Publié le 29/10/2017

Thierry VIRCOULON, interviewé par Laurent Ribadeau Dumas pour Geopolis/Francetvinfo

Arrivé à Bangui le 24 octobre 2017, le secrétaire général de l’ONU Alexandre Guterres a estimé que «la communauté internationale ne s'engage pas suffisamment (…) pour aider» la Centrafrique. La situation dans ce pays est décrite comme chaotique. Entretien avec Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (IFRI).

Antonio Guterres a estimé que la Centrafrique était une «crise oubliée». En août, un haut cadre de l’organisation internationale avait, lui, évoqué des «signes avant-coureurs de génocide». Qu’en est-il exactement?
Il y a eu effectivement des milliers de morts. Mais en l’état actuel des choses, la Centrafrique ne paraît pas être un pays où l’on puisse organiser un génocide.

Depuis mai, on assiste effectivement à une nouvelle flambée de violences avec les groupes armés qui se battent entre eux. Ces violences, parties du Sud-Est, ont des répercussions dans le reste du pays. Notamment une nouvelle vague de déplacés.

Le départ des troupes françaises, présentes dans le pays entre 2013 et 2016, a-t-il aggravé la situation?
Cette présence a eu un effet dissuasif que n’a pas forcément celle des casques bleus de la Minusca.

Les groupes armés ont reçu des «appuis venus de l’extérieur», estime Antonio Guterres sans donner davantage de précision. De quoi peut-il s’agir? «Libération» parle de «mercenaires tchadiens et soudanais»…
Ce qui est sûr, c’est que depuis 2013, la Séléka compte effectivement dans ses rangs des Tchadiens et des Soudanais. D’une manière générale, des hommes et des armes sont arrivés du Congo, du Tchad et du Soudan.

La Centrafrique est devenue le pays malade de la région. Tous les seigneurs de guerre de la zone s’y sont installés et y font de l’argent.

Pour décrire la situation, on parle souvent de deux camps antagonistes: les anti-Balaka, à majorité chrétienne, et les ex-Séléka, à majorité musulmane. Or, trois figures religieuses centrafricaines disent que «ce n’est pas un conflit religieux». Les religions ne sont-elles pas instrumentalisées? N’y a-t-il pas, derrière, des fractures ethniques et régionales?
Les anti-Balaka n’ont rien de chrétiens. Ils sont couverts de grigris et de talismans pour détourner les balles. Ce sont surtout des animistes qui passent leur temps chez le sorcier !

Il n’y a pas deux camps, mais des dizaines de groupes armés qui s’affrontent. Et au milieu, il y a un gouvernement inefficace.

La Séléka (qui veut dire «coalition» en langue sango) était au départ un regroupement de groupes à base ethnique, notamment roungas et goulas, rejoints par des mercenaires tchadiens et soudanais. Mais cette coalition a volé en éclat très rapidement et a ainsi été la matrice d’une quinzaine de groupes.

Chez les anti-Balaka, il y a également plusieurs tendances. On trouve aussi des groupes armés peuls comme le mouvement 3R ou l'UPC.

La plupart de ces groupes ont une base ethnique et ont une fonction d’auto-défense communautaire. Ainsi, quand on n’a plus de sécurité, comme c’est le cas dans ce pays, on se raccroche à des bandits. Lesquels, un jour, se montrent protecteurs et, le lendemain, abusent de vous. Les communautés utilisent ces groupes armés comme un bouclier. Pour prendre l’exemple de 3R ou de l’UPC, ce sont des bandits qui se présentent comme les défenseurs des Peuls maltraités. Il en va de même pour les autres mouvements.

Pour résumer, on peut dire qu’on est là dans une situation basique: quand on n’a plus de sécurité, on bricole sa propre sécurité avec ce qu’on a à sa disposition. On est ainsi amené à utiliser des bandes armées, tout en s’en plaignant. Dans la mesure où il n’y a plus d’Etat centrafricain, les différentes ethnies doivent se débrouiller. On assiste ainsi à une communautarisation de fait.

Qu’est ce qui pourrait aider à résoudre le conflit?
Pas l’Etat ! Il n’a jamais été fort et il a toujours été oppresseur.

D’une manière générale, il n’y a pas de solution magique. On est dans une crise longue. Les Centrafricains pensaient au départ qu’elle durerait deux ou trois ans. Ils comprennent maintenant la réalité de la situation.

De son côté, l’ONU voudrait envoyer 900 casques bleus supplémentaires. Ils sont nécessaires pour reprendre le contrôle de certaines villes. Mais cela ne va pas résoudre la crise.

Le mandat de la Minusca court jusqu’au 15 novembre 2017. L’approche qu’elle a du conflit est un échec. Reste à savoir si cette approche changera après le renouvellement du mandat. En clair, on verra si les forces de l’ONU auront moins de tâches qu’aujourd’hui et si elles se concentreront davantage sur la protection des civils et les négociations politiques avec les groupes armés.

Peut-on mener des négociations politiques avec des gens dont vous dites vous-même que ce sont des bandits…?
Soit on les neutralise, soit on négocie avec eux. Il n’y a pas de troisième alternative.


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