Publié le 07/09/2016

Laurence NARDON

Donald Trump sera, début 2017, le 45e président des Etats-Unis. Au-delà de la surprise ponctuelle, on s’interroge sur ce que pourront être les décisions de sa présidence, en interne ou en matière de politique étrangère. Dans RAMSES 2017. Un monde de ruptures, Laurence Nardon pose la question : « A quoi ressemblerait une présidence Trump ? », éclairant les caractéristiques de la campagne, et de la société américaine, qui aident à anticiper ces décisions.

La campagne des primaires pour les élections présidentielles de 2016 aura vu se dérouler un véritable feuilleton autour du succès de deux candidats hors-normes et antisystème. Si Bernie Sanders, côté démocrate, a été éliminé au terme des primaires démocrates, il aura quand même contesté beaucoup plus longtemps que prévu sur sa gauche la candidate pressentie de longue date Hillary Clinton. Côté républicain, à la stupéfaction générale, Donald Trump a éliminé ses adversaires un à un et s’est retrouvé seul en lice au début du mois de mai (retrait de Ted Cruz et John Kasich les 3 et 4 mai).


Trump vs. Clinton : un combat qui n’est pas gagné d’avance

Au lendemain des conventions des partis républicain et démocrate tenues fin juillet, la campagne pour le scrutin du 8 novembre prochain voit désormais se cristalliser l’affrontement entre Trump et Clinton. Or, l’avance que Hillary Clinton avait sur Donald Trump semble se réduire. Pendant des mois, les stratèges démocrates s’étaient frotté les mains en considérant le désarroi des candidats républicains traditionnels (mainstream) face à « The Donald ». Comparée à lui en effet, la candidate démocrate, raisonnable et posée, ne pouvait que l’emporter en novembre. Même s’il est risqué de se fier à des sondages nationaux qui ne reflètent pas la complexité d’un scrutin conduit à l’échelon des États, plusieurs des enquêtes d’opinion datant du mois de juin montrent les deux candidats au coude à coude.
La situation est donc préoccupante pour la candidate démocrate, d’autant qu’elle pourrait encore être mise en difficulté par l’affaire des emails personnels qu’elle a utilisés lorsqu’elle était secrétaire d’État entre 2009 et 2013. Après son échec face à Obama en 2008, Hillary Clinton, si peu charismatique, va-t-elle de nouveau trébucher à quelques pas du but ? La dynamique qui a permis à Trump de dépasser ses adversaires républicains va-t-elle maintenant l’entraîner au-devant de son adversaire démocrate ?

Faut-il s’inquiéter d’une présidence Trump ?
La campagne de 2016 confirme que les États-Unis sont touchés par la même fièvre populiste que beaucoup d’États dans le reste du monde. Sa première manifestation avait pris le visage des Tea Parties, ce mouvement anti-État et anti-impôts apparu en 2009 au lendemain de la crise financière et de l’élection de Barack Obama. Cette fièvre est aujourd’hui incarnée par Donald Trump, magnat de l’immobilier new-yorkais, star ébouriffée de l’émission de téléréalité The Apprentice, milliardaire haut en couleurs, mélange de Berlusconi et de Jean-Marie Le Pen.
Son programme correspond sur plusieurs points à la définition du populisme et s’inscrit donc dans la continuité de ce courant politique régulièrement présent dans l’histoire des États-Unis. Selon Pierre-André Taguieff, on peut en effet distinguer un populisme protestataire d’ordre économique et social, qui défend « les petits contre les gros » – ce qui explique qu’il y ait aussi un populisme de gauche –, et un populisme identitaire, nationaliste et xénophobe. La campagne de Donald Trump coche tout d’abord ces deux cases.


Des thèmes identitaires et protestataires

Héros et héraut des classes moyennes ?
Le candidat appelle d’abord à la défense des classes moyennes contre les puissants, un thème très efficace en 2016. Si les difficultés des Américains les plus pauvres sont depuis longtemps identifiées, le malaise des classes moyennes est un sujet d’intérêt plus récent, comme le montre le succès en 2014 des travaux de Thomas Piketty sur l’accroissement inexorable des inégalités sociales depuis les années 1970. Cette partie de la population américaine, qui bénéficiait jusqu’à présent du « rêve américain », se voit aujourd’hui incapable de financer sa maison, sa santé et les diplômes universitaires de ses enfants, signant l’arrêt de toute perspective de mobilité sociale.
Or, selon le Bureau du recensement, une forte proportion de cette classe moyenne en difficulté est blanche. Cette population a le sentiment d’avoir été oubliée aussi bien par les démocrates, qui depuis les années 1960 ont défendu en priorité les minorités ethniques et de genre, que par les cadres du Parti républicain, qui ne parlent qu’aux riches. Son malaise est vif si l’on en croit une étude publiée en 2015 par deux chercheurs de Princeton, selon laquelle le taux de mortalité des « blancs non-hispaniques » a augmenté de façon significative entre 1999 et 2013. Les deux chercheurs, qui attribuent les décès supplémentaires à l’abus de drogue, d’alcool et de médicaments, ainsi qu’au suicide, comparent le phénomène, par son ampleur, à l’épidémie de sida des années 1980.

Un repli économique et identitaire ?
Le discours de Trump s’adresse principalement à cette population, jouant sur son angoisse à la fois économique et identitaire. Il a ainsi fait de nombreuses déclarations considérées comme racistes, allant du projet de construction d’un mur le long de la frontière avec le Mexique pour empêcher l’immigration des latinos, au refus d’entrée des musulmans dans le pays. S’y ajoutent, en matière de politique étrangère, des propositions relevant d’un nationalisme égoïste : loin de tenter d’apporter la démocratie ou de jouer au gendarme dans le monde, les États-Unis ne doivent s’impliquer que si leurs propres intérêts sont en jeu. Ils doivent par ailleurs exiger de leurs alliés européens et asiatiques le financement complet de la protection militaire américaine.
Sur le plan économique, le candidat Trump recommande d’instaurer un fort protectionnisme économique pour relocaliser les emplois industriels aux États-Unis et une fiscalité moins lourde pour les classes moyennes. Il a pu, dans certains discours, annoncer qu’il mettrait en place une fiscalité moins favorable aux riches donateurs venus de Wall Street et du big business – ajoutant le plus souvent avec fierté qu’il ne dépendait pas d’eux pour financer sa campagne. Mais cette partie de son programme semble avoir disparu de ses plus récents discours, en même temps qu’il annonce vouloir faire lui aussi appel à de grands mécènes...


Les autres marqueurs du populisme

L’attitude que Trump a pu avoir vis-à-vis de ces fameux 1 % les plus riches rejoint néanmoins un autre point fort du populisme : le rejet des élites, accusées d’être égoïstes et corrompues, et d’avoir confisqué à leur profit le pouvoir et les richesses qui appartiennent au peuple. D’ailleurs, l’agressivité et l’incohérence des propos de Donald Trump, qui compliquent l’analyse de ses positions sur le fond, constituent un signe supplémentaire de ce rejet des élites. En effet, elles tranchent explicitement avec la pratique des hommes et femmes politiques traditionnels, dont chaque propos est soigneusement calculé à l’avance et empreint de « politiquement correct ».
Si les revendications des Tea Parties étaient imprégnées de valeurs religieuses protestantes, la tradition populiste américaine n’est pas toujours conservatrice sur les questions de société. Donald Trump en est là aussi l’illustration. Il a ainsi été accusé par son ex-rival Ted Cruz, proche des chrétiens fondamentalistes, de représenter les « valeurs new-yorkaises », réputées progressistes en matière de moeurs. Il est vrai que « The Donald » sent le souffre : deux fois divorcé, protestant presbytérien non pratiquant, il est loin de prendre fait et cause contre les homosexuels, à l’inverse des conservateurs religieux du Parti républicain. Il s’est de nouveau attiré les foudres de ces derniers en prenant position dans la vive polémique qui a agité le pays sur la question des toilettes pour les transgenres. Il a en effet autorisé l’ancien athlète Bruce Jenner, aujourd’hui Caitlyn Jenner, à utiliser les toilettes pour femmes dans la Trump Tower de New York.
Peut-on enfin voir en Donald Trump le chef charismatique qui constitue le point de ralliement naturel des mouvements populistes, chargé de dialoguer avec « le peuple » par référendum, hors de tout intermédiaire ? Sa forte personnalité, son ego et son narcissisme, le succès qu’il rencontre auprès de ses fans depuis plus d’un an, peuvent le laisser penser. Le candidat remplit donc beaucoup des conditions de la feuille de route du populisme moderne. Son élection ferait-elle pour autant connaître aux États-Unis une dérive autoritaire ?

Une dérive autoritaire peu risquée

L’éditorialiste Robert Kagan, ancien conseiller de l’administration Bush et, à l’époque, fervent défenseur de la guerre en Irak, a publié dans le Washington Post « Comment le fascisme arrive en Amérique ». Il y dénonce la lâcheté du Parti républicain face à son propre candidat Donald Trump, et dit voir dans ce dernier un modèle de chef charismatique, agressif et narcissique, nationaliste et xénophobe, typique des mouvements fascistes du xxe siècle. On se souvient du roman de Philip Roth, Le Complot contre l’Amérique (Houghton Mifflin Harcourt, 2004), dans lequel le romancier imaginait que Charles Lindbergh, l’aviateur aux sympathies nazies, avait été élu à la Maison-Blanche en 1941, installant un régime fasciste et s’empressant de signer un pacte de non-agression avec Adolf Hitler. En sommes-nous là ? Plusieurs éléments permettent de nuancer ces risques.

Les remparts de l’état de droit et de l’individualisme politique
Un président Trump se heurterait en effet à de puissants contre-pouvoirs, liés au système des checks and balances mis en place par les Pères fondateurs dans la Constitution de 1787. Dans le cadre d’un régime présidentiel, le Congrès n’est pas tenu d’obéir au président ; la Cour suprême, quant à elle, peut invalider les lois et les décisions exécutives. La liberté de la presse, enfin, est garantie par le 1er amendement. L’opinion publique est fortement attachée à ces institutions, tout autant qu’au respect des droits de la personne venu du Bill of Rights de 1789 et, au-delà, de la Magna Carta anglaise de 1215. Enfreindre les règles de l’état de droit serait une démarche insensée de la part du président.
L’autre rempart contre une possible dérive autoritaire tient sans doute aux origines protestantes du système politique américain. Le libre arbitre et la responsabilité individuelle du croyant se muent ici en un fort individualisme politique, qu’Alexis de Tocqueville avait déjà relevé lors de son voyage de 1831-1832. L’importance de la vie familiale et de la propriété privée pour les citoyens américains est souvent invoquée pour expliquer l’échec des idées communistes aux États-Unis au xxe siècle. Ceci vaut également face à l’extrême droite. En effet, si quelques personnages d’inspiration fasciste, tels Lindbergh, le sénateur de Louisiane Huey Long, ou le prédicateur radiophonique Charles Coughlin, ont eu un certain écho dans les années 1930, leur succès n’a pas duré. L’individualisme et la soif de prospérité empêchent les foules américaines de croire longtemps en un homme providentiel. Elles reviennent tôt ou tard à ce que George Orwell appelait la « décence ordinaire » (common decency).