Publié le 07/11/2017

Laurence NARDON, article publié dans L'Opinion 

La conduite de la politique étrangère américaine depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump déconcerte. Selon les sujets et selon les semaines, les déclarations et les décisions du président oscillent entre un positionnement nationaliste et le respect des pratiques de la diplomatie internationale. La psychologie du président ajoute à l’imprévisibilité, entre ses nombreux tweets (@realDonaldTrump), souvent agressifs, parfois ineptes, et ses réactions impulsives, telles que la frappe punitive d’avril 2017 en Syrie. 

La politique étrangère de Trump privilégie l’Amérique de façon égoïste. Selon la classification de Walter Russell Mead, elle correspond au positionnement des présidents Jackson et Hamilton. Elle propose, d’une part, un nationalisme de repli (« America First ») non interventionniste, sauf lorsque les intérêts des citoyens américains sont directement en cause. Ainsi Trump érige-t-il au rang de priorité la lutte contre Daech – responsable de plusieurs attentats meurtriers aux États- Unis. D’autre part, elle incorpore un élément hamiltonien, avec le choix d’une politique commerciale subordonnée à l’intérêt national et à des éléments de mercantilisme. Lorsque Trump désigne le manque de réciprocité dans les échanges avec la Chine, lorsqu’il annonce vouloir renégocier les grands accords commerciaux afin d’obtenir un meilleur deal, il se situe dans cette tradition, confirmant sa vision des échanges comme autant de jeux à somme nulle.

Adultes responsables. L’influence de son cercle de conseillers d’obédience plus traditionnelle a été visible au début de son mandat. Le secrétaire à la Défense James Mattis, le conseiller pour la sécurité nationale Herbert R. McMaster, l’ambassadrice aux Nations Unies Nikki Haley, et le secrétaire d’État Rex Tillerson (ce dernier en retrait), désignés par la presse comme les « adultes responsables » de la Maison Blanche, ont réussi à faire adopter par le président – sur certains points – une approche multilatéraliste, fidèle à l’esprit de « l’ordre international libéral » de 1945.

C’est ainsi qu’on a pu entendre Donald Trump tenir des propos favorables à l’Otan et à l’Union européenne. De même, lors de l’annonce du maintien des forces américaines en Afghanistan en août 2017, le président a déclaré que si son « instinct de départ » était « de partir », ses conseillers l’avaient convaincu d’une approche moins radicale. Le fait qu’il ait accepté par deux fois de certifier le respect par l’Iran de ses obligations dans le cadre de l’accord nucléaire « Joint comprehensive plan of action » (JCPOA) peut être interprété de la même façon. Ce cercle de conseillers représente le contre-pouvoir le plus efficace du président. Il est pourtant souvent réduit à réparer les dégâts au lendemain d’une de ses déclarations incendiaires.

Obstination idéologique. À l’automne 2017, la ligne populiste semble néanmoins l’emporter. Les Etats-Unis se sont retirés du Partenariat transPacifique (TPP), des accords de Paris sur le climat, et de l’Unesco ; une renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) est en cours et, en octobre, le président a refusé de certifier pour la troisième fois le respect par l’Iran du JCPOA. Vis-à-vis de l’Europe, les atermoiements présidentiels se sont conclus, pendant son voyage de mai dernier, par l’expression d’une certaine hostilité lors du discours au nouveau QG de l’Alliance atlantique à Bruxelles, et d’un ennui certain, lors du G7 de Taormine. Le projet de l’UE est aux antipodes de la posture nationaliste portée par Trump et son ex-conseiller Steve Bannon, lequel reste influent malgré son éviction.

Compte tenu des conséquences désastreuses de ces différents retraits pour l’Amérique elle-même, il s’agit là d’une obstination idéologique plus que d’une attitude pragmatique. Dans le Wall Street Journal du 30 mai, Herbert R.McMaster et le directeur du Conseil national pour l’économie, Gary Cohn, expliquent qu’aux yeux du président, « il n’y a pas de “communauté mondiale”, le monde est une arène dans laquelle les nations, les acteurs non gouvernementaux et les entreprises sont en relation et en compétition ». Avec Trump, la vision américaine du monde bascule du multilatéralisme à l’état de nature.

  • Dans une Maison Blanche qui connaît un nouveau psychodrame toutes les semaines et une valse permanente des conseillers, la tendance nationaliste semble ainsi l’emporter. Quitte à mettre en jeu la sécurité d’ensembles régionaux

Ainsi du Moyen-Orient où la non-certification du JCPOA va provoquer de nouveaux remous et en Extrême-Orient où l’escalade avec Kim Jong-Un est sans doute le feuilleton le plus dangereux de ce début de siècle. Après la décennie irakienne de Bush et la présidence réticente d’Obama, cette politique erratique entraîne une nouvelle dégradation de l’image des États-Unis dans le monde. La démocratie américaine pouvait servir de modèle au temps où elle était exemplaire, mais comment donner des leçons aux dictatures dans le monde à l’heure de Trump ?

Les garde-fous. Un an après l’élection, un optimiste pourrait espérer que la présidence Trump ne soit pas aussi dévastatrice que prévu. En effet, de nombreux contre-pouvoirs à l’œuvre dans le pays entravent efficacement l’action du président. Lorsque les Pères fondateurs rédigèrent la Constitution des ÉtatsUnis, en 1787, leur préoccupation principale était de garantir qu’un futur président ne puisse jamais se transformer en dictateur. Inspirés par Montesquieu, ils mirent en place des systèmes de freins et de contrepoids (checks and balances) entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Ces derniers sont aujourd’hui à l’œuvre contre Donald Trump.

Au Congrès, les divisions du Parti républicain empêchent le vote des réformes proposées par le président. Plusieurs versions d’un projet de remplacement de l’Obamacare ont été rejetées ; il pourrait en aller de même du plan de réforme fiscale en cours d’examen. Côté justice, une troisième version du décret présidentiel sur l’immigration en provenance de plusieurs pays à majorité musulmane (dit « Muslim ban ») a été bloquée le 10 octobre par le même juge d’une cour fédérale d’Hawaï qui avait refusé la deuxième version.

Le président Trump rencontre des obstacles au sein même de l’exécutif. Certaines administrations, comme l’Agence pour la protection de l’environnement (EPA), mettent peu d’entrain à appliquer ses directives. La communauté du renseignement reste ulcérée par un président qui, en pleine « affaire russe » et après avoir limogé le directeur du FBI James Comey, a confié au ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov, en mai, dans le bureau ovale, des secrets stratégiques sur la lutte antiterroriste impliquant un pays allié.

The Resistance. La structure fédérale du pays constitue un autre frein à l’action présidentielle. En matière environnementale, les États et les villes peuvent conserver des réglementations plus strictes qu’au niveau fédéral. Les États à majorité démocrate ne vont donc pas appliquer les dérégulations en matière de pollution de l’air et de l’eau autorisées par Washington. New York, Chicago et la Californie, entre autres, se sont déclarés villes ou États sanctuaires pour les personnes en situation illégale.

Comme le soulignait déjà Tocqueville en 1840, la société civile américaine se caractérise par sa capacité de mobilisation. Certes, la base électorale du président reste stable, avec environ 40 % d’opinions favorables. Mais du côté progressiste, la presse est extrêmement critique envers le président. Pour souligner la nature de l’ennemi auquel ils ont affaire, les opposants à Trump aiment à nommer leur mouvement « The Resistance ». Reste à savoir comment ils sauront s’organiser en vue des élections législatives de novembre 2018 et présidentielles de 2020.

Après s’être engouffrés avec enthousiasme dans les nouveaux cercles du pouvoir, beaucoup de grands donateurs et entreprises désapprouvent maintenant le président. La Silicon Valley a critiqué le « Muslim ban » dès février, puis la réaction du président après les émeutes de Charlottesville. ExxonMobil, Shell et Chevron ont dénoncé la sortie de l’Accord de Paris.

L’héritage s’annonce toutefois préoccupant dans des domaines importants. Dans les États républicains, la dérégulation environnementale provoquera sans doute des dégâts écologiques irréparables. Le président Trump a aussi entrepris de nommer des juges très conservateurs, voire réactionnaires, aux nombreux postes judiciaires vacants. Formé au sein de la Federalist society, le juge Neil Gorsuch a remplacé Antonin Scalia à la Cour suprême. Ce qui aura pour effet dans les décennies à venir de pousser vers la droite la jurisprudence fédérale sur le droit de vote des minorités, le port d’armes, le contrôle des naissances, etc.

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Un an après l’élection de Donald Trump
A l’occasion du premier anniversaire de l’élection surprise de Donald Trump à la Présidence des Etats-Unis, le 8 novembre 2016, l’Institut français des relations internationales (Ifri) publie un dossier spécial consacré à l’hôte de la Maison Blanche. Intitulé « Trump, un an après. Un monde à l’Etat de nature », il a été co-dirigé par Laurence Nardon, sa responsable du programme Amérique du Nord.