14
mar
2022
Espace Média L'Ifri dans les médias
Marc JULIENNE, interrogé par Eloïse Bartoli pour France Info.

Guerre en Ukraine : "Au-delà du discours officiel, la neutralité de Pékin n'est que de façade", analyse un expert du régime chinois

Alors que le conseiller à la sécurité nationale américain a rencontré lundi à Rome le plus haut responsable du Parti communiste chinois pour la diplomatie, quelle est réellement la position de Xi Jinping face à l'invasion russe ? Franceinfo a posé la question à Marc Julienne, spécialiste de la Chine à l'Ifri.

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La position de la Chine dans la guerre qui oppose Kiev à Moscou est-elle en train de basculer ? C'est ce qu'affirme le New York Times (article payant, en anglais) dimanche 13 mars. Selon le quotidien américain, qui cite des responsables anonymes, la Russie a demandé à Pékin de lui fournir des équipements militaires et une aide économique pour l'aider à surmonter les sanctions internationales. Une accusation balayée par le géant asiatique. "Ces derniers temps, les Etats-Unis propagent constamment des fausses nouvelles à l'encontre de la Chine", a répondu devant la presse un porte-parole de la diplomatie chinoise. 

Marc Julienne, responsable des activités Chine au Centre Asie de l'Institut français des relations internationales (Ifri), apporte son éclairage sur le rôle de Pékin dans cette guerre.

franceinfo : Depuis le début de la guerre en Ukraine, quelle est la position de la Chine, alliée historique de la Russie ?

Marc Julienne : Depuis le 24 février, la Chine maintient une position officielle de neutralité dans le conflit armé qui oppose la Russie à l'Ukraine. Mais lorsque l'on analyse au-delà du discours officiel, on s'aperçoit que cette neutralité n'est que de façade. Pékin assure respecter la souveraineté de tous les Etats et la Charte des Nations unies, mais elle a repris mot pour mot le discours de Vladimir Poutine en parlant "d'opération militaire spéciale", en refusant d'utiliser le terme d'invasion et en se gardant d'attribuer toute responsabilité du conflit à l'un ou l'autre des belligérants. Elle reconnaît également les "préoccupations de sécurité légitimes" de la Russie. C'est une formule très générale pour dire en filigrane que Moscou avait aussi des raisons de se sentir menacé en Ukraine.

"Le discours chinois est très subtil, c'est tout en ligne de crête. Le but est de se présenter comme neutre tout en préservant les intérêts de la Russie. La Chine appelle à la discussion, à des pourparlers de paix, mais à aucun moment ne fait de démarches pour se positionner en médiatrice." Marc Julienne à franceinfo

Pourquoi la Chine soutient-elle implicitement la Russie dans cette guerre ?

C'est avant tout pour des raisons politiques. Les deux pays sont fondamentalement d'accord sur un point : leur opposition viscérale aux démocraties libérales occidentales. Il s'agit d'une opposition aux Etats-Unis, à l'Otan et, pour ce qui concerne particulièrement la Chine, une opposition au nouveau partenariat de l'Aukus (Australie, Royaume-Uni, Etats-Unis).

De son côté, la Russie fait face à ce front occidental puisqu'elle accuse l'Otan de vouloir s'élargir à l'Ukraine, ce qui est faux. C'est précisément sur ce point que la Chine et la Russie ont des intérêts alliés et c'est la raison pour laquelle Pékin soutient tacitement Moscou. C'est un soutien implicite dans le discours et très explicite économiquement. La Chine apporte son aide financière à la Russie depuis le début du conflit. Par des canaux de financements en yuans depuis que l'économie russe est exclue du système Swift, mais aussi en augmentant les importations de pétrole et de gaz, ou encore celles de produits agricoles, comme le blé. 

Enfin, depuis le début de la crise, Pékin observe attentivement ce qui se passe en Ukraine, en pensant à Taïwan. La Chine a des velléités très explicites sur une "unification", selon ses termes. Elle peut tirer certaines leçons de la guerre actuelle.

Pensez-vous que la Chine peut s'impliquer davantage dans le conflit ? 

Si elle soutenait trop ouvertement la Russie, elle pourrait elle-même être visée par des sanctions ayant de fortes répercussions sur son économie. Le choix idéologique va alors s'opposer aux intérêts pragmatiques de l'Empire du milieu. 

"A choisir entre l'alignement anti-américain et la préservation de l'économie chinoise, la Chine choisira de préserver son économie, qui subit une phase de ralentissement après la crise sanitaire liée au Covid-19." Marc Julienne à franceinfo

Le pays est dans une année très importante. En octobre 2022 va se dérouler le 20e congrès du Parti communiste chinois. Le président Xi Jinping devrait être reconduit pour un troisième mandat, ce qui serait inédit depuis la mort de Mao Zedong (1976). On est donc dans une période très sensible politiquement, où il faut absolument préserver l'économie, pour la pérennité du président au pouvoir. Puisque la Chine tente de se présenter comme neutre, fournir du matériel militaire à un belligérant représenterait une volte-face totale.

>> Retrouver l'entretien sur le site de France Info.

 

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