Publié le 24/09/2016

Vivien PERTUSOT, interrogé par Tanguy Verhoosel pour "La Liberté" (Suisse).

Vivien Pertusot, responsable d'Ifri Bruxelles, répond aux questions de "La Liberté" trois mois après le référendum britannique sur les négociations du Brexit et les prochaines étapes.

Trois mois après le «yes» au Brexit, on a un peu l’impression que rien ne bouge. Votre avis?
Vivien Pertusot: C’est un faux-semblant. L’Union se trouve dans une position d’attente, le Royaume-Uni n’ayant pas encore déclenché officiellement la procédure de sortie de l’UE (prévue dans l’article 50 des Traités européens). Mais c’était prévisible. Londres, qui n’avait aucun plan avant le 23 juin, veut bien se préparer pour les négociations à venir. Et ça avance, de son côté.

Qu’est-ce qui avance?
Le gouvernement se met en rang pour avoir une approche claire sur le futur statut du Royaume-Uni en Europe. Il doit s’assurer du soutien de différentes parties prenantes, dans ce contexte – l’Ecosse, l’Irlande du Nord, le pays de Galles, le secteur financier, etc. Petit à petit, Londres recrute également les experts nécessaires pour gérer le Brexit ainsi que les Etats qui voudraient conclure un accord de libre-échange avec le pays, quand il aura quitté l’Union.

A ce propos, la Commission a ouvertement rappelé les Britanniques à leurs obligations européennes...

Nous assistons à une pièce de théâtre, où chacun joue son rôle. La Commission campe sur des positions dures: refus absolu de toucher à la libre circulation des personnes si le Royaume-Uni veut conserver un large accès au marché inté- rieur européen et refus absolu de le voir engager des négociations sur d’éventuels traités de libre-échange aussi longtemps qu’il demeurera membre de l’UE – c’est une compétence exclusive de Bruxelles. De son côté, Londres ne veut pas donner l’impression à la population britannique que rien ne se passe. Il est donc logique qu’il discute avec des Etats tiers.

A quand le véritable match ?

Le Brexit aura lieu, même si la forme qui s’écartera assurément des modèles existants, par exemple celui de la Suisse – et le temps qu’il prendra demeurent inconnus. Se précipiter, ce serait contre-productif pour le gouvernement. Des positions doivent encore être consolidées, à l’échelle nationale.

Serait-ce possible, alors que l’Ecosse agite déjà le spectre d’un nouveau référendum sur son indépendance ?

Oui. La première ministre écossaise joue également son rôle, sur le ton de «Retiens-moi ou je fais un malheur!» Mais l’économie écossaise est très dépendante de celle de l’Angleterre. Je crois que les deux parties pourront s’entendre sur la nécessité de demeurer arrimées au marché intérieur européen ainsi que sur une redistribution de certaines aides aux différentes régions écossaises.

En attendant, rien ne semble tourner rond, du côté des vingt-sept futurs ex-partenaires du royaume-uni. Est-ce également un faux- semblant ?

Du côté de l’UE, la situation est plus compliquée. On y constate une volonté de saisir l’opportunité que représente le Brexit pour faire avancer le projet européen. Mais en même temps, on peut se dire que les résultats du sommet de Bratislava (où les Vingt-Sept se sont retrouvés le 16 septembre) sont maigres. Des divisions et un manque de solidarité y sont apparus.

N’est-ce pas de mauvais augure ?

C’est une bonne chose que les Vingt-Sept étalent leurs divisions ! Si chacun se cache et que personne ne met cartes sur table, on enterrera le projet européen. On a besoin, aujourd’hui, que les divisions ressortent afin qu’on puisse discuter de manière franche et prospective. Par après, il faudra que chacun adopte une attitude constructive.

C’est tout sauf gagné d’avance, non ?

A ce stade, c’est vrai. On voit que les pays du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie) se placent plutôt dans une logique d’opposition à certains projets que dans une logique de force de propositions. Mais ces pays n’ont jamais fait preuve de particuliè ement d’allant, en matière d’initiatives européennes. Ne nous leurrons toutefois pas: le débat sur l’avenir de l’UE qui a été lancé ne sera pas terminé en mars 2017, à Rome, où l’on célébrera le 60e anniversaire du traité fondateur de la Communauté européenne.

Est-ce là une conséquence directe des élections qui auront lieu aux Pays-Bas, en France et en Allemagne ?

On ne peut pas espérer d’avancée majeure en 2017, en effet. Mais j’espère que ces échéances électorales dans trois pays ne vont pas empêcher les 24 autres de réfléchir de leur côté à l’avenir de l’UE et à leur participation à ce projet. Il faut arrêter de se dire que la France et l’Allemagne sont les deux pays qui font l’UE, alors qu’aujourd’hui différents groupes de pays se sont formés, qui ont tous la capacité d’influencer le débat sur l’avenir de l’Union. 

Brexit, reconstruction de l’UE: on avance l’échéance de 2019, pour régler tous ces problèmes. Est-ce réaliste ? 

Pour un Brexit pleinement consommé, je ne crois pas que cette échéance soit réaliste. On ne réglera pas tout avec le Royaume-Uni en deux ans. L’idée qui émerge, c’est qu’on consommera le divorce dans le délai de deux ans prévu par le Traité de Lisbonne et qu’on adoptera des mesures transitoires permettant de définir plus tard les relations futures entre le Royaume-Uni et l’Union. Politiquement et intellectuellement, il serait absurde de prononcer le divorce sans aucune perspective de cohabitation.

Cela ne reviendra-t-il pas à livrer l’UE en otage au royaume-uni?

Le processus du Brexit et celui de la reconstruction de l’UE devront être menés, mais pas nécessairement aboutir en parallèle. Qu’on le veuille ou non, dans le cadre du Brexit, les Britanniques vont certainement mettre sur la table des sujets dont plusieurs Etats membres de l’UE sont aujourd’hui déjà d’accord de discuter, tel celui de la libre circulation des personnes. Ils nécessiteront une réflexion.

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