Publié le 20/11/2017

Hans STARK, interviewé par Johanna Luyssen pour Libération.

Selon Hans Stark, professeur de civilisation allemande à la Sorbonne et secrétaire général du Cerfa, le blocage traduit l’échec de la politique centriste. Il revient sur la question de la fin de l'ère Merkel, sur la stratégie sans concessions des libéraux du FDP et sur les options possibles. Quid d'un gouvernement minoritaire ou des nouvelles élections ? Ces dernières, profiteraient-elles à l'AfD ?

L’échec des négociations signe-t-elle la fin de l’ère Merkel ?

Nous sommes face à une situation politique inédite en Allemagne. Cela signe l’échec d’une politique centriste, puisque dans la période 2013-2017 le SPD et la CDU s’étaient rapprochés du centre. Lors des législatives du 24 septembre, les électeurs ont jugé cette politique molle et consensuelle, malgré un bilan positif dans l’ensemble, sur la question de l’emploi et même sur les enjeux migratoires. Merkel est sortie très affaiblie par les mauvais scores de la CDU pendant les élections, par les dissensions entre CDU et CSU sur les questions migratoires, et par la défiance des régions de l’Est qui votent AfD - ces dernières ont exprimé un fort rejet à son encontre.

Elle fait également face à une stratégie sans concession des libéraux du FDP…

Le FDP est traumatisé d’avoir été éjecté du Bundestag lors des législatives de 2013. Il fait sans doute payer à Merkel cet échec et refuse de diluer son profil libéral au sein d’une coalition. Mais ce sont davantage des questions de fond que de personnes. Aucune autre personne à la CDU n’aurait de toute façon pu faire disparaître les fortes dissensions qui existent entre les Verts, les libéraux et la CDU-CSU sur l’immigration ou l’environnement. Les divergences sont bien trop importantes. Et il n’y a pas non plus de rival sérieux qui émerge pour la remplacer. Ainsi, je ne vois pas de putsch anti-Merkel advenir dans les jours qui viennent.

Merkel pourrait-elle continuer à gouverner malgré tout ?

Il existe plusieurs options. Elle aurait pu rappeler les sociaux-démocrates pour leur demander de changer d’avis et d’entrer au gouvernement. Mais vu son faible score le 24 septembre, le SPD a beaucoup à perdre à accepter une telle proposition, qu’il rejette. L’histoire récente montre à quel point il a perdu des plumes à s’éloigner d’une ligne plus à gauche ; la coopération avec Angela Merkel dessert politiquement les sociaux-démocrates.

Et la seconde option ?

La chancelière pourrait gouverner au sein d’un gouvernement minoritaire. Ce serait du jamais-vu en Allemagne. Mais il faut savoir que le chancelier est protégé par la Constitution allemande. On ne peut pas le renverser comme ça : il faut passer par ce qu’on appelle un vote de défiance constructif, et pour cela il faut élire un autre chancelier à la majorité absolue. Or, comment trouver un candidat à la majorité absolue dans la configuration politique actuelle ? Impossible. Au sein d’un gouvernement minoritaire, il serait alors très difficile de passer des lois. Ainsi, dans tous les cas, nous allons au-devant d’une paralysie politique, que ce soit sur l’Europe, le changement climatique ou les questions sociales. Cela dit, le pays reste pro-européen, et sur des questions comme la défense européenne, on pourra toujours avancer. Mais il paraît évident que l’Elysée devra encore patienter sur la question de la zone euro et son pilotage politique - les propositions de Macron sur lesquelles le FDP a achoppé.

Des élections anticipées profiteraient-elles à l’AfD ?

L’extrême droite pourrait augmenter son score et passer à 13 %-14 %, mais de façon marginale. Car les électeurs de la CDU qui se sont tournés vers l’AfD par défiance envers la politique centriste de Merkel pourraient tout aussi bien revenir cette fois vers la CDU, garante malgré tout d’une plus grande stabilité politique. En revanche, si le SPD augmente son score lors d’élections anticipées, il pourrait juger envisageable d’entrer de nouveau dans une grande coalition, au moins par devoir politique. Au fond, si ces élections anticipées ont lieu, la question se posera de nouveau : « Voulez-vous une grande coalition ou non ? »

>> Lire l'article sur le site de Libération [1].