Publié le 06/12/2017

François GAULME

Le président Emmanuel Macron a prononcé le 28 novembre 2017 à l’université de Ouagadougou un discours qui, par son contexte, sa forme et son contenu, constitue un tournant majeur, au moins pour le style et les intentions, dans les relations franco-africaines.

Trente et un ans plus tôt, les 17 et 18 novembre 1986, François Mitterrand s’était confronté à Thomas Sankara dans la capitale du Burkina Faso lors d’une visite officielle restée célèbre. La comparaison des deux événements permet de jauger l’évolution de la présidence française sur le terrain africain : le fantôme de Mitterrand, ou d’un de ses prédécesseurs, hante-t-il encore un Emmanuel Macron dont le maître-mot est le changement, en Afrique ou ailleurs ?

Deux aspects, deux marques de fabrique pourrait-on dire, appellent l’attention dans le discours et ses réponses aux étudiants à Ouagadougou : la fin d’une « politique africaine de la France », et l’appui à la « jeunesse » du continent.

Un déficit de vision politique ?

« Il n’y a plus de politique africaine » : cette déclaration allusive d’Emmanuel Macron au début de son discours n’est pas à prendre absolument à la lettre. La « politique » à laquelle il se réfère ici n’est sans doute qu’un autre nom de la « Françafrique », dont le mécanisme s’est grippé en 1994 avec le génocide rwandais et la fin du rêve français d’être « gendarme de l’Afrique ». Néanmoins, la déclaration conduit à s’interroger sur une absence (délibérée ?) de vision globale des relations franco-africaines de sa part, alors que, dans les réponses aux questions des étudiants burkinabés, le président évoque, au passage et par contraste, sa « politique au Proche et Moyen Orient ».

Dans les faits, le premier président de la Ve République à ne pas avoir connu l’époque coloniale poursuit sans rupture observable la démarche africaine de son prédécesseur, donnant priorité, avec l’opération Barkhane, à un engagement militaire direct au Sahel dans le cadre de la lutte internationale contre le terrorisme. Le choix de Ouagadougou n’est à cet égard pas indifférent : la capitale du Burkina Faso abrite la base des forces spéciales de l’opération, qui dépendent de l’Élysée. Ceci souligne le maintien d’une constante de la politique africaine de la Ve République : le contrôle direct par la présidence des interventions militaires sans réel contrôle parlementaire – situation si critiquée en Allemagne par exemple.

Contrairement à Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande, Emmanuel Macron, n’entendait pas « faire un grand discours pour ouvrir une nouvelle page de la relation entre la France et l’Afrique »… Ce qui frappe cependant dans son interminable allocution (faisant ainsi écho à la longueur de la joute oratoire de 1986 entre Mitterrand et Sankara), comme dans ses réponses pourtant habiles et précises aux étudiants, est bien l’absence du politique en tant que tel. En examinant les sujets abordés, on relève l’insistance sur les questions de sécurité ou sur le renouvellement d’une aide au développement moins gouvernementale, ainsi que sur les relations économiques et le serpent de mer du franc CFA – sujet abordé pour la première fois par le président Pompidou au Togo en 1972… S’y ajoutent l’évocation inédite de questions culturelles (la langue française contemporaine) et sociétales (le sport), et enfin de courageuses réponses sur l’émigration africaine vers l’Europe. Rien donc ou presque n’a été oublié, pas même la « ville durable », sauf le domaine des relations entre États, ce que ne palliaient ni des injonctions très (trop ?) françaises sur la séparation du religieux et du politique (incompréhensible en Afrique), ni de brèves remarques ad hominem, l’une d’elles ayant conduit à une injuste polémique sur les marques de respect envers les présidents africains. Le manque de discours constitué sur la « politique africaine » devra pourtant être comblé rapidement, pour faire mieux accepter les options de cette dernière en France comme à l’étranger – serait-elle toujours en creux comme le « non-anniversaire » de Lewis Carroll.

La revanche des jeunes ?

Un autre trait, très visible à Ouagadougou, caractérise l’attitude d’Emmanuel Macron envers l’Afrique : son choix de président encore trentenaire en faveur des jeunes, absolument opposé à celui de François Mitterrand jadis. Il s’est fait applaudir en réhabilitant Thomas Sankara, devenu héros mythique trois décennies après son assassinat, mais dont la chute s’explique en partie par les excès révolutionnaires de jeunes encouragés dans tout le pays à contester un ordre traditionnel patriarcal. Dans une conférence de presse très tendue, le tout juste septuagénaire Mitterrand avait rejeté, le 18 novembre 1986 à Ouagadougou, la suggestion de Sankara de suivre l’avis de ses jeunes conseillers pour déterminer ses choix politiques. Tel l’Auguste de Cinna, il avait assuré qu’il restait en toutes circonstances maître de ses propres décisions.

Aujourd’hui, la démographie galopante de l’Ouest africain y favorise les jeunes qui, au Burkina Faso, ont joué un rôle déterminant, avec les militaires, dans la chute de Blaise Compaoré, l’homme qui avait rétabli une prépondérance des « aînés » face aux « cadets sociaux », comme disent certains anthropologues. Mais il n’est pas sûr que, dans l’état actuel de la situation sécuritaire en Afrique, un appui rhétorique et général au potentiel de changement de la jeunesse ne soit pas porteur de plus d’instabilités et de désordres que de progrès concrets de développement dans l’avenir. Le pari d’Emmanuel Macron reste risqué.