20
déc
2022
Espace Média L'Ifri dans les médias
Marc JULIENNE, interrogé par Camille Sellier pour le JDD.

Flambée des cas de Covid-19 en Chine : « Une mauvaise anticipation de la part des autorités »

INTERVIEW. Marc Julienne, responsable des activités Chine de l’Institut français des relations internationales (Ifri), analyse pour le JDD, les premières conséquences de la fin de la stratégie zéro Covid dans le pays. 

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Depuis l’assouplissement de la politique zéro Covid en Chine, l’épidémie de Covid-19 déferle sur le pays. Lundi, la Chine a enregistré ses premiers morts - selon le décompte officiel - alors que les hôpitaux et crématoriums sont débordés par une vague de cas sans précédent. L’ampleur des contaminations est, cependant, « impossible » à déterminer selon les autorités, les tests de dépistage n’étant désormais plus obligatoires. Après près de trois ans d’une stricte stratégie zéro Covid, le gouvernement a brusquement fait volte-face début décembre face à la contestation sociale grandissante dans plusieurs villes chinoises.

« Les autorités ont pris un risque très fort en sortant de la politique zéro Covid aussi rapidement et de manière aussi désorganisée », analyse pour le JDD, Marc Julienne, responsable des activités Chine de l’Institut français des relations internationales (Ifri).

Quelles sont les premières conséquences de l'assouplissement des mesures sanitaires en Chine ?

La première conséquence est une explosion du nombre de cas de Covid-19. Reste la question du nombre de décès. Officiellement, les autorités chinoises disent qu’il n’y a eu que deux morts liés au Covid depuis l’assouplissement des mesures. Dans le même temps, il y a des informations qui montrent que les chambres funéraires et les crématoriums sont surchargés. Il y a une crise sanitaire importante qui se dessine. La deuxième conséquence que l'on anticipe, c’est un éventuel impact sur l'économie. Même s’ils ne sont pas contraints d’être confinés, beaucoup de Chinois restent chez eux de peur d’attraper le Covid. Un certain nombre de secteurs économiques se retrouvent donc à l’arrêt ou sont fortement ralentis. Cela pourrait avoir un effet négatif sur une croissance du PIB, qui en 2022, s’annonce déjà très faible, autour de 3 %, et sur le début de l'année 2023.

" Cette politique d’assouplissement de la politique zéro Covid semble avoir été faite de manière précipitée et complètement désordonnée"

Le pays est-il suffisamment équipé pour faire face à cette vague de contaminations ?

Tout d’abord, il y a un problème de vaccins, ceux qui sont proposés étant insuffisamment efficaces. D’autant plus que la population est très faiblement vaccinée. Très peu de doses de rappel ont été prodiguées, notamment chez les personnes âgées de plus de 60 ans et plus de 80 ans, qui sont les moins bien vaccinées et les plus vulnérables. Il y a un problème de mise en oeuvre politique pour protéger la population avec des vaccins chinois ou avec des vaccins étrangers ARN messager. Par ailleurs, en Chine, on compte un lit de réanimation pour 10 000 habitants en moyenne. C’est trop peu. Un grand nombre d’hôpitaux, particulièrement à Pékin, sont aujourd’hui surchargés. Enfin, beaucoup de personnes qui développent des symptômes sans faire une forme grave de la maladie font face à une pénurie d’antidouleurs dans les pharmacies chinoises. Cette politique d’assouplissement de la politique zéro Covid semble avoir été faite de manière précipitée et complètement désordonnée. Les autorités auraient pu anticiper ces conséquences bien avant l’assouplissement des restrictions.

Alors que le nombre de cas explose dans le pays, des habitants peuvent désormais se rendre au travail « normalement » même s'ils présentent des symptômes du Covid-19, ont indiqué les autorités. Comment expliquer ce revirement spectaculaire de stratégie ?

Le mouvement de contestation sociale , fin novembre, a été un signal d’alarme pour les autorités. C’est la première fois depuis une trentaine d'années qu’on voit un tel mouvement, d'envergure nationale, remettant en cause directement la politique du Parti communiste et de Xi Jinping. Cela a suscité une profonde crainte des autorités. Il y a aussi eu une volonté de faire une sorte d’appel d’air pour l’économie chinoise. Cependant, je crois un petit moins à cet argument, puisque la situation économique en Chine était déjà préoccupante depuis trois ans. S’ils avaient voulu redresser la barre, ils l’auraient fait plus tôt.

" Pour le moment, les effets de cette sortie du zéro Covid sont plutôt doublement négatifs "

Ce changement de stratégie montre-t-il une certaine incohérence de la part des autorités chinoises ?

Oui. Si l’objectif était de répondre à un ressentiment social et/ou à une crise économique, il s’avère que les résultats sont contre-productifs. Nous nous retrouvons avec une crise sanitaire qui ne va pas forcément améliorer l’image du gouvernement. Puis, en voulant donner de l’air à l’économie chinoise, on s’aperçoit que c’est un nouveau coup porté à cette dernière. Est-ce un mal conjoncturel avant une remise à flot en 2023 ? Nous verrons. Pour le moment, les effets de cette sortie du zéro Covid sont plutôt doublement négatifs. Il y a une mauvaise anticipation de la part des autorités.

Que peut-il se passer sur le plan politique pour Xi Jinping si la situation sanitaire devient incontrôlable ?

Si la situation sanitaire et économique devait continuer à s'aggraver, le gouvernement central aurait du mal à justifier ses choix auprès de la population. Ce serait un nouveau coup porté à la légitimité et à la crédibilité du Parti communiste. Or, le pouvoir de ce dernier repose sur cette légitimité. C’est ce qu’on appelle le contrat social en Chine . Ce contrat entre le parti unique, qui dispose du monopole de la politique, et qui en échange s’engage à garantir à la population la prospérité économique et la sécurité physique. Sur la situation économique, ce contrat social semble vaciller. La crise sanitaire, elle, fait peser un risque sur la sécurité physique de la population. Les autorités chinoises ont pris un risque très important en sortant de la politique zéro Covid aussi rapidement et de manière aussi désorganisée.

Le parti pourrait-il faire marche arrière ou va-t-il s'entêter ?

Si la situation dégénère au point que les hôpitaux et les services médicaux ne sont plus en mesure de faire face au nombre de cas, il faudra trouver une solution. Cela peut être de revenir vers des mesures anti-Covid plus strictes, localement, en fonction des territoires les plus touchés. On peut aussi ne pas désespérer que la Chine s'ouvre un jour à des vaccins étrangers. C’est toutefois peu probable, car ce serait pour Xi Jinping l'aveu de l'échec de la politique qu'il mène depuis trois ans.

Xi Jinping est-il fragilisé au sein de son parti ?

C’est très difficile à savoir, car le Parti est une véritable boite noire. Il ne semble pas l’être aujourd’hui. Le 20e congrès du Parti communiste chinois, qui s'est déroulé en octobre, montre l’assise très forte qu'a Xi Jinping sur l'appareil du Parti-Etat. Il a été reconduit pour un troisième mandat lors de ce congrès ; c’est quelque chose d’inédit depuis la mort de Mao en 1976. A priori, son pouvoir est solide dans l’appareil politique. Mais la Chine, comme tout autre régime, n’est pas seulement un appareil politique et il y a aussi une société civile. Le Parti communiste compte environ 96 millions de membres, quand la population chinoise est d’1,4 milliard d’habitants. La solidité politique de Xi Jinping ne fait donc pas tout. Le vent peut toujours tourner.

>> Retrouver l'entretien en intégralité sur le site du JDD.

 

 

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COVID-19 Xi Jinping Chine