07
déc
2022
Espace Média L'Ifri dans les médias
Marc JULIENNE, entretien avec Marie Lombard pour Upday.

"La Coupe du monde a été un choc" : ce que révèlent les manifestations en Chine

Des milliers de manifestants ont déferlé dans les rues chinoises fin novembre, symptomatiques d'un ras-le-bol général face aux mesures sanitaires drastiques imposées par Pékin contre le Covid-19. upday a interrogé Marc Julienne, responsable des activités Chine à l'Institut français des Relations internationales (IFRI), sur les enseignements à tirer de ce mouvement.

nl1321-logo-upday.png

[...]

upday : On a qualifié ces manifestations d'"historiques", en quoi sont-elles inédites ?

Marc Julienne : La grande caractéristique de ce mouvement, qui s'est largement apaisé depuis le week-end du 26 et 27 novembre, c’est qu’il est horizontal, il n’est pas centralisé sur un lieu spécifique en Chine. Ces manifestations spontanées ont émaillé l’ensemble du territoire, de la capitale politique Pékin à la capitale économique Shanghai, et jusqu’aux confins nord-ouest de la Chine, dans la région du Xinjiang et sa capitale Urumqi.

C’est aussi un mouvement qui a impliqué tout le spectre de la population, des ouvriers de l'usine Foxconn, la plus grande usine Foxconn (sous traitant d'Apple, ndlr) du monde, mais aussi des citadins de classe moyenne et des étudiants. Il y a eu plusieurs dizaines de campus à travers la Chine qui se sont mobilisés. Si aujourd’hui le mouvement citoyen semble s’être relativement apaisé, une telle ampleur n'avait pas été vue depuis les manifestations sur la place Tiananmen en 1989, il y a plus de 30 ans.

Quels sentiments traduisent-elles ?

M.J. : Mon interprétation, c’est que les manifestations transcrivent trois ans d’accumulation de ressentiments de la part de la population, à l'égard des politiques Zéro Covid-19, qui sont extrêmement lourdes en Chine. En France, nos périodes de confinement ont été longues mais quand on en est "sorti", les restrictions sont tombées une à une. En Chine, il y a eu une longue succession de confinements. 2022 a été l’année catastrophe avec un nombre de cas qui a flambé au printemps, et à la clé un confinement extrêmement sévère à Shanghai, ville la plus peuplée de Chine avec 26 millions d’habitants. Ils ont été confinés pendant plus de deux mois. La politique Zéro Covid touche tout le monde, alors tout le monde est dans le même bateau et accumule les même ressentiments.

On peut ajouter à cela une incompréhension croissante ces dernières mois sur la pertinence de la politique Zéro Covid : on se demande si elle ne fait pas plus de mal que de bien. Il y a eu un grand nombre de suicides au printemps, de gens qui ont protesté depuis leurs immeubles, de gens qui n’ont pas pu voir leurs proches, qui ne pouvaient plus se nourrir etc. Il y a eu aussi cet accident de bus, fin septembre 2022, qui a coûté la vie à 27 personnes emmenées dans des camps de quarantaine. Une femme s’est même pendue dans un camp de quarantaine. Donc on se demande dans quelle mesure cette politique protège les Chinois ?

Dans ce contexte houleux, la Coupe du monde a commencé au Qatar et les Chinois, qui suivent beaucoup le foot, ont dû découvrir sur leurs écrans et dans la plus grande incompréhension que des spectateurs du monde entier se réunissent dans des stades au Qatar sans masque, alors qu'eux sont confinés. Ça a été probablement un choc, car jusque-là les citoyens étaient persuadés, par les informations contrôlées auxquelles ils ont accès, que la Chine était un modèle en matière de lutte contre le Covid-19. L’immense majorité des Chinois ne voyagent pas car le pays est fermé, et ont accès exclusivement à une information officielle qui est produite et fournie par l’Etat et le Parti communiste. C'est cette information officielle qui depuis 3 ans promeut le message que le pays a été le plus efficace en matière de gestion de la pandémie : une Chine réactive dans les mesures prises, et innovante, quand les vieilles démocraties occidentales se sont trouvées désemparées. Dans la réalité les autorités chinoises ont réagi avec 3 semaines de retard, ce qui a probablement conduit à l’internationalisation de cette pandémie.

Le seul moyen de communication pour la population a été les réseaux sociaux et il y a eu un vent de contestations et de railleries disant "on est les seuls idiots à regarder ça confinés chez nous, à faire des tests tous les jours, à ne jamais savoir quand est ce que va être confiné." Car en Chine c’est une application sur le téléphone qui vous impose de vous confiner, quasiment à l’endroit où vous êtes au moment où vous recevez la notification, et vous ne savez pas pour combien de temps. A mon avis, la Coupe du monde a été déterminante, car l’information est contrôlée mais les matchs de foot ne le sont pas, et c’est probablement le trou dans la raquette que les autorités chinoises n’avaient pas vu venir. Le mouvement est multi-factoriel, entre ouvriers de Foxconn révoltés, incendie d'Urumqi, accident de bus en septembre, etc. Un cocktail qui a fait que les Chinois, de manière inédite, sont descendus dans la rue à travers tout le territoire.

Comment expliquer la réponse des autorités, qui ont assoupli certaines contraintes ?

M.J. : Pendant quelques jours, le mouvement a pris de l’ampleur jusqu’à ce qu'il soit censuré sur les réseaux sociaux. Il y a des sujets qui sont interdits de tout temps sur les réseaux sociaux, mais certains sujets sont autorisés tant qu’ils ne sont pas sensibles. Le foot, la Coupe du monde, n'est pas à l'origine un sujet sensible, donc ça a commencé par là. C’est à partir du moment où il y a un potentiel de déstabilisation que la censure s’active et verrouille certains mot-clés. On a aussi vu que des ouvriers et des étudiants ont été renvoyés chez eux, pour déconcentrer ces centaines, des milliers voire des dizaines de milliers de personnes, des potentiels foyers de protestations. Le fait de les renvoyer chez eux permet d’éviter qu’ils puissent se mobiliser tous ensemble.

Finalement, les dirigeants ont annoncé des assouplissements des restrictions anti-Covid. Il est intéressant de noter qu'ils changent leur politique non pas pour des raisons économiques (l'économie chinoise a pourtant largement pâti des restrictions, Ndlr), mais pour des raison d’instabilité sociale. Avec cette société de 1,4 milliard d'habitants, c'est la plus grande crainte du Parti communiste depuis Mao. Le pays peut être renversé si la légitimité du parti est remise en question. Et cette légitimité tient à la protection des citoyens.

Mais il est encore trop tôt pour dire ce que donneront les assouplissements de mesures. A la mi-novembre, il y a eu des promesses d'assouplissement mais c'était juste des effets d'annonce. Et puis malgré cela, la politique reste sévère pour les citoyens et l'économie. Récemment le discours a changé : les autorités, au plus haut niveau, ne parlent plus de politique Zéro Covid et justifient un assouplissement des mesures anti-Covid. Mais les informations qui nous parviennent indiquent des situations contradictoires : l’assouplissement mis en avant dépend de où on se trouve en Chine. En fonction des localités, les mesures ne sont pas mises en oeuvre de la même manière. On se sait pas vraiment ce qu’il va se passer. (Propos recueillis le 6 décembre, avant les annonces des autorités chinoises, Ndlr)

Est-ce que le mécontentement va au-delà du sujet Covid ?

M.J. : On a vu des centaines de manifestants qui clament "A bas le Parti communiste, "Xi Jinping dégage", donc on a un mouvement de contestations contre le régime. En réalité les Chinois sont d'accord avec un contrat social : ils laissent le monopole de la politique au Parti, mais en échange le Parti leur garantit sécurité et prospérité économique. Et ce n'est plus tout à fait le cas : ce contrat social est en train de s’éroder, pour des raisons structurelles, démographiques, de ralentissement économique global. Le fait est qu’aujourd’hui les jeunes Chinois n’ont pas du tout les mêmes perspectives de vie que leurs parents à la sortie du maoïsme. Les jeunes ne trouvent plus de travail, il y a 20% de chômage chez les 16-24 ans, un record dans l’histoire de la Chine.

Il y a toujours eu des mouvements de contestations quand la sécurité des citoyens n’était plus assurée mais c’était localisé, sur des question spécifiques. Ici la grande différence, c’est que c’est directement le parti dirigeant et Xi Jinping lui-même qui sont remis en question pour leurs politiques. C'est le point commun avec Tiananmen.

Quelles suites pour les manifestations ?

M.J. : Peut être que ce mouvement est déjà terminé, il pourrait aussi se mettre en sourdine et d’un coup réapparaître, c’est déjà arrivé par le passé. Mais le ver est dans la pomme : les jeunes Chinois, qui n’ont pas connu Tianamen, ont peut être pris conscience qu’en groupe, tous ensemble, on peut se saisir de revendications politiques et que ça peut fonctionner. Donc l’assouplissement permet d’apaiser la situation mais ça peut aussi faire prendre confiance dans l’efficacité de la contestation.

Toutefois le système de propagande, de communication, ne va pas changer. Il n’y a pas de libéralisation en Chine. On est passé d’une politique sanitaire absolument draconienne à quelque chose de juste un peu plus humain. Il n'y a aucune remise en question fondamentale du Parti communiste lui-même.

>> Retrouver l'entretien sur le site de Upday.

 

Mots-clés
Contestation sociale COVID-19 Xi Jinping Chine Qatar