08
juin
2017
Espace Média L'Ifri dans les médias
Julien NOCETTI, cité par Audrey Kucinskas dans l'Express

Fustigés par Macron, RT et Sputnik, des médias "stratégiques" pour la Russie

Emmanuel Macron a accusé Russia Today et Sputnik d'être des "organes d'influence" lors de son discours de Versailles. Ces deux sites ont il est vrai une vision... particulière de l'actualité.

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"On va se dire les choses", a cinglé Emmanuel Macron, en conférence de presse sous les ors du château de Versailles, lundi, en réponse à une question sur le boycott d'En Marche! à l'encontre de Russia Today et Sputnik, au côté d'un Vladimir Poutine impavide mais visiblement agacé: "En vérité, Russia Today et Sputnik ne se sont pas comportés comme des organes de presse et des journalistes, mais comme desorganes d'influence, de propagande et de propagande mensongère, ni plus ni moins. Quand des organes de presse répandent des contre-vérités infamantes, ce ne sont plus des journalistes, ce sont des organes d'influence". 

Les journalistes connaissent bien RT France et Sputnik, réputés pour leur parti-pris pro-russe et leur conception singulière -revendiquée- de l'information. Mais de nombreux Français ont découvert leur existence lors du discours du nouveau président à Versailles, le 29 mai dernier. Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il vilipendé ces sites en particulier, dirigés tous deux par la même rédactrice en chef, Margarita Simonian? Pour mieux le comprendre, il faut remonter aux origines.

RT se veut plus crédible, Sputnik plus "offensif"

RT est le dérivé Internet de Russia Today, une chaîne de télévision du câble russe lancée en 2005. "Ses ambitions étaient de copier tout ce qui avait été fait auparavant, explique à L'Express Nina Bachkatov, journaliste et spécialiste de la question russe. Elle s'est inscrite dans une tendance générale, qui dit qu'un pays moderne doit avoir sa chaîne d'information en continu. Au début, on y voyait des choses plutôt intéressantes, une autre vision de l'actualité, puisque ses équipes se rendaient dans des endroits où nous ne nous rendions pas. Et puis, il y a eu un virage. Ses journalistes se sont transformés en caricatures de présentateurs américains". 

Quoi qu'il en soit, le site Internet de RT se réclame d'un certain sérieux. Sputnik, son cousin germain qui clame "dévoile(r) ce dont les autres ne parlent pas", est lui plus offensif, "plus centré sur la viralité de ses articles, juge Nina Bachkatov. Son objectif est d'être repris par des sites plus traditionnels". Un point commun avec les sites complotistes, qui ne cherchent pas à faire directement de l'audience mais à être cités par les grands médias - en bien ou en mal, peu leur importe. 

RT et Sputnik sont tous deux financés par le Kremlin, les sites internet sont présents dans une trentaine de pays. Et ne se cachent pas de leur lien étroit avec Vladimir Poutine. "Il ne faut pas tomber dans la caricature non plus, nuance Nina Bachkatov, il n'y a pas une ligne directe entre Margarita Simonian et l'État russe. Certains articles ne reflètent d'ailleurs pas exactement la position de Moscou. Mais les journalistes font du zèle, pensant faire plaisir au pouvoir".  

A L'Express, Natalia Morozova, chef du bureau Sputnik France, répond en contre-attaquant: "Le fait que France 24, RFI ou encore France Télévisions reçoivent du financement de la part de l'Etat français, ne crée-t-il pas une sorte de dépendance vis-à-vis de l'Elysée?" 

Evidemment, Poutine est un acteur régulier des sites, la guerre en Syrie - plutôt les scènes de joie à Alep que les morts liés aux bombardements russes-, la thématique "défense" ou les mouvements de manifestation partout dans le monde y ont aussi une place privilégiée. Tout comme les théories du complot. 

Marine Le Pen et François Fillon, leur chouchous

RT et Sputnik "accentuent ou minimisent la gravité de certains événements, comme des fermetures d'usine ou certaines manifestations, explique Nina Bachkatov. Ils présentent l'information hors contexte - ce que les occidentaux font souvent avec la Russie..." 

On y parle naturellement de politique française, dont certains acteurs reçoivent un traitement plus chaleureux que d'autres. Reçue à Moscou par Vladimir Poutine en mars dernier, Marine Le Pen a accordé une longue interview de 22 minutes à RT France en janvier 2016. Elle y promettait notamment de reconnaître la Crimée comme russe si elle venait à être élue. Sputnik vante régulièrement les "atouts" et le "charisme" de la présidente du Front national. L'économiste Jacques Sapir, souverainiste, plutôt proche des thèses du FN, y tient une chronique régulière.  

RT et Sputnik montent aussi en épingle les événements qui les arrangent. "Les Russes espéraient que François Fillon gagnerait l'élection présidentielle française, raconte Nina Bachkatov. Les deux sites couvraient donc à l'excès tout ce qui le concernait." N'hésitant pas, en avril dernier, à faire du candidat LR le favori de la course à l'Elysée, en s'appuyant sur une vague "étude des réseaux sociaux". 

Sur RT et Sputnik, Emmanuel Macron n'engendre pas le même enthousiasme. En janvier, RT l'a accusé d'avoir fait payer par les contribuables français son déplacement au Liban, propageant ainsi ce qui n'était qu'une rumeur.  

C'est aussi sur Sptunik qu'un député LR français, connu pour ses liens avec la Russie, a accusé Emmanuel Macron d'être, entre autre "financé par le lobby gay" et promettait des révélations sur sa vie privée, forçant le candidat à démentir publiquement son homosexualité. Un mois plus tard, les deux sites relayaient des informations fournies par WikiLeaks sur son allégeance supposée à Hillary Clinton.  

Pas (encore) de réelle portée politique

Les deux sites voudraient être influents... mais ne le sont pas. Ou pas encore. "Pour le moment, il s'agit plus de parasitage que de nuisance réelle, selon Julien Nocetti. Ils bénéficient de moyens substantiels, et ont même été ajouté à la liste des entreprises stratégiques de la Russie au même titre que le pétrole, le gaz et l'armement, ce qui est très symbolique. Ils sont aussi sont très présents à l'étranger et possèdent de nombreux bureaux. Mais ils sont conscients de leur faible portée sur le cours des événements. Plus on parle d'eux, plus ça leur convient. Et plus cela légitime leur discours." 

D'après ce spécialiste de la Russie à l'Institut français des relations internationales (l'Ifri), RT et Sputnik sont des relais plus que des révélateurs, qui diffusent des "informations" produites par d'autres à leurs 340 000 (pour Sputnik France) et 410 000 (pour RT France) abonnés sur Facebook et Twitter. 

"Tout part d'un tweet, repris sans vérification, de façon 'instrumentale', puis diffusé viralement. En gros, ils trollent le débat", résume-t-il. Une chaîne de télévision de RT devrait être lancée en France en 2017, le CSA ayant adopté le projet de convention en 2015.  

"Il faut faire la part des choses, ajoute Nina Bachkatov. Leur réputation sulfureuse se suffit à elle-même pour que les lecteurs soient prévenus. Ce n'est pas comme si les Français n'avaient pas d'autres sources d'information. RT et Sputnik ont effectivement une vision distordue de la réalité du pays qu'ils traitent. Ils exploitent les côtés sombres de notre mode de vie, de la pauvreté, ont une façon distordue de représenter la réalité." 

"Ils estiment être des médias comme les autres"

Une chose est sûre: les journalistes de RT et Sputnik ne se voient pas comme des propagandistes. "La remarque d'Emmanuel Macron les a touchés, explique Nina Bachkatov. Ce sont surtout des gens qui croient à leur mission, et qui en font trop, comme c'est souvent le cas chez les Russes. Ils estiment être des médias comme les autres." Julien Nocetti confirme: "Pour eux, ce n'est pas infamant que les médias nationaux reflètent le point de vue de l'état, c'est même normal." 

D'où la réaction de Margarita Simonian, leur rédactrice en chef, après le discours d'Emmanuel Macron à Versailles. "Malgré les nombreuses invectives adressées durant la campagne présidentielle, jusqu'à aujourd'hui, pas un seul exemple, pas une seule preuve que RT ait diffusé des fausses informations à propos d'Emmanuel Macron n'a été présentée", s'est-elle emportée devant une caméra de... RT. 

Natalia Morozova, elle, dit attendre qu'Emmanuel Macron finisse par accepter la demande d'interview de Sputnik France. "Nous aimerions avoir des exemples concrets d'une information soi-disant inexacte dont nous serions à l'origine, se défend-elle. Emmanuel Macron et ses partisans ont beaucoup parlé de nous ces derniers temps mais jusqu'à présent, nous n'avons reçu aucune réponse à nos multiples sollicitations d'entretien." 

Sur Twitter, Margarita Simonian a interpellé le président français, l'enjoignant, en "levant une coupe de champagne", d'arrêter de "mentir sur RT et Sputnik". 

 

 

Lire l'article sur le site de l'Express.

 

Mots-clés
Guerre de l'information Russie France