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jan
2009
Éditoriaux de l'Ifri Chroniques américaines
Anne TOULOUSE

L'agenda du nouveau président Chroniques électorales américaines, n° 13, janvier 2009

Chroniques électorales américaines 13 (janvier 2009)

Le fantôme de Franklin D. Roosevelt plane sur Washington. Les démocrates du Congrès aiment se comparer aux deux chambres qui, en 1933, ont voté, pendant les fameux 100 jours, 16 lois qui ont formé les piliers du New Deal et apporté de profonds changements à la société américaine. Aussi séduisante que soit la comparaison, elle prend quelques libertés avec l'Histoire. 2009 n'est pas 1933… heureusement! Il n'y a pas 25% de la population active au chômage et les enfants ne font pas encore la queue pieds nus devant les soupes populaires. Il y a néanmoins un vent de changement dans l'air, un président pour l'instant extrêmement populaire et des problèmes suffisamment sérieux pour que l'opinion publique soit prête à accepter des réformes… à condition qu'elle perçoive rapidement qu'elles ont un aspect pratique et non idéologique. À cet égard, Barack Obama arrive avec un cahier des charges impressionnant.

 

L'économie, la priorité des priorités

En 2008, l'économie américaine a perdu 2,5 millions d'emplois, dont un demi-million en décembre. Elle devrait en perdre encore plus l'année prochaine. À la fin de l'année 2008, le chômage touchait 7,2% de la population, contre 5,8% en 2007 et 4,6% en 2006. Huit millions de personnes travaillent en horaires réduits, ce qui fait descendre la moyenne nationale de la durée de travail hebdomadaire à 33 heures. Si le chômage est traditionnellement bas aux États-Unis, la moindre de ses augmentations a des répercussions profondes, car le filet social est léger.

Depuis un an, le pays semble entré dans une spirale où la crise de l'immobilier a entraîné une crise financière… qui a entraîné un appauvrissement de la population… qui a entraîné une chute de la consommation… qui a entraîné des licenciements massifs… qui font que les Américains dépensent encore moins d'argent et n'achètent plus de maisons ou de voitures etc.

Dans les discours qu'il prononce plusieurs fois par semaine depuis son élection, B. Obama souligne la nécessité de stabiliser cette économie, sans même parler pour l'instant d'inverser la spirale. Il a autour de lui une équipe qui a de solides références, si ce n'est qu'elle a davantage fait ses preuves dans les périodes fastes que dans les moments de crise. Il serait de toute façon difficile de trouver sur le marché un économiste qui n'ait pas été partie prenante à l'euphorie des 10 dernières années du XXe siècle.

Le nouveau président veut, dès ses premières semaines à la Maison-Blanche, être en mesure de signer un plan de relance économique dont le montant est encore incertain, mais qui devrait dépasser 800000 milliards de dollars (Md$). Ces mesures passeront certainement l'obstacle législatif, d'une part grâce à un Congrès qui, sans avoir une majorité à l'abri des obstructions parlementaires, dispose d'une large marge de manœuvre, d'autre part parce que même l'opposition se doit de répondre à l'inquiétude du pays et aux sombres prédictions des économistes.

L'un des problèmes est que le précédent plan de relance publique de 700Md$, dont la moitié a déjà été distribuée aux institutions financières et à l'industrie automobile, n'a pas encore porté de fruits visibles. De même, les abattements fiscaux redistribués en 2008 sous forme de chèques, en moyenne $1200 par foyer, n'ont que très modérément dopé la consommation. À force de s'entendre dire, à juste titre, qu'ils avaient jeté l'argent par les fenêtres, les Américains sont en train de découvrir la frugalité… ce que les économistes ne vont pas tarder à leur reprocher.

En réinjectant des sommes massives d'argent public dans l'économie, la nouvelle Administration sait qu'elle va aggraver un déficit déjà colossal, que les générations à venir finiront bien par devoir payer. Elle se trouve dans la situation de dépenser plus en réduisant ses ressources par des réductions d'impôts touchant 95% de la population -ce qui est un exercice périlleux sur le plan comptable. Barack Obama fait également face au too much of a good thing ("trop de bonnes choses") avec un Congrès qui lui est largement acquis mais qui a les exigences qui vont avec la victoire. Le 6 janvier 2009, le Wall Street Journal répertoriait sept mouvances parlementaires du Parti démocrate revendiquant chacune leur propre agenda.

Le nouveau président a promis la création de 2, puis 3 millions, et maintenant près de 4 millions d'emplois, ce qui dépasse ce qu'a pu créer l'économie américaine pendant le double mandat de George W. Bush. Une partie de ce plan est "rooseveltienne", avec le lancement de grands travaux d'infrastructure. Il faut voir comment la méthode pourra être transposée dans une époque très différente de celle du New Deal. Les emplois perdus en ce moment le sont essentiellement dans le secteur des services et ne peuvent être reconvertis dans la construction, à l'image de la reconversion des agriculteurs des années 1930 dans les travaux de terrassement. Le plan prévoit également la création d'emplois dits "verts", qui exploiteraient les nouvelles technologies pour améliorer l'environnement.

Mais quelles que soient les techniques employées, leur réussite dépend en partie d'un élément imprévisible et largement immaîtrisable: la confiance. La tâche primordiale d'Obama est d'arriver à ranimer celle de ses concitoyens, tétanisés par la crise même quand elle ne les touche pas directement. À cet égard, sa qualité de nouvel arrivé est un atout. Il en a un autre. Si les prédictions des économistes se vérifient -ce qui est déjà un grand "si"-, la situation devrait s'aggraver au début de l'année, se stabiliser vers la fin de l'année 2009 et s'améliorer à partir de l'année suivante. La progression accompagnerait donc celle du premier mandat et mettrait le président en bonne position pour un second…

 

La réforme de l'assurance-maladie

Vu d'Europe, c'est une urgence absolue. Il est difficile en effet d'imaginer que le système de santé américain continue à naviguer entre ces deux chiffres: 4,5 millions de personnes n'ont pas d'assurance-maladie -soit environ un Américain sur 7-, pour un coût total des dépenses de santé presque une fois et demie supérieur à ceux de l'Europe de l'Ouest ou du Canada.

Contrairement à ce qui s'est passé voici 14 ans, lorsqu'un plan de réforme de l'assurance-maladie a été préparé sous la supervision d'Hillary Clinton, il y a aujourd'hui un certain consensus sur la nécessité de remettre en ordre un système qui présente de graves lacunes au niveau de l'organisation.

Barack Obama a chargé Tom Daschle, ancien chef du groupe démocrate au Sénat, de préparer une réforme qui n'a rien de radical, puisqu'il s'agit de boucher les trous plutôt que de mettre le système à plat. Les sondages montrent d'ailleurs que les Américains ne sont pas favorables à un changement du statu quo : ils revendiquent simplement, et dans cet ordre, des coûts moindres et un plus large accès à des soins que la majorité d'entre eux décrivent comme de grande qualité (avec, il est vrai, peu de visibilité sur ce qui se fait ailleurs). Le jour où Tom Daschle a présenté, pour la première fois, les grandes lignes des projets gouvernementaux devant une commission du Sénat, le 8 janvier 2009, une alliance de médecins, d'assureurs, de laboratoires pharmaceutiques et de syndicats des professions de santé a acheté de l'espace publicitaire pour affirmer leur soutien à une réforme.

La tâche est pourtant compliquée par la situation économique. Aux États-Unis, ce sont les entreprises qui, dans la majorité des cas, ont la charge d'assurer la couverture maladie de leurs employés. Ce qui veut dire que lorsque l'on perd son emploi, on perd également son assurance. Il existe un système, issu du Consolid Omnibus Budget Reconciliation Act et connu sous le nom de COBRA, qui permet de racheter son assurance-maladie avec une faible subvention. Selon les États américains, car ce sont eux qui gèrent le système, le coût de cette assurance absorbe entre 30% et 40% des indemnités de chômage versées pendant 13 semaines par l'État.

Comme tous les pays développés les États-Unis sont confrontés au vieillissement de leur population qui entraîne une croissance du coût des soins. La perspective d'injecter 45 millions de personnes dans un système déjà en péril constitue un véritable pari. Il est vrai que même les non assurés coûtent cher, et même souvent plus cher que ceux qui le sont, car lorsqu'ils tombent gravement malades l'hôpital a l'obligation de les prendre en charge. Le système fait que d'autre part les États-Unis sont très en retard sur le plan de la prévention et du traitement des maladies chroniques, comme le diabète ou l'hypertension. Une population mieux assurée serait en meilleure santé, et le système y gagnerait à long terme, mais pour le gouvernement qui s'installe, le problème est le court terme…

 

Les deux guerres

Barack Obama hérite de deux guerres, en Irak et en Afghanistan, et se trouve devant un délicat problème de vases communicants: comment transférer des forces de l'une à l'autre ?

Il est notable que le domaine où le changement s'annonce le moins important est celui de la défense. Le nouveau président a demandé au secrétaire à la Défense de G.W. Bush, Robert M. Gates, de garder au moins provisoirement ses fonctions, et la stratégie est toujours supervisée par le général David Petraeus, ancien commandant des forces en Irak, qui est actuellement à la tête du United States Central Command (CENTCOM), le grand poste de commandement basé en Floride. Les présidents démocrates ont d'ailleurs toujours eu une certaine propension à s'appuyer sur des républicains pour approcher les militaires, avec lesquels ils ne semblent pas avoir un contact naturel. Au cours des 60 dernières années, depuis que F. D. Roosevelt a appelé auprès de lui un rival politique, Henry L. Stimson, pendant la Seconde Guerre mondiale, tous les présidents démocrates, à l'exception de Jimmy Carter, ont eu un secrétaire à la Défense républicain.

R. M. Gates, qui a été l'artisan du surge, l'augmentation des troupes qui en 2007 a permis de stabiliser la situation en Irak, va donc maintenant superviser la décrue. L'objectif du nouveau président est un retrait des troupes américaines en 16 mois. Au moment où il prendra ses fonctions, les effectifs sur le terrain seront déjà passés de 20 à 14 brigades. Il trouve également en arrivant un accord de sécurité qui a pris effet le 1er janvier. Le 9 janvier le général Petraeus déclarait: "À beaucoup d'égards, l'année qui commence est une année de transition […], au cours de cette année nos troupes vont se transformer en une force de support, de conseil et d'assistance".

La guerre en Irak a été l'un des grands thèmes du début de la campagne électorale d'Obama. Dès le début, il a promis un retrait, avec un calendrier précis, ce qui lui a d'ailleurs été reproché jusque chez ses concurrents démocrates, à commencer par son actuel vice-président.

Barack Obama avait l'avantage de ne pas être "plombé" par un vote autorisant l'usage de la force en Irak, pour la bonne raison qu'au moment ou la situation s'est présentée, il n'était pas encore élu au Sénat. Une double ironie veut que, au moment où il prend le pouvoir, d'une part le calendrier de retrait est devenu un acquis, et d'autre part la guerre en Irak est passée à l'arrière-plan des préoccupations de ses compatriotes. En raison de la crise économique, bien sûr, mais aussi parce qu'elle a cessé d'être meurtrière pour les troupes américaines. Le bilan est de 14 morts au mois de décembre 2008, y compris accidents et maladies, soit à peine plus que si les troupes étaient en garnison.

Seuls les militants les plus à gauche du Parti démocrate continuent à harceler le nouveau président pour qu'il mette fin immédiatement à l'engagement américain. Ils ont organisé à la veille de son élection une série de manifestations que l'on ne peut guère décrire comme des mouvements de foule…

Le vrai problème de B. Obama est désormais l'Afghanistan. Pendant sa campagne, il a d'ailleurs identifié ce pays comme le front principal sur lequel devait se porter l'effort américain. Comme le soulignait récemment le Los Angeles Times, l'Irak est devenu "la mauvaise guerre" et l'Afghanistan "la bonne guerre". Une partie des effectifs retirés d'Irak vont être dirigés vers l'Afghanistan: au cours de l'année qui vient, 20000 soldats américains devraient s'ajouter aux quelque 30000 qui s'y trouvent déjà.

Mais le transfert de stratégie n'est pas aussi évident que le transfert de forces. On ne sait d'ailleurs pas ce que sera cette stratégie, l'omniprésent général Petraeus devant présenter un plan à Barack Obama dans la dernière semaine de janvier. Dix jours avant l'investiture présidentielle, le vice-président Joe Biden a mis un terme à ses fonctions de président de la commission des Affaires étrangères en emmenant une délégation parlementaire en Afghanistan. Cette mission est d'ailleurs apparue davantage comme un avant-goût de la présidence Obama que comme une tournée d'adieu au Sénat. Auparavant, le futur vice-président s'est rendu au Pakistan, qui semble être la pierre angulaire de l'évolution de la situation. Les milliards de dollars déversés dans ce pays depuis 2001 n'ont pas produit les résultats escomptés dans la lutte contre le terrorisme; 2 milliards ont purement et simplement disparu de la circulation, ce qui laisse la porte ouverte à toutes les spéculations. La stratégie que B. Obama va adopter vis-à-vis de cet allié instable n'est pas claire pour le moment. Mais il ne semble pas qu'il y ait de solution heureuse en vue.

 

La lutte contre le terrorisme

Les attentats du 11 septembre ont façonné la présidence de G.W. Bush. Barack Obama a signalé qu'il se positionnait en rupture avec les méthodes du passé en nommant dans son équipe juridique, et surtout dans son équipe de sécurité, des personnalités qui avaient manifesté plus ou moins bruyamment leur opposition à la torture ou aux méthodes d'interrogations coercitives. Le choix de l'un de ses fidèles, Leon E. Panetta, comme directeur de la Central Intelligence Agency (CIA) a surpris les spécialistes de la politique washingtonienne. Celui-ci, s'il est un fin politique et un brillant administrateur, n'a aucune expérience dans le domaine du renseignement, qui est la raison d'être de la CIA.

George W. Bush avait permis par décret présidentiel l'utilisation de méthodes d'interrogation coercitives dans la lutte contre le terrorisme. Barack Obama peut, par le même procédé, obliger la CIA et tous les services de renseignement à se conformer au strict code de conduite des interrogatoires militaires. Cela lui vaudra l'approbation de l'opinion internationale et d'une partie de l'opinion publique américaine. Mais auprès de cette dernière, il peut y avoir un total retournement de situation si le pays venait à être à nouveau attaqué. Le plus grand succès du pouvoir sortant est d'avoir maintenu les États-Unis à l'abri d'une nouvelle attaque terroriste.

Parmi les casse-tête qui attendent le président, figure Guantanamo. Il s'est engagé à fermer cette prison située sur l'île de Cuba où des personnes arrêtées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme sont détenues sans jugement depuis plusieurs années. Il y a actuellement quelque 250 prisonniers à Guantanamo, avec deux solutions: les libérer ou les juger. Dans le premier cas, il faut que leur pays d'origine veuille les reprendre et dans certains cas qu'il accepte de les détenir. Les juger ferait peser une lourde charge sur le système fédéral qui risque d'ailleurs de manquer de matière pour instruire des procès si les pièces à conviction obtenues par des méthodes coercitives sont déclarées illégales. Que faire également des suspects de terrorisme qui seront capturés sous la nouvelle présidence, quel arsenal juridique permettra de les maintenir en détention préventive et dans quel cadre ?

Comme si toutes ces questions ne suffisaient pas, B. Obama devra également décider comment répondre aux pressions des éléments les plus radicaux de son parti, qui réclament des poursuites en justice contre le président Bush et son entourage, pour les méthodes d'interrogatoires et les écoutes téléphoniques qu'ils ont autorisées.

 

Le Proche-Orient

Lorsque, le mercredi 7 janvier, les présidents passés, présent et futur se sont réunis pour un déjeuner à la Maison-Blanche, des journalistes ont rappelé que le précédent déjeuner de ce type avait eu lieu en… 1981. Ronald Reagan recevait alors Jimmy Carter, Richard Nixon et Gerald Ford. Et de quoi avaient-ils parlé ? Du Proche-Orient. Vingt-sept ans plus tard, il en a sans doute été de même pour les deux Bush, Clinton, Obama et toujours Carter.

Le dossier du Proche-Orient est de ceux qu'un nouveau président américain est sûr de trouver fumant sur son bureau. G.W. Bush, qui avait signalé pendant sa première campagne électorale qu'il s'en occuperait le moins possible, a hérité de l'Intifada déclenchée l'été avant son élection, et a été confronté à une situation si explosive qu'il a fini par s'atteler à sa résolution, comme ses prédécesseurs.

Pendant sa brève carrière de sénateur et sa campagne électorale, Barack Obama s'est conformé au traditionnel soutien américain envers Israël.

Le 27 décembre, le futur président prenait ses dernières vacances à Hawaï lorsque l'offensive israélienne sur Gaza a commencé. Depuis lors, son silence a été assourdissant. Il s'est réfugié derrière la formule: "Il n'y a qu'un seul président à la fois, et c'est George W. Bush", un argument qui aurait été plus crédible s'il l'avait appliqué dans d'autres domaines. Les Américains s'en accommodent parce qu'ils sont accaparés par leurs soucis économiques. Si B. Obama doit faire le tri dans ce qui l'attend à partir du 20 janvier, Gaza ne sera sans doute pas sa priorité.

 

L'image des États-Unis dans le monde

Dans un premier temps, B. Obama n'aura pas à se soucier d'améliorer l'image des États-Unis à travers le monde: sa simple existence y pourvoit. Le nouveau président est encensé avec aussi peu de mesure que le sortant a été vilipendé. Une tribune libre du Wall Street Journal expliquait récemment que cette image était en quelque sorte détachée de ce que le nouveau président pourra faire ou ne pas faire: grâce à lui, l'Amérique se sent confortée d'avoir fait un choix aussi politiquement correct.

Le reste du monde lui renvoie ce choix comme un miroir et, certainement, le seul fait qu'un pays soit, en deux générations, passé du racisme institutionnalisé à l'élection d'un président noir vaut tout ce que l'on pourrait dire et faire à ce sujet. Barack Obama n'a d'ailleurs pas dit grand-chose dans ce domaine, à part le fait de signaler à ses supporters qu'il serait sympathique de s'adresser aux étrangers avec des éléments de leur langue plus élaborés que: "Merci beaucoup!". Son histoire même de fils d'un Kenyan élevé en Indonésie fait de lui un emblème de l'ouverture sur le monde.

Avec autant d'atouts, il ne frôle finalement qu'un risque: celui de décevoir tous les espoirs et les fantasmes qu'il suscite.