Publié le 17/06/2009

Susanne NIES

Nous connaissons tous ce phénomène, qu"un jour précis du mois, le 15, ou le 30, nous sert de cap dans la mer infini du temps: le jour où nous recevions l"argent de poche, petits, le jour de paie, depuis que nous sommes grands, voire celui du virement du loyer ou du crédit. Une vie normale s"apparente ainsi à un parcours d"échéance mensuelle en échéance mensuelle, et peu le contesteront. Dans l"Union européenne, depuis peu de temps, un phénomène de ce genre vient de se créer. Parmi les échéances qui nous paramètrent, le chiffre sept a commencé à faire une étrange intrusion. Les Russes et les ukrainiens nous l"imposent, et ici ne sera pas le lieu pour discuter les qualités antiques et incontestables de ce nombre premier, lié à tant de mythes des babyloniens aux romains, chrétiens, musulmans, et de la " Troisième Rome ", pour ne parler que du pays des mathématiciens, l"Union soviétique et son successeur. Le 7ième du mois, c"est le jour ou la compagnie ukrainienne Naftogaz paie ou non le gaz que consomme l"Ukraine à la société Gazprom. Si le paiement n"a pas lieu le 7, alors Gazprom se réserve le droit de fermer le robinet, après avoir exigé -sans doute sans succès- un accompte. Tous les 7 du mois, l"épée de Damoclès d"une nouvelle coupure gazière est brandie au-dessus de nos têtes européennes. Nous sommes le 15, ouf, le sept est derrière nous, nous soufflons. Nous sommes le 30 : hélas, nous nous approchons du sept suivant,. Le jour le plus heureux dans ce paradigme devient mathématiquement le 8. Abolir, comme on le fait pour les chambres d" hôtels régies par un esprit superstitieux, le chiffre 13 -de 12 à 14, sans 13- et alors de 6 au 8, sans 7, ne pourra guère, hélas nous rassurer. Cela ne ferait que cacher le problème. Nous rêvons d"une seule chose : revenir au mode du début, milieu et fin de mois, au plus vite.

La couleur menaçante du 7ième jour vient de l"imbroglio des conflits postsoviétiques et d"un amalgame complexe d"intérêts matériels et politiques, y compris à l"intérieur des deux capitales qui s"opposent, Moscou et Kiev, aucune ne semblant intéressée par une résolution des disputes. Nous, en revanche, l"Union européenne, souhaitons voir naître une solution définitive, et pas précaire, des obligations fixées par des contrats, et les contrats respectés. Nous souhaitons également bénéficier, avant que cela ne soit ainsi, d"un mécanisme d"alerte précoce, pour ne pas être exposé à l"approche de l"échéance aux angoisses des coupures gazières à venir. Car nous dépendons de ce gaz, très largement, les uns plus que les autres, venant de la Russie et transitant par l"Ukraine. Comment procéder quand un acteur souhaite résoudre le conflit alors que les deux autres semblent s"y complaire et rejettent la responsabilité sur l"autre ? Il faut contribuer, en tant que sage UE, avec tous les moyens diplomatiques possibles à sortir d"une situation de " loose loose ", où Moscou et Kiev n"auraient plus intérêt au conflit, et deuxièmement de changement de gouvernance, où l"intérêt collectif est mieux pris en compte. Pour l"instant, hélas, au delà des vœux pieux, nous ne disposons pas de moyens d"action, ne serait-ce que moraux, pour faire naître une telle situation. Que peut faire d"ici là, le seul acteur intéressé à la résolution du conflit et qui vit sous la menace du 7eme jour ?

L"exercice de feu la dernière crise gazière début 2009 a été utile pour nous dans la mesure où elle a pointé du doigt les talons d"Achille -comme la situation bulgare- et qu"elle permis de tester l"ensemble du dispositif européen- public et privé confondus. Le résultat n"est pas si mauvais, mais les lacunes sont devenues évidentes : interconnections, flux inversés, problématique de l"Europe orientale, et encore plus de l"Europe du Sud-est - de leur mix énergétique, de leur marché intérieur. Nous déplorons dans nos analyses et débats aussi un certain manque de transparence des stocks gaziers existant en Europe, et le développement insuffisant du GNL,. Bien que ce dernier soit cher, il constitue néanmoins un excellent moyen d"approvisionnement d"urgence, comme on l"a vu à propos du terminal grec pour l"Europe du Sud Est. La mise en place de terminaux en Croatie, ou à Swinoujscie, en Pologne, autres points vulnérables, désormais décidée est de ce point de vue primordiale dans la lutte contre la terreur du 7.

Néanmoins, charger d"autant de stress politique continu un domaine qui pourrait être laissé largement au marché est tout sauf sain. L"UE doit donc accélérer le mouvement de constitution d"un marché énergétique intérieur. Il s"agit non pas de mettre en place une bureaucratie centralisée et inhumaine, mais d"établir raisonnablement les infrastructures et de parfaire et d"appliquer les règles communes du marché. Si cet objectif est atteint, nous regarderions le prochain septième jour de crise sous la catégorie des faits divers. Nous sortirions ainsi du chantage d"un conflit que nous pourrions même attiser par ce biais- une fois l"attention et l"effet réduits. Enfin, nous aurions remis le 7 à sa place- quelque part peu spectaculaire entre nos virements de loyer et la réception du salaire.