03
aoû
2022
Espace Média L'Ifri dans les médias
Marc JULIENNE, entretien avec Clara Robert-Motta pour Public Sénat.

Taïwan : « Les exercices militaires ne sont pas que des gesticulations politiques. »

La visite de la présidente de la Chambre des représentants étasuniens, Nancy Pelosi, à Taipei, mardi 2 août a provoqué la colère de Pékin. En représailles, la Chine de Xi Jinping a annoncé des « actions militaires ciblées » autour de Taïwan, territoire autonome depuis 1949 mais revendiqué par les Chinois. Explications avec Marc Julienne, responsable des activités Chine au Centre Asie de l’Institut Français des Relations Internationales.

Pourquoi les États-Unis se lancent-ils dans un bras de fer avec la Chine aujourd’hui ?

Ce « bras de fer » est déjà en cours depuis plusieurs années dans le contexte d’une rivalité croissante entre les deux puissances. Face à une attitude de plus en plus coercitive de la part de la Chine, surtout par une accentuation de la pression militaire, il y a une volonté des États-Unis de réaffirmer leur soutien à Taïwan sans pour autant sortir de leur doctrine « d’ambiguïté stratégique » adoptée depuis 1979, c’est-à-dire ne pas déclarer s’ils interviendraient ou non en cas de guerre dans le détroit.

A cette époque, les États-Unis reconnaissent la République Populaire de Chine au détriment de Taïwan, mais continuent d’entretenir des liens non-officiels avec cette dernière, conformément au Taiwan Relations Act voté par le Congrès.

Aujourd’hui, les États-Unis continuent de soutenir Taipei pour différentes raisons. Tout d’abord, laisser tomber Taïwan serait un très mauvais signal pour le réseau d’alliance américain dans la région. Pour des raisons géostratégiques également : Taïwan fait partie de la première chaîne d’îles qui empêche la Chine d’accéder librement à l’océan Pacifique. Si la Chine prenait Taïwan est donc pour Pékin le verrou à faire sauter pour désenclaver sa façade maritime. Taïwan est aussi une grande puissance technologique, et notamment le plus important producteur de semi-conducteurs.

Enfin, Taïwan est une démocratie qui est parmi les plus vives et les plus efficientes du monde. Il y a un enjeu éthique et idéologique à ne pas abandonner cette démocratie à un État autoritaire. Taïwan est un contre-modèle pour la Chine.

Quelle est la réaction de la Chine à cette visite ?

La Chine tente d’infuser l’idée qu’avec cette visite les États-Unis remettent en cause le statu quo et la politique d’une seule Chine – qui statue que si l’on reconnaît la République populaire de la Chine, on ne peut pas reconnaître Taïwan et inversement. Or, Pelosi est la présidente de la Chambre des représentants et, dans un pays où il y a une séparation des pouvoirs, la diplomatie parlementaire n’est pas la diplomatie gouvernementale. Formellement, il n’y a donc pas rupture de la doctrine.

D’ailleurs, de mon point de vue, c’est plutôt la Chine qui repousse un peu plus chaque jour le statu quo. Depuis deux ans, la République populaire de Chine réalise des exercices militaires de plus en plus fréquents et importants autour de Taïwan. Il y a eu plus de 1500 opérations aériennes dans la zone d’identification de défense aérienne de Taïwan ces deux dernières années. Du jeudi 4 au dimanche 7 août, la Chine a déjà prévu des manœuvres navales et aériennes et des tirs de missiles balistiques, et certains d’entre eux pourraient même passer par-dessus l’île, littéralement au-dessus de la tête des Taïwanais. Au-delà d’instaurer un climat de peur, l’intérêt de ces exercices militaires est aussi de banaliser ces actions, user les appareils militaires taïwanais, mais aussi de s’entraîner très concrètement. Ce ne sont pas que des gesticulations politiques.

Quelles pourraient être les conséquences de cette escalade ?

Tout d’abord cela aura le mérite de braquer les projecteurs sur Taïwan. La communauté internationale va peut-être se réveiller pour se mobiliser et contrer la menace. Mais ce climat de tensions permanent est dangereux. Lorsque l’on a autant de capacités militaires réunies, la moindre action voire le moindre accident pourrait entraîner un conflit armé à la façon d’une allumette dans une poudrière.

Pour autant, les experts s’accordent pour évaluer que la Chine n’est pas encore mature pour lancer une opération d’invasion de Taïwan. Toutefois, la Chine disposera des capacités nécessaires à un horizon très proche : aux alentours de 2027. Au-delà de l’évaluation purement capacitaire, la précipitation d’un conflit par Xi Jinping, pour des raisons intérieures par exemple, n’est pas à exclure.

>> Retrouver l'entretien sur le site de Public Sénat.

 

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