22
jan
2009
Espace Média L'Ifri dans les médias
Marc HECKER,  dans Rue89

Communication de guerre israélienne : Gaza et les leçons de 2006

Au cours de la guerre à Gaza, Ehoud Olmert a annoncé à plusieurs reprises que les objectifs israéliens étaient sur le point d’être atteints en se gardant bien, toutefois, d’en préciser la nature exacte. Ne pas annoncer clairement les objectifs d’une opération permet d’éviter qu’elle ne soit perçue comme un échec si ces derniers ne sont en définitive pas atteints.

Le flou ouvre néanmoins la porte aux spéculations. Ainsi, selon les déclarations, les objectifs de guerre ont varié de l’arrêt des tirs de roquettes à l’éradication des brigades Ezzedine al-Qassam en passant par le retrait du Hamas du pouvoir, la mise en place de nouvelles « règles du jeu » garantissant la sécurité d’Israël ou encore le rétablissement de la capacité de dissuasion de Tsahal.

Si les errements de la communication stratégique israélienne observés pendant le conflit de l’été 2006 n’ont donc pas été complètement corrigés, les communicants israéliens ont cependant tiré plusieurs leçons de l’échec partiel de la guerre contre le Hezbollah.

La présence d’un chef militaire

La première n’est pas uniquement liée à la question de la communication et a trait à la présence d’un chef. Pendant la guerre de 2006, les dirigeants politiques avaient brillé par leur amateurisme -en particulier le ministre de la Défense Amir Peretz- et leurs divergences s’étaient affichées au grand jour. Cette fois-ci, l’ordre a davantage régné dans la classe politique et le ministre de la Défense -ancien chef d’Etat-major et ancien Premier ministre- Ehoud Barak, a rassuré la population israélienne qui a soutenu massivement l’opération jusqu’à son terme.

Les Israéliens ont également accordé une large confiance au chef d’Etat-major de Tsahal, Gabi Ashkenazi, alors que Dan Haloutz avait été rapidement critiqué pour sa gestion de la guerre de 2006. Un point commun entre Ehoud Barak et Gabi Ashkenazi est qu’ils sont considérés par les journalistes israéliens comme peu bavards et que leurs interventions publiques ont effectivement été limitées. Autrement dit, un chef militaire peut susciter l’adhésion de sa population sans passer son temps à communiquer et à justifier les actions menées.

La coordination des porte-parole

La deuxième leçon a trait aux différents porte-parole -essentiellement ceux de l’armée, du ministère de la Défense, du Premier ministre et du ministère des Affaires étrangères- qui, cette fois-ci, ont été beaucoup mieux coordonnés. Lors du conflit de 2006, le concert de ces porte-parole avait été pour le moins cacophonique alors que deux ans et demi plus tard, une même ligne s’est appliquée.

La coordination est en partie imputable à la nouvelle Direction nationale de l’information, chargée précisément de remédier au manque d’unité de la communication institutionnelle mise en avant, notamment, dans le rapport de la commission Winograd.

Fermer le champ de bataille à la presse

La troisième leçon relève du degré d’ouverture du champ de bataille aux journalistes. La guerre de 2006 avait été l’une des plus ouvertes à la presse. Celle de 2008-2009 a été, à l’inverse, une des plus fermées. Les reporters stationnés à l’extérieur de la bande de Gaza n’ont quasiment pas été autorisés à y pénétrer.

Les images filmées à l’intérieur du territoire palestinien provenaient de trois sources : l’armée israélienne -dont chaque unité était accompagnée par un photographe ou un cameraman- les habitants de la bande de Gaza qui ont par exemple diffusé des images sur leurs blogs et les journalistes palestiniens -qui se trouvaient déjà dans la bande de Gaza avant le début des hostilités- travaillant pour des grands médias internationaux.

L’interdiction faite aux journalistes de pénétrer dans la bande de Gaza a provoqué de fortes protestations de leur part et a nui à l’image « démocratique » d’Israël. Néanmoins, les communicants israéliens semblent désormais considérer le « black out » partiel comme la moins mauvaise des solutions en cas de guerre « au milieu des populations ». En avril 2002, l’absence de journalistes indépendants lors de l’opération « Rempart » avait favorisé l’émergence de rumeurs de massacres massifs à Jénine. Le « syndrome de Jénine » pourrait toutefois être moins dommageable que celui de Qana.

Les nouvelles technologies

La quatrième leçon est liée à l’usage des nouvelles technologies de communication. Lors de la guerre de 2006, les soldats israéliens étaient partis au front avec leurs téléphones portables et ne s’étaient pas privés de communiquer avec les médias. Cette fois-ci, les téléphones ont tout simplement été bannis.

La stratégie à l’égard d’Internet a également beaucoup changé. Alors que les responsables de la communication de Tsahal se désintéressaient jusqu’alors ouvertement du web 2.0 et préféraient se concentrer sur les médias traditionnels, le nouveau porte-parole de l’armée et son équipe ont au contraire mis l’accent sur Internet.

Le commandant Avital Leibovich affirme ainsi maintenant que « la blogosphère et les nouveaux médias sont une autre zone de guerre ». Dover Tsahal -le service de communication de l’armée- a créé son propre blog en anglais et a ouvert sa « chaîne » sur YouTube afin de pouvoir poster des vidéos des opérations menées dans la bande de Gaza.

En outre, le ministère des Affaires étrangères israéliens a organisé, dès les premiers jours du conflit, une sorte de conférence de presse virtuelle sur Twitter au cours de laquelle un diplomate du consulat général d’Israël à New York a répondu aux questions des internautes.

Un coup d’avance

Toutes ces améliorations « tactiques » de la communication semblent avoir permis à l’armée israélienne de disposer de quelques jours supplémentaires avant que la mobilisation internationale ne prenne de l’ampleur. Néanmoins, les faits sont têtus. Lorsque le bilan d’une opération dépasse largement le millier de morts d’un côté alors qu’il atteint à peine la quinzaine de l’autre, même les meilleurs communicants ne peuvent réussir à empêcher que le « fort » soit mis en cause pour son usage « disproportionné » de la force et que le faible ne retourne sa défaite militaire en une victoire politique.

A moins que la rhétorique sur la « disproportion » des frappes israéliennes et l’ampleur des destructions ne contribuent à renforcer la capacité de dissuasion de l’Etat hébreu. Le fait que les cadres du Hezbollah n’aient réagi que verbalement aux bombardements israéliens sur leurs « frères » palestiniens semble accréditer cette thèse.