Publié le 13/11/2011

Michel CRUCIANI

La présente étude a exploité les bases de données contenant les informations les plus précises, les plus constantes dans le temps et les plus homogènes entre États, celles de la Commission Européenne, tenues par Eurostat. Les chiffres sur le prix du courant vendu à l'industrie restent cependant discutables, car les contrats comportent souvent des clauses confidentielles. L'étude s'est donc concentrée sur les prix aux clients domestiques ; malgré la rupture méthodologique introduite en 2007 par Eurostat, il a été possible d'obtenir des séries comportant une zone d'approximation acceptable entre 1991 et 2010 pour les 15 pays fondateurs de l'Union européenne (UE-15).

Dans ces bases de données, l'expression "prix du kWh" désigne un "prix normé", qui est un prix apparent, calculé en proportion de la consommation à partir des éléments tarifaires. Il inclut des frais fixes (ou abonnements) qui ont été ramenés en €/kWh. Ce prix normé ne saurait être confondu avec le prix contractuel figurant sur une offre tarifaire. L'étude s'est efforcée d'analyser les évolutions des trois sous-ensembles du prix payé par le consommateur :

- L'électricité livrée, qui inclut la production, la commercialisation et l'acheminement, et détermine le prix Hors Taxes (HT) ;

- Les charges, qui comprennent taxes locales, accises et frais liés aux obligations de service public ; elles s'ajoutent au prix HT ;

- La TVA (Taxe à la Valeur Ajoutée), qui s'applique au prix HT et aux charges. Le prix complet figure sous l'intitulé "Prix TTC" (Toutes Taxes Comprises).

L'étude souligne que les composantes de chacun des trois sous-ensembles ci-dessus varient sensiblement d'un pays à l'autre et fluctuent dans le temps à l'intérieur d'un même pays. Une même rubrique, par exemple "production", inclut des obligations d'achat d'énergie renouvelable dans certains pays ; elle se limite aux dépenses des centrales conventionnelles dans d'autres pays, qui comptabilisent les frais de promotion des énergies renouvelables dans des charges additionnelles, du type de la CSPE en France.

En conséquence, la comparaison des factures amène certes à confronter le choix des moyens de production, mais elle aboutit de plus en plus souvent à comparer des politiques publiques déterminant le niveau des frais d'acheminement et des charges. Ces politiques sont, elles-mêmes, influencées de manière croissante par les décisions communautaires ; toutefois, pour la période observée, le poids des décisions nationales est resté prépondérant.

Entre 1991 et 2010, le prix moyen du kWh HT dans l'UE-15 a traversé deux phases bien distinctes. De 1991 à 2005, il a connu des fluctuations de très faible ampleur. Il a ensuite subi une augmentation soutenue à partir du second semestre 2005 jusqu'au second semestre 2010, avec un taux de hausse moyen de 3,8 % par an. Pour le consommateur domestique, dont la facture comprend des charges et taxes, la seconde phase a commencé dès 2003. Alors qu'au second semestre 2002, le kWh TTC était encore facturé au même prix qu'au second semestre 1991, ce prix s'est ensuite élevé, modérément jusqu'en 2005 puis rapidement, avec un taux d'augmentation moyen de 4,9 % par an depuis 2005. L'écart entre le prix HT et le prix TTC s'est donc creusé : les charges et la TVA représentaient 15 % du prix du kWh TTC début 1991, elles en constituent 28 % à fin 2010.

Le prix moyen pour l'Union européenne cache de grandes divergences entre les 15 pays pris en compte. Exprimé en Euros par kWh, le prix TTC le plus élevé au deuxième semestre 2010, observé au Danemark, représente 2,2 fois le prix le plus faible, enregistré en Grèce.

Dans la période 1991-2010, le principal facteur ayant influé sur l'évolution du prix du kWh HT semble être la variation du prix des énergies fossiles, lequel a suivi le cours du pétrole brut dans une hausse de plus en plus rapide entre 2003 et 2008. Le prix de l'électricité a en outre été majoré à partir de 2005 par l'affectation d'une valeur monétaire aux émissions de CO2, dans le cadre du marché européen des quotas.

Ces facteurs d'évolution du prix HT, communs à tous les pays, ont été majorés ou atténués selon le cas par la politique nationale relative à l'électricité que chaque pays a menée. Malgré l'imprécision des données, il apparaît en effet que la diversité des niveaux des charges et de la TVA explique en grande partie les écarts de prix TTC entre pays. En 2010, leur somme représente près de 61 % d'une facture au Danemark mais 5 % seulement au Royaume Uni. Ces montants s'appliquent à des prix HT eux-mêmes très variables en fonction du parc de production et des spécificités de l'acheminement du courant dans tous les pays. Parmi les politiques nationales, le soutien à la production d'électricité issue d'énergies renouvelables a lui aussi entraîné un relèvement du prix de l'électricité en fin de la même décennie dans la plupart des pays.

En revanche, l'organisation du marché électrique, et plus particulièrement le développement partiel ou total de la concurrence entre opérateurs, ne parait avoir joué qu'un rôle secondaire sur le niveau du prix final. La libéralisation du secteur électrique se traduit surtout par des prix de marché de plus en plus volatils, ces prix reflétant désormais les fluctuations de la demande, toujours importantes, et celles du prix d'énergies primaires subissant, à l'instar du prix du baril de pétrole, des variations de grande ampleur et à court terme.

Les années 2005-2010 apparaissent donc comme une période charnière dans l'histoire de l'électricité en Europe de l'Ouest. La généralisation de l'ouverture à la concurrence du marché domestique durant ces années agitées n'a guère pesé sur les tendances lourdes.

Dans la décennie 2010-2020, la persistance probable de pressions à la hausse prix du kWh et l'émergence d'un volume significatif de production intermittente, jointes à des innovations technologiques dans le domaine du comptage et de la gestion des réseaux, pourraient stimuler la diversification des offres tarifaires et des services de gestion de la demande.

L'approche collective est complétée par une analyse abordant principalement les cinq grands États (Allemagne, Espagne, France, Italie, et Royaume Uni) et deux autres pays (Danemark et Pays-Bas). Pour tous ces pays, des données précises sont disponibles et leurs trajectoires tarifaires fournissent des enseignements transposables. Deux d'entre eux (Allemagne et Royaume-Uni) ont ouvert complètement le marché des ventes aux particuliers ; deux autres exercent un contrôle sur les prix (ex-ante au Danemark et ex-post aux Pays-Bas) ; les trois derniers ont maintenu un tarif réglementé de vente. Deux États (Allemagne et Danemark) ont mené résolument une politique ambitieuse de production de l'électricité à partir d'énergies renouvelables, ayant amené le prix du kWh aux clients domestiques à des niveaux figurant parmi les plus élevés d'Europe, avec le soutien de la population. Dans deux autres pays, des politiques comparables ont été lancées. Aux Pays-Bas, elles ont été corrigées à plusieurs reprises pour éviter une dérive des prix ; en Espagne les mesures correctrices sont arrivées trop tard pour enrayer la hausse. France, Italie et Royaume-Uni se sont contentés d'objectifs plus modestes. Dans cinq pays (Allemagne, Danemark, Italie, Pays-Bas et Royaume-Uni), une certaine vérité des prix a été maintenue : la facture intègre sensiblement tous les coûts. En Espagne et en France, les coûts n'ont pas été répercutés intégralement sur le consommateur. En Espagne, la différence entre les coûts et les prix a donné naissance à une dette de l'État à l'égard des entreprises ; cette dette a atteint en 2010 un montant considérable. En France, la différence a été supportée jusqu'à ce jour par les entreprises publiques, en premier lieu le producteur historique (EDF) avec des recettes amoindries, en second lieu le distributeur (ERDF) avec un affaiblissement de ses capacités d'investissement.