20
jan
2019
Espace Média L'Ifri dans les médias
Laurence NARDON, interviewée par William Bourton pour Le Soir

Mi-mandat de Trump : "il a fait beaucoup de choses et il l’a fait savoir"

Le candidat Donald Trump avait multiplié les promesses de campagne les plus extrêmes. Le 45e président des États-Unis en a déjà tenues pas mal, pour le meilleur et pour le pire, comme le confirme Laurence Nardon, spécialiste de la politique américaine à l’Institut français des relations internationales.

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Détricotage de l’Obamacare, réduction des taxes, dénonciation de différents accords commerciaux et de l’Accord de Paris sur le climat, durcissement des conditions d’accès au territoire américain pour certains ressortissants de pays musulmans, retrait des troupes de Syrie, déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem, pression maximale pour l’érection d’un mur à la frontière mexicaine… Comme le confirme Laurence Nardon – directrice du programme Amérique du Nord de l’Institut français des relations internationales et autrice de Les ÉtatsUnis de Trump en 100 questions (Tallandier) – en deux ans, le président Trump n’a pas chômé.

Donald Trump a réalisé une bonne partie des promesses qu’il avait faites durant sa campagne de 2016, y compris parmi les plus clivantes. Cela vous a-t-il étonné de sa part ?

Ce serait trop facile de dire aujourd’hui qu’il fallait s’y attendre, que c’était écrit d’avance. D’autant qu’au début de son mandat, il a un peu trompé son monde. Durant une partie de l’année 2017, il a paru quelque peu assagi sur un certain nombre de dossiers, en politique étrangère par exemple, parce qu’à l’époque, il avait autour de lui des conseillers « raisonnables », qui le cadraient bien, des partisans de la diplomatie traditionnelle qui l’ont poussé à être plus policé. Par ailleurs, les contre-pouvoirs étaient actifs. La Cour suprême, par exemple, a rejeté les deux premières versions de son « Muslim Ban » (décret présidentiel suspendant l’entrée aux USA des citoyens de certains pays musulmans, NDLR). Ou la Chambre des représentants, pourtant dominée par les républicains, n’avait pas pu se mettre d’accord sur le remplacement de l’Obamacare. Et puis, début 2018, les choses se sont progressivement retournées quand il a lancé ses guerres commerciales, les tarifs douaniers contre l’Union européenne, la Chine, etc. Cela a coïncidé avec le départ de nombreuses personnes de son entourage. Il est passé à la vitesse supérieure et à la mise en œuvre de quasiment toutes ses promesses, y compris le « Muslim Ban », dont une troisième mouture a fini par être acceptée par la Cour suprême.

Des décisions à court terme ou de nature à obérer l’avenir ?

Les deux. Il a préparé l’avenir par la nomination de juges très conservateurs. Il faut bien comprendre que Trump a deux électorats principaux, qui lui restent fidèles aujourd’hui. Le premier, ce sont les populistes : les classes moyennes blanches qui ont perdu leur emploi et qui en veulent aux élites, aux étrangers, etc. C’est pour eux qu’il veut construire le mur avec le Mexique et mettre en place toute une série de mesures démagogiques. Mais il a un second électorat : les conservateurs, les chrétiens fondamentalistes, des gens extrêmement rétrogrades sur les questions de mœurs, l’avortement, etc. Alors, ces gens détestent Trump ! Il n’est pas du tout comme eux : il est vulgaire, il ne va pas à l’église, tout ça. Néanmoins, ils se sont alliés avec lui dès la campagne de 2016 – le vice-président Mike Pence, par exemple, est issu de ce groupe-là – parce qu’il leur a promis la nomination de juges conservateurs à tous les échelons de la pyramide juridique. Il a ainsi nommé Neil Gorsuch et Brett Kavanaugh à la Cour suprême, mais aussi beaucoup d’autres, dans des cours fédérales de districts, etc. Son électorat conservateur est très satisfait de cette situation car ce sont des gens relativement jeunes – à la Cour suprême, Gorsuch a 51 ans et Kavanaugh, 53 –, nommés à vie pour la plupart, et donc appelés à rester en place pour une trentaine d’années. Cela veut dire que toute la jurisprudence américaine s’engage pour longtemps dans une voie rétrograde.

On a le sentiment qu’il ne s’occupe que de son électorat, qu’il n’a jamais endossé le costume de président de tous les Américains…

Tout à fait. C’est homme de campagne, c’est son seul mode de fonctionnement : un mode assez belliqueux, assez violent, assez « ras des pâquerettes ». Quand je dis que c’est un homme de campagne, il faut encore distinguer deux temps : le temps des primaires, où les candidats font campagne au sein de leur propre parti et où c’est un peu le plus extrême qui gagne ; et puis, une fois que le candidat de chaque parti a remporté l’investiture, il y a le temps de l’élection générale, où, là, il (ou elle) tient des discours plus rassembleurs pour tenter de séduire un maximum d’électeurs. Non seulement Trump n’est pas passé en mode « président », mais il n’est même jamais passé au mode « candidat à la présidence ». Il est toujours à travailler sa base populiste et sa base conservatrice. Cela pourrait d’ailleurs se retourner contre lui en 2020...

Nous allons y venir, mais pour rester sur les deux années écoulées : Trump a-t-il fait passer plus de choses qu’Obama à mi-mandat ?

Il a fait beaucoup de choses, c’est incontestable. Par rapport à Obama, à mi-parcours, il me semble qu’il en a fait plus, mais Obama cherchait à passer par la voie législative, par le Congrès. Il a attendu la fin de son mandat, après avoir perdu la Chambre et le Sénat, pour passer par voie réglementaire en prenant des ordonnances. Trump a fait ça assez rapidement, en multipliant les mesures exécutives, qu’il peut prendre tout seul dans son bureau en signant un document. Et puis il utilise aussi énormément ce que l’on appelle le « bully pulpit », le prestige de sa fonction, pour dire des choses qui portent. Une des raisons pour lesquelles on pense que son mandat semble aussi efficace à mi-parcours, c’est parce qu’il le fait savoir par des déclarations tonitruantes, en passant par Twitter, etc. Aussi parce que ses décisions sont très inhabituelles et « choquantes » – sans jugement de valeur. Cela contribue à donner cette impression – qui n’est pas fausse – qu’il a fait beaucoup de choses.

Quel est son bilan sur le plan socioéconomique ?

Il y a beaucoup de points positifs, avec un taux de croissance et des investissements assez élevés, et un taux de chômage au plus bas. Mais il y a aussi des points négatifs. Ainsi, les inégalités sociales. Elles ont été un peu aggravées par sa réforme fiscale de décembre 2017, mais pas complètement car si certaines mesures avantagent les très riches, d’autres avantagent les entreprises, ce qui est censé relancer la croissance et l’emploi, et puis certaines sont favorables aux classes moyennes. Dans la colonne « moins », il y a aussi le déficit budgétaire abyssal et l’instabilité sur les marchés boursiers.

Pour l’Europe, les deux premières années de mandat de Donald Trump ont-elles été positives ou négatives ou une occasion manquée ?

Je pense que ça a quand même été négatif. Pourtant, l’attitude de Trump, combinée au Brexit, aurait pu pousser les Européens à se prendre en main, à aller plus loin, à réinventer l’Union… Mais malheureusement, en ce moment, l’élan européen est un peu en berne et ce qui se passe aux États-Unis, comme au Royaume-Uni, n’a pas eu cet effet positif. Au contraire. En revanche, ce qui me semble positif dans ce qu’a fait Trump depuis deux ans, c’est qu’il a obligé l’Occident dans son ensemble à repenser des choses qui n’étaient plus discutées depuis des années, comme le libre-échange, par exemple : « Tout le monde y gagne et il n’y a rien à y redire »… Trump, avec sa brutalité, a dit que le libre-échange « ultralibéral » tel qu’il a été pratiqué depuis les années 80 a causé des dégâts pour les classes moyennes dans les pays développés et qu’il faut le recadrer. Et notamment en imposant à la Chine de ne plus faire n’importe quoi, de respecter les règles d’un libre-échange juste, d’un « juste-échange »

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Donald Trump mandat présidentiel Amérique du Nord Etats-Unis