il nous livre, à ce titre, son ressenti sur les premiers mois de mandat du président Emmanuel Macron en matière de politique étrangère.

Quelles sont vos premières impressions sur le début de mandat d'Emmanuel Macron ?

C'est une entrée réussie en matière de politique étrangère. Il a su à la fois combiner la symbolique et le style. En termes symbolique, je pense à trois séquences.

  • Il a reçu Vladimir Poutine à Versailles.
  • Il a exprimé sa singularité lors de l'annonce américaine du retrait de l'accord de Paris sur le climat.
  • Et, en recevant Donald Trump pour le défilé du 14-Juillet, il a rappelé l'un des fils rouges de la politique étrangère française, la relation très spécifique qui existe entre Washington, Londres et Paris depuis 1917, date de l'entrée en guerre des Etats-Unis.

Côté style aussi, c'est une réussite. Nous avons un président qui, en dépit de son manque d'expérience des questions internationales, a su très vite imposé son assurance, sa fluidité et une certaine audace.

Quels sont les bons points que vous accorderiez ?  

Je ne sais pas s'il faut parler en termes de bons ou de mauvais points. Je pense surtout qu'il faut comprendre les enjeux de la politique étrangère comme une priorité donnée aux questions européennes et en particularité à la relation avec l'Allemagne. Il a fait de cette relation le canal par lequel il peut y avoir une sorte de position européenne vis-à-vis de la Chine, de la Russie et des Etats-Unis. Donc finalement le bon point, c'est cette articulation entre une crédibilité européenne et les dossiers de politique internationale. Ce qui rappelle l'enjeu de l'équilibre franco-allemand, ainsi que l'importance du statut nucléaire de la France et de son siège permanent au Conseil de sécurité, importance accentuée par le Brexit.

Et les mauvais points ?

C'est sans aucun doute la crise civilo-militaire. Car il n'y a pas de politique étrangère, de diplomatie sans outil militaire. C'est une dialectique immuable. Cette crise qui s'est traduite par la démission du général de Villiers a altéré la confiance entre l'institution militaire et la présidence de la République. Elle s'explique surtout par la difficulté chez Emmanuel Macron de saisir la "chose militaire".

C'est un phénomène de génération, car il est le seul président de la Ve République à n'avoir strictement aucune expérience militaire. Par ailleurs, son expérience personnelle le conduit à privilégier une lecture macroéconomique de la vie internationale. Or celle-ci est aussi caractérisée par la conflictualité. Il est en train de faire son éducation en termes civilo-militaire, mais cette éducation, il l'a commencée par une crise aiguë, qui était évitable. Et elle risque d'avoir des répercussions sur la politique étrangère française.

Quels sont les dossiers prioritaires dont Emmanuel Macron doit se saisir à la rentrée ?

Les dossiers prioritaires tiennent surtout à la crédibilité de la France dans le cadre européen. Certains partenaires questionnent déjà l'appétence européenne du président. C'est surtout le cas en Italie actuellement. La relation a été perturbée par l'affaire des chantiers navals qui a, en comparaison, peu d'importance par rapport à la question de la crédibilité économique de l'Italie dans la zone euro. Et puis, côté italien, on se sent délaissé par les partenaires européens sur la question migratoire.

Le Brexit, lui, est un dossier encore plus spécifique. La prochaine loi de programmation militaire dépend en partie de la nature de la relation qu'on souhaite avoir avec les Britanniques. L'intérêt de Paris est donc que le divorce entre le Royaume-Uni et l'Union européenne se passe dans les moins mauvaises conditions.

Enfin, pour l'instant, Emmanuel Macron n'a pas établi de contact direct avec Xi Jinping, le leader chinois. Or la relation avec la Chine est un dossier de court, moyen et long terme. A court terme, la crise avec la Corée du Nord menace les équilibres stratégiques globaux. A moyen terme, il faut à la fois continuer d'attirer des capitaux chinois et des touristes chinois, tout en prônant une réciprocité sur les investissements européens en Chine. A long terme, la France doit trouver une réponse à la montée en puissance militaire de Pékin, ainsi qu'à l'intensification de ses projets de routes de la soie.

Quelle note donneriez-vous pour ces premiers pas en politique étrangère ?  

7/10. Bon début, qui reste à confirmer. Attention toutefois aux excès de confiance.

 

Voir l'interview sur le site de l'Obs [1]