Publié le 24/10/2016
Calais, France - October 13 2016: refugee camp "Jungle"

Matthieu TARDIS

La nouvelle opération de démantèlement des campements de migrants à Calais qui s’ouvre le 24 octobre 2016 est sans précédent par son ampleur. 

Elle fait suite à de nombreuses tentatives. Les autorités placent régulièrement la situation de Calais dans le contexte de la crise des réfugiés qui touche l’Europe depuis l’été 2015. Certes, la présence des migrants sur le littoral atteint aujourd’hui des niveaux élevés. Cependant, le phénomène de concentration dans le Calaisis n’est pas nouveau. Il est même ancien. Il prend de l’importance dès 1999 avec l’arrivée de réfugiés du Kosovo et l’ouverture d’un centre à Sangatte qui accueille 67 000 personnes pendant trois ans. Il est fermé le 31 décembre 2002 à l’issue de négociations entre la France et le Royaume-Uni. Mais les migrants sont toujours présents plus ou moins nombreux et visibles. Les raisons de cette installation temporaire sont connues. La Mer du Nord constitue un obstacle naturel. Ce sont surtout les contrôles pour le franchissement de cette frontière extérieure à l’espace Schengen qui rendent les traversées difficiles. Par ailleurs, des liens familiaux, personnels et linguistiques peuvent expliquer la volonté de rejoindre le Royaume-Uni. Cependant, pour un nombre important de migrants, l’eldorado britannique est la conséquence des mauvaises conditions d’accueil dans les pays de transit, y compris la France. Or, si de nombreuses personnes présentes à Calais relèvent a priori de l’asile, cette question a pendant longtemps été traitée sous l’unique angle de l’immigration irrégulière.

 

Une responsabilité française

Un changement de cap s’opère à la suite de l’échec d’opérations de démantèlement au cours de l’été 2014. Le ministre de l’Intérieur met en place une mission visant à proposer des solutions « qui permettent de concilier la mise en place de dispositifs respectueux des droits des migrants…avec l’objectif d’éviter les phénomènes de concentration ». Au début de l’année 2015, un centre d’accueil de jour ouvre. Il propose des équipements sanitaires, des soins, des repas et des places d’hébergement pour des femmes et des enfants. À partir du mois d’octobre 2015, près de 170 centres d’accueil et d’orientation (CAO) ouvrent sur l’ensemble du territoire français pour offrir un hébergement transitoire aux migrants de Calais. Selon le ministère de l’Intérieur, plus de 6 000 personnes y ont été accueillies à ce jour. Enfin, à la suite d’une condamnation du Conseil d’État sur les conditions de vie des migrants, les campements sont progressivement détruits dans le cadre « d’opérations de mise à l’abri ». Enfin, les autorités décident d’améliorer l’accès à la procédure d’asile

Or, l’ensemble des acteurs de l’asile s’accorde à penser que le système d’asile français est à bout de souffle. Ici encore, la crise des réfugiés est un coupable trop facilement désigné. En réalité, la crise de l’asile en France est antérieure à 2015 et trouve des raisons structurelles du fait de l’absence d’investissement depuis le début des années 2000. Il en résulte des délais disproportionnés d’accès à la demande d’asile, une augmentation de la durée de la procédure d’asile et un nombre croissant de demandeurs d’asile laissés dans des dispositifs d’hébergement non adaptés et finalement plus coûteux pour les finances publiques que les centres d’accueil pour demandeurs d’asile.  

En 2013, le gouvernement engage un processus de réforme qui aboutit à la loi du 29 juillet 2015 et à un plan ambitieux d’ouverture de centres d’accueil. Les difficultés du gouvernement à mettre en place cette réforme et l’agitation politique dans le cadre de la pré-campagne présidentielle risquent d’avoir raison de la volonté de l’Etat de traiter la question de Calais de manière plus équilibrée. Alors que la France commençait à reconnaitre sa responsabilité dans les défaillances de sa politique d’asile, le débat se trouve aujourd’hui dans une équation impossible entre les opposants à la solidarité nationale et les partisans d’une redéfinition des relations avec les Britanniques. 

Un symbole européen

Calais illustre l’enchevêtrement des dimensions locale, nationale et européenne des politiques d’asile et d’immigration. Les Etats membres demeurent les autorités responsables de la mise en œuvre de ces politiques même lorsque les règles ont été décidées collectivement à Bruxelles. Les conséquences des défaillances des Etats à respecter leurs engagements s’observent principalement au niveau local. Calais illustre dramatiquement l’échec du régime d’asile européen commun qui n’offre pas les mêmes chances de protection aux réfugiés dans chaque pays européen et les enferme dans le système Dublin. Calais pose également la question de la place du Royaume-Uni en Europe à laquelle le Brexit ne répond qu’en partie. Enfin, Calais montre les effets d’une frontière Schengen au sein du territoire européen.

Calais, c’est aussi un exemple de la réaction de la société européenne face aux migrations : des militants et des activistes européens, des bénévoles locaux qui agissent auprès des migrants depuis des années, des représentants d’associations professionnalisées et d’ONG humanitaires et une population locale sur un territoire durement et durablement touché par la crise économique dont le niveau de tolérance varie. Enfin, Calais est le symbole de ces parcours de vie de réfugiés et migrants fuyant les violations des droits de l’homme et guidés par l’espoir d’une vie meilleure. En fin de compte, Calais symbolise l’extrême complexité de la question migratoire et les contradictions des Européens qui ne proposent aucune vision crédible et audacieuse.