Publié le 28/11/2016

Alice EKMAN, Céline PAJON, John SEAMAN, cités par Frédéric Schaeffer, dans Les Echos

Erigée en épouvantail durant la campagne américaine, menacée d’une guerre commerciale sans merci, la Chine pourrait avoir tout à craindre de l’élection de Donald Trump. Elle lui offre, en réalité, une opportunité historique d’étendre son influence.

Il l'a accusée d'être l' « ennemie » de l'Amérique, de « voler » les emplois des Américains et estimé qu'il était grand temps d'arrêter de la « laisser violer » les Etats-Unis. Tout au long de sa campagne, Donald Trump aura fait de la Chine un épouvantail, source de toutes les difficultés (ou presque) des entreprises américaines, et promis d'engager une guerre commerciale sans merci à son encontre. C'est peu dire que son élection a été suivie de près à Pékin, où les autorités s'étaient bien gardées de prendre parti durant la campagne, se régalant simplement des scandales et polémiques à répétition pour mieux pourfendre le système démocratique.

 

 

Vu la virulence des critiques du candidat républicain, la Chine pouvait avoir tout à craindre de son élection surprise. L'arrivée de Donald Trump lui offre, en réalité, une opportunité historique d'étendre son influence au-delà du seul champ économique et de réaliser son objectif de revenir au premier plan dans le concert des Nations.

Mesures de rétorsion

Tout d'abord, parce que les menaces commerciales de (l'ancien) candidat en campagne risquent fort de se heurter au pragmatisme du (futur) président américain. Aucun économiste ne croit réellement à une montée en flèche des tarifs douaniers jusqu'à 45%, comme Trump l'avait laissé entendre. Ce serait sans conteste un coup dur pour la deuxième économie mondiale. Mais, à l'heure des chaînes de valeur mondiales, les Etats-Unis auraient aussi beaucoup à perdre. Pékin a menacé de prendre des mesures de rétorsion, et le « Global Times », un quotidien proche du parti communiste chinois, en a déjà dressé la liste : « le carnet de commandes de Boeing sera remplacé par des Airbus ; les ventes d'automobiles américaines et d'iPhone en Chine subiront un recul et les importations américaines de soja et de maïs seront stoppées », a-t-il prévenu, n'imaginant pas une seule seconde que Trump, « en habile businessman », puisse être aussi naïf. De même, si ce dernier accuse la Chine de manipuler sa monnaie, il est difficile d'imaginer qu'il prenne le risque de se fâcher avec l'un des premiers créanciers des Etats-Unis, la Chine possédant près de 20% de la dette détenue hors du sol américain.

Pékin pourrait finalement ne pas avoir pas beaucoup à craindre des positions protectionnistes de Donald Trump. Il pourrait, au contraire, tirer profit de ses positions isolationnistes. L'Amérique de Trump veut se replier sur elle-même ? La Chine de Xi Jinping a une occasion inespérée de combler ce vide. L'illustration la plus évidente, à ce stade, est le retrait annoncé des Etats-Unis du Partenariat Transpacifique (TPP), un accord de libre-échange regroupant 12 pays. Trump compte l'enterrer au premier jour de son mandat, le considérant comme un « désastre potentiel » pour les Etats-Unis. Au risque de créer un désastre - bien réel cette fois - pour les amis asiatiques de Washington (Japon, Vietnam, Australie, etc.). Et d'offrir un boulevard à la Chine ! Non contente de voir disparaître un traité qui avait justement été conçu pour limiter son influence, la Chine a désormais toute latitude pour pousser ses propres initiatives de coopération économique, dont son projet d'accord de libre-échange RCEP (« Regional Comprehensive Economic Partnership », conclu avec 16 pays de la région Asie-Pacifique mais sans les Etats-Unis.

La fin du « rééquilibrage »

« Nous n'allons pas fermer la porte au monde extérieur, mais l'ouvrir encore plus largement », a lancé le président chinois Xi Jinping , lors du sommet l'Apec il y a une dizaine de jours. La Chine communiste chantre du libre-échange face aux projets protectionnistes des Etats-Unis ? Quinze jours auront suffi pour voir la Chine chercher à tirer profit de l'élection de Donal Trump. L'abandon du TPP « sonne le glas d'un élément majeur du pivot américain », note Céline Pajon, chercheur à l'Institut français des relations internationales, dans une récente étude (« Le monde selon Trump », Ifri, novembre 2016).

Avec Donald Trump, c'est tout le « rééquilibrage » américain en Asie initiée par la secrétaire d'Etat Hillary Clinton pour contrer l'influence chinoise qui pourrait vaciller. « Si les Etats-Unis sont moins engagés en Asie, Pékin aura l'opportunité de refaçonner à sa manière l'intégration économique et politique régionale », note le cabinet Capital Economics.

Reste à savoir si les propositions de la Chine répondront aux attentes des pays voisins, dont certains se méfient de l'influence croissante de la deuxième puissance économique mondiale. Ce qui est proposé dans le RCEP, par exemple, est bien en-deçà du TPP, dont l'ambition ne se limite pas aux droits de douanes (droits du travail, de l'environnement, propriété intellectuelle...). De même, on aurait tort de lire tout rapprochement futur avec la Chine sous le seul prisme du changement de président aux Etats-Unis : la Chine n'a pas attendu Donald Trump pour prendre des initiatives, par exemple avec son projet de «nouvelles routes de la soie ». Enfin, un réchauffement possible des relations entre les Etats-Unis et la Russie n'est pas sans inquiéter Pékin. L'isolationnisme de Trump ouvre sans doute une fenêtre de tir pour la Chine, mais il crée aussi beaucoup d'incertitudes.

Au final, c'est peut-être sur un autre terrain que la Chine a le plus à se réjouir de l'arrivée de Donald Trump. « Elle annonce une mise au second plan de la question des droits de l'homme et des valeurs universelles, la plus sensible aux yeux de Pékin », jugent Alice Ekman et John Seaman, chercheurs à l'Ifri. Un point important pour Xi Jinping à un an du XIXe congrès du Parti communiste chinois, qui doit le reconduire pour cinq ans à la tête de la deuxième puissance économique mondiale.

Frédéric Schaeffer

Voir l'article sur LesEchos.fr [1]