06
fév
2023
Espace Média L'Ifri dans les médias
Marc JULIENNE, interrogé par Véronique Kiesel dans Le Soir.

USA-Chine: un ballon qui rajoute des tensions à une liste déjà longue

Echange de déclarations fâchées à propos de la présence du ballon, puis de sa destruction. Report de la rencontre entre Xi Jinping et Blinken. Pékin et Washington souhaitaient calmer le jeu et apaiser des relations très tendues : c’est (provisoirement) raté…

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L’affaire du ballon chinois, qui a survolé des sites stratégiques sur le territoire américain avant d’être abattu samedi par un avion de chasse US, a fait brusquement remonter les tensions entre les deux pays, à un moment où elles auraient pu – un petit peu – s’apaiser.

Vendredi déjà, le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken avait appelé son homologue chinois Wang Yi pour lui annoncer le report de la visite qu’il devait effectuer dimanche et lundi à Pékin, lui expliquant que l’envoi de ce ballon était « un acte irresponsable et une violation claire de la souveraineté des Etats-Unis qui sape l’objectif du voyage ».

Et ce lundi, après la destruction du ballon, c’est le vice-ministre chinois des Affaires étrangères Xie Feng qui a réagi en déplorant ces « actions américaines qui ont gravement affecté et endommagé les efforts et progrès des deux parties pour stabiliser les relations sino-américaines depuis la rencontre de Bali » entre Xi Jinping et oe Biden.

1. Un apaisement diplomatique mort-né

« Cette affaire met en effet à terre les espoirs d’une reprise d’un dialogue, nés lors du G20 de Bali en novembre dernier », confirme Marc Julienne, responsable des activités de recherche sur Chine au Centre Asie de l’Ifri (Paris). « Depuis l’arrivée au pouvoir de Joe Biden en janvier 2021 en pleine pandémie, il y a eu très peu d’interactions entre les dirigeants des deux pays. Un sommet à Anchorage (Alaska) en mars 2021, avait certes réuni les ministres des Affaires étrangères des deux pays entourés des plus hauts diplomates, mais cette rencontre avait eu lieu dans un climat glacial, voire menaçant. Les Chinois s’étaient montrés extrêmement fermes vis-à-vis de la nouvelle administration américaine. »

La stricte politique zéro-covid mise en place par Pékin a encore compliqué le dialogue USA-Chine. Au fil de ces années, Joe Biden et Xi Jinping ont pu échanger en visioconférence, mais il a fallu attendre Bali pour les voir, tout sourire, se serrer la main et discuter pendant plusieurs heures, affirmant la volonté de maintenir un dialogue de haut niveau entre les deux administrations: c’est d’ailleurs à Bali que Biden a annoncé que le secrétaire d’Etat Blinken se rendrait à Pékin début 2023.

Alors que l’économie chinoise n’était pas à la fête l’an dernier, le vice-Premier ministre chinois Liu He avait aussi indiqué, mi-janvier, au Forum économique de Davos, que la Chine était à nouveau ouverte et prête pour le business international. Mais l’affaire du ballon est venue mettre à mal cette volonté chinoise de faire baisser les tensions accumulées ces dernières années.

« On a par ailleurs aujourd’hui l’impression d’assister, aux USA, à une compétition entre les Républicains et les Démocrates pour savoir qui aura la position la plus dure contre la Chine, les premiers accusant les seconds d’être trop mous, alors que leur politique vis-à-vis de la Chine n’a jamais été aussi dure », reprend Marc Julienne. « Une vraie surenchère, alors que les Républicains dirigent désormais la Chambre des représentants.»

2. L’accès aux technologies de pointe, principal point de tensions

« La liste des points de tension entre les deux pays est longue, mais on y trouve, tout en haut, la rivalité systémique et la concurrence stratégique », poursuit le chercheur de l’Ifri. « Et donc c’est le domaine technologique qui est la pointe de diamant de cette compétition, puisque c’est grâce aux nouvelles technologies que seront développés les processus industriels de demain mais aussi les systèmes militaires et spatiaux de demain. Celui qui innovera dans l’intelligence artificielle ou le quantique aura le monopole d’un nouveau marché et la capacité d’établir les normes internationales dans ces secteurs. »

L’administration Biden avait donc hérité de toute une série de barrières tarifaires mises en place par l’équipe Trump contre la Chine, concernant notamment ses exportations d’aluminium et d’acier, mais aussi d’un contrôle des exportations des entreprises de télécoms chinoises comme Huawei et ZTE. Toutes ces mesures ont été maintenues.

Et en octobre dernier, Washington avait, au nom de la « sécurité nationale », annoncé de nouveaux contrôles à l’exportation visant à limiter la capacité de Pékin à acheter et fabriquer des puces haut de gamme « utilisées dans des applications militaires ».

A ces mesures de contrôle des exportations sur les semi-conducteurs se sont ajoutées de nouvelles interdictions d’exportations de composants vers l’entreprise Huawei. Et il y a une dizaine de jours, les USA ont demandé fermement aux Pays-Bas et au Japon de ne pas exporter vers la Chine du matériel industriel servant à produire ces fameux semi-conducteurs.

Ces mesures américaines de contrôle d’exportations touchant les composants électroniques concrétisent cette rivalité en forme de guerre économique : Washington entend freiner Xi Jinping dans son objectif de faire de la Chine la première puissance mondiale à l’horizon 2049.

3. Taïwan, l’autre point majeur de crispation

« Les tensions à propos de Taïwan ne cessent de monter ces dernières années, sur le plan militaire, politique, informationnel mais aussi économique », précise Marc Julienne.

« Puisque la Chine exerce de très fortes pressions contre Taïwan, les Etats-Unis réagissent de façon symétrique à cette coercition chinoise. Le soutien de Washington à Taïwan est de plus en plus affirmé. Sous Trump, une loi, le Taïwan Travel Act, a été adoptée, autorisant des officiels américains de niveau fédéral à se rendre en visite à Taïwan. Et actuellement, le Congrès travaille à une nouvelle loi qui devrait mettre à jour la loi de 1979 » (régissant les rapports avec Taïwan après la reconnaissance officielle de la République populaire de Chine par Washington NDLR).

« Jusqu’ici, conclut le chercheur de l’Ifri, l’ambiguïté stratégique américaine dans ce dossier, qui ne précisait pas si les Etats-Unis soutiendraient ou pas militairement Taïwan, visait à dissuader l’île de déclarer formellement son indépendance, mais aussi à dissuader Pékin d’envahir Taïwan : elle était à double sens. Mais puisque de menaçantes manoeuvres militaires chinoises ont lieu désormais quotidiennement, il est important pour les Etats-Unis de réaffirmer cette dissuasion, d’envoyer des signaux à Pékin pour dire que la Chine ne fait pas ce qu’elle veut dans le détroit de Taïwan, et donc que les Etats-Unis pourraient bien intervenir s’il y avait une offensive militaire unilatérale chinoise… »

>> Retrouver l'article en intégralité sur le site Le Soir.

 

Mots-clés
Joe Biden relations sino-américaines Xi Jinping Chine Etats-Unis Taiwan