Publié le 08/06/2017

Lucie BÉRAUD-SUDREAU, citée par Michel Cabirol dans La Tribune.

Selon une étude de l'IFRI, les ventes d'armes pourraient restreindre l'autonomie de la France. Tout comme il existerait une possibilité de voir l'importance des exportations en termes industriels et économiques guider des décisions diplomatico-stratégiques.

Depuis quatre ans, les exportations de systèmes d'armes "Made in France" battent record sur record, avec un sommet himalayen atteint en 2015 (16,92 milliards d'euros). Tout a été écrit, décortiqué et analysé sur les raisons des succès à l'internationale des mousquetaires industriels français. Toutefois, personne ne s'était réellement interrogé sur les risques que pouvaient poser ces ventes d'armes sur les intérêts français jusqu'à ce que l'IFRI publie une étude intitulée "La politique française de soutien à l'export de défense". Selon Lucie Béraud-Sudreau, l'auteur de cette publication, "on peut émettre l'hypothèse que les ventes d'armes restreignent l'autonomie même de la France qu'elles devraient au contraire contribuer à garantir".

Exportation, un enjeu économique trop fort

Selon cette étude, la recherche systématique de contrats à l'export au nom de l'autonomie stratégique peut créer une dépendance auprès des Etats clients. Alors que l'industrie de défense française était en 2012 dépendante des exportations pour son chiffre d'affaires à hauteur de 20%, le PDG de DCNS Hervé Guillou a récemment estimé que le groupe naval l'était à hauteur de 50%. "On peut dès lors se demander si l'enjeu économique des exportations ne peut prendre le pas sur les autres enjeux liant la France à ses partenaires stratégiques", s'interroge Lucie Béraud-Sudreau. Et de rappeler également que la loi de programmation militaire 2014-2019 reposait sur le pari de l'exportation du Rafale en vue de parvenir aux équilibres financiers de cette LPM. Pari gagné avec les ventes de l'avion de combat tricolore à l'Egypte, au Qatar et à l'Inde.

En outre, l'auteur de l'étude estime que la nécessité d'exporter fait également courir "un risque à l'autonomie stratégique de la France" en devenant prioritaire par rapport aux besoins des forces armées françaises. Ainsi, six Rafale ont été prélevés sur les livraisons programmées pour l'armée de l'air pour être livrés à l'Egypte et la formation des pilotes étrangers consomme d'importantes ressources utiles aux aviateurs. Enfin, Lucie Béraud-Sudreau s'interroge sur "la possibilité de voir l'importance des exportations en termes industriels et économiques guider des décisions diplomatico-stratégiques". Cela a été le cas avec l'Arabie Saoudite où la France s'est complètement alignée sur la politique extérieure du royaume wahhabite. En pure perte ?

"Dans ce cas, les ventes d'armes, au lieu d'être une conséquence positive des partenariats stratégiques signés par le pouvoir politique avec d'autres États, deviendraient au contraire l'objectif principal de la recherche de tels partenariats", écrit-elle.

Les exportations d'armement "comportent des risques intrinsèques pour les forces armées françaises", souligne Lucie Béraud-Sudreau. L'exemple le plus connu est celui de la Guerre du Golfe au cours de laquelle les forces aériennes françaises ont dû faire face aux Mirage-F1 vendus quelques années plus tôt à Saddam Hussein. Cela a été le cas plus récemment avec la Libye. En 2007-2008, la France signe avec le régime de Kadhafi un contrat pour la modernisation des avions de combat Mirage F1 et des missiles antichar Milan.

Les transferts de technologie sont-ils un risque ?

Les transferts de technologies (ToT) sont-ils un risque qui pèse à long terme tant sur le plan industriel que stratégique, renforçant aujourd'hui nos concurrents et/ou adversaires de demain ? Selon cette étude, "ces transferts comportent des risques, pour le gouvernement comme pour les industriels, liés à la perte potentielle d'une avance technologique, puisque les transferts doivent permettre aux pays bénéficiaires de combler leur écart technologique avec les États exportateurs". Concrètement, les ToT entrainent l'apparition de nouveaux acteurs sur le marché mondial des armes tandis que les offsets (compensations) détruisent des emplois sur les marchés domestiques en incluant une production et/ou une maintenance locale partielle ou non.

"Il est d'ores et déjà possible d'observer les conséquences de transferts de technologie d'hier, précise l'auteur de l'étude (...) En 1980, la France a vendu via Aérospatiale (aujourd'hui Airbus) 50 licences pour des hélicoptères AS-365 Dauphin/AS-565 Panther à la Chine. Mais, dans les années 1990, la Chine a poursuivi la production de ces hélicoptères au-delà du nombre de licences autorisées. Grâce au savoir-faire acquis, la Chine produit aujourd'hui le Z-9, considéré comme l'un de ses principaux hélicoptères militaires qu'elle a pu ensuite exporter au Cambodge, au Pakistan, en Namibie ou en Zambie".

Malgré les risques inhérents aux transferts de technologie, ceux-ci sont devenus de plus en plus importants ces dernières années, explique-t-elle. En 2014, Avascent a estimé que les obligations de compensation dans le commerce des armes s'élevaient à 32 milliards de dollars. Selon Frost & Sullivan, le montant des offsets devrait passer de 36,36 milliards de dollars en 2012 à 49,61 milliards en 2021. La revue Jane's a également calculé que, entre 2012 et 2022, les entreprises de défense détiendraient des obligations de compensation à hauteur de 100 milliards de dollars en dehors des marchés européens et américains. Certainement des bombes à retardement pour les industriels occidentaux...

Lire l'article sur La Tribune. [1]