Publié le 23/06/2017

Matthieu TARDIS, interrogé par Claire Gallen (AFP)

Malgré le démantèlement de la "Jungle", l'attrait de Calais (Pas-de-Calais) est "difficilement évitable" pour les migrants, dont beaucoup rêvent de la Grande-Bretagne toute proche, estime Matthieu Tardis, chercheur au centre "Migrations et citoyennetés" de l'Ifri

Le retour de migrants à Calais est-il une surprise ?

La situation dure depuis 20 ans. Le nombre et les nationalités des migrants ont pu varier selon les époques, en fonction de la situation internationale. Il y a eu des Kurdes ou des gens venant des Balkans dans les années 1990, aujourd'hui on voit beaucoup de Soudanais, d'Érythréens et d'Afghans. Mais ce qui varie surtout, c'est la réponse des pouvoirs publics.

En 1999, on a ouvert et fermé un centre à Sangatte, pensant que la situation allait se régler par miracle. Mais que Calais soit un point de fixation est difficilement évitable. En 2009, une première "Jungle" a été démantelée -- dans une démarche uniquement répressive, contrairement à 2016. 

Depuis 2014, avec la crise migratoire, il y a eu plus de monde -- même s'il faut relativiser: à son pic, la "Jungle" comptait 10.000 personnes, contre un million arrivées sur les côtes européennes.

Pour le moment il n'y a pas de campement reconstitué, car les migrants sont délogés par la police. Mais ce n'est pas tenable. Continuer uniquement dans cette direction risque de créer plus de tensions et de violences. 

On a l'impression de retourner dix ans en arrière. Va-t-il falloir repasser par toutes les phases d'opérations policières avant de réaliser qu'ils ont avant tout besoin d'une protection au titre de l'asile ?

Il serait logique de penser qu'ils rêvent surtout d'Angleterre...

Les migrants vont en Grande-Bretagne parce que beaucoup parlent anglais, y connaissent des gens, espèrent un meilleur accueil, ou travailler plus facilement, alors que les conditions sont souvent plus difficiles qu'en France: le système d'asile est plus dur, la rétention plus répandue et la Grande-Bretagne n'hésite pas à renvoyer vers l'Afghanistan.

C'est souvent un rêve par défaut. On l'a vu lors du démantèlement en octobre 2016: dès qu'on leur a proposé l'asile, les migrants l'ont demandé, les adultes du moins. Si on les informe réellement de leurs droits, ils envisagent de rester.

On peut d'ailleurs noter que, si le démantèlement a réussi, c'est aussi parce qu'on a suspendu le système de Dublin, voulant qu'un demandeur dépende, pour sa demande d'asile, du premier pays européen où il est passé. Dublin est un facteur d'aggravation de la situation à Calais.

Depuis le démantèlement, demander l'asile est compliqué: il faut aller à Lille, prendre le risque d'un contrôle pendant le voyage, attendre plusieurs semaines avant un rendez-vous à la préfecture... Cela illustre aussi le non-investissement, qui a très longtemps prévalu, de la France dans son système d'asile. Depuis 2012 et surtout 2015 il y a eu un changement, mais cela va-t-il continuer ?

Faut-il revoir les accords du Touquet, qui fixent la frontière à Calais?

Je vois mal ce qu'on y gagnerait. On ne va pas laisser les migrants risquer leur vie en mer ou dans des camions parce qu'on considère que c'est aux Britanniques de gérer la frontière sur leur territoire. Il n'y a pas beaucoup d'alternatives, à part une coopération pour qu'ils acceptent de prendre régulièrement des migrants. Mais n'oublions pas qu'une grande partie des débats lors du Brexit avaient tourné autour de l'immigration.

Certainement faut-il repenser la relation avec les Britanniques. Mais il y aura toujours une frontière physique, diplomatique... La Grande-Bretagne est une île, on n'y changera rien.