Publié le 02/09/2009

Raoul DAVENAC, Laurence NARDON

La Chine espère prendre une place significative sur un marché des satellites de télécommunication en pleine croissance, en faisant des gouvernements des pays émergents ses clients privilégiés. La Chine confirmera ainsi ses capacités industrielles tout en renforçant ses liens avec ces pays.

Alors que la Chine a réalisé son premier lancement commercial dès 1990, elle ne s’est positionnée sur le marché export des satellites qu’au milieu des années 2000. Elle espère aujourd’hui prendre une place significative sur ces deux marchés d’ici 2015 avec 15% des lancements et 10% des satellites commerciaux. Elle cible ce dernier domaine grâce à la vente de satellites géostationnaires de télécommunication à des gouvernements de pays émergents (1).

La Chine développe ainsi ses capacités industrielles en évitant la concurrence des maîtres d’œuvre occidentaux dont les clients sont en général des opérateurs privés ou publics. Elle s’offre également un outil stratégique pour établir des liens politiques forts avec ces pays, leur apportant l’indépendance en matière d’information grand public.

Les opérateurs privés

Il y a aujourd’hui environ 275 satellites géostationnaires de télécommunication, dont 70% environ sont utilisés pour des services fixes ou FSS (Fixed Satellite Services). Ces derniers correspondent pour l’essentiel à de la vidéo en diffusion vers des utilisateurs ou vers des nœuds de réseaux (pour la télévision numérique terrestre, le câble…) (2).

Ce marché, initié et développé par l’organisation internationale Intelsat dès 1964 et l’organisation européenne Eutelsat à partir de 1977, est devenu rapidement rentable, entraînant l’apparition de sociétés privées telles que SES (Société Européenne des Satellites) en 1985. Au début des années 2000, la libéralisation des télécommunications a conduit à la privatisation de l’essentiel des activités d’Intelsat et d’Eutelsat. Les sociétés privées Intelsat Ltd et Eutelsat SA voient leurs obligations de service public (couverture des zones isolées en particulier) assurées respectivement par les organisations intergouvernementales ITSO (International Telecommunications Satellite Organization) et Eutelsat IGO (3). Seule Arabsat, créée en 1976, reste à part entière une organisation intergouvernementale pour les pays arabes (4).

Le secteur des télécommunications spatiales est ainsi contrôlé à 70% par les 4 opérateurs privés occidentaux : Intelsat, SES, Eutelsat et Telesat/Loral. Seule l’activité militaire reste dans le giron des gouvernements occidentaux, avec huit satellites de télécommunications militaires prévus pour l’Europe, Israël et le Japon sur les dix prochaines années et environ trois fois plus aux Etats-Unis (5).

Les pays émergents opérateurs

Pour leur part, les pays émergents cherchent à développer des moyens de télécommunication spatiale par le biais d’opérateurs publics ou semi-publics. Pour leurs gouvernements, ces moyens permettent en effet d’établir une certaine indépendance vis-à-vis des grandes puissances pour la diffusion d’information, tout en offrant de nombreux services publics. Ces derniers fournissent de la télévision, de la téléphonie et de l"accès à Internet à des zones isolées, proposent des services de télémédecine et de téléenseignement et sont présents en cas de catastrophe naturelle majeure. Le domaine rapporte de plus des ressources financières par de la revente de capacité à l’international.

Ainsi, dès les années 1980, l’Indonésie, le Mexique et le Brésil créent leurs opérateurs respectifs Satelindo (Asie du Sud) (6), Satmex (Amérique du Nord, Amérique du Sud) (7) et Star One (Amérique du Sud) (8). A partir des années 1990, ils sont suivis par la Turquie avec Türksat Corp. (Turquie, Europe Centrale, Asie Centrale) (9), l’Egypte avec Nilesat (Afrique du Nord, Moyen-Orient) (10) et les Philippines avec Mabuhay Satellite Corp. (Asie du Sud) (11). Annoncé depuis 1995, le Viêt-nam lance en 2008 Vinasat-1 dont le développement est depuis 2005 sous la responsabilité de l’opérateur national VNPT (Viet Nam Post and Telecommunications Group) (12).

La Thaïlande, qui s’appuie sur la société publique créée en 1991 Thaicom Public Company Ltd (Asie-Pacifique, Afrique, Europe), occupe même une place de pionnier mondial dans le domaine de l’interactivité par satellite. En effet, son quatrième satellite inaugure en 2005 la nouvelle génération de satellites multi-spots à haute capacité développé par Space Systems/Loral avec le satellite iPSTAR dédié à l’Internet haut débit (13). Bien que les opérateurs nationaux soient fragiles et se rapprochent souvent des grands opérateurs privés (Satmex avec Telesat/Loral, Star One avec SES, Nilesat avec Eutelsat), de nouveaux pays émergents annoncent dans les années 2000 leur intérêt pour ce domaine. L’Iran, le Nigeria, le Venezuela, le Pakistan et l’Algérie sont en effet en train de se doter de satellites de télécommunication, ce qui traduit pour certains d’entre eux une politique renforcée de contrôle des moyens d’information.

Les pays développés exportateurs

Les Etats-Unis avaient initié le marché des exportations de satellites de télécommunications avec la vente de Palapa-1 à l’Indonésie en 1975 par Boeing (14) . L’Europe a suivi avec la vente d"Arabsat-1A aux pays arabes en 1981 par EADS-Astrium (15). L’Inde, la Russie et la Chine se positionnent depuis ces dernières années comme nouveaux acteurs du marché.

Si l’Inde développe des satellites de télécommunications pour son usage propre avec les séries Insat-2, Insat-3 et Insat-4, elle a choisi un partenariat avec EADS Astrium pour développer de petits satellites géostationnaires pour des opérateurs occidentaux (W2M pour Eutelsat et Hylas pour Avanti Screenmedia). La plateforme indienne semble néanmoins présenter des problèmes de fiabilité suite au lancement de W2M fin 2008 (16).

En revanche, la Russie et la Chine s’adressent à des pays soit proches historiquement, soit isolés politiquement. La Russie a établi un accord avec le Kazakhstan pour les satellites de télécommunications Kazsat-1 lancé en 2006 et Kazsat-2 développé à 60% fin 2008 (17). Elle a également annoncé un projet Zohreh avec l’Iran en 2005 et un projet Angosat-1 avec l’Angola en 2008 (18). Le seul satellite lancé Kazsat-1 est hors contrôle depuis 2008 (19). Sur les 5 dernières années, la Chine quant à elle multiplie les accords de développement de satellites de télécommunications (20).

La solution chinoise

La Chine développe les plateformes DFH (DongFangHong) pour les satellites géostationnaires de télécommunication et pour les satellites Sinosat. La dernière version DFH-4, proposée à l’export, est développée depuis 2002 par la CASC (China Aerospace Science and Technology Corporation) et présente des performances proches de celles des plateformes occidentales (charge utile de 800kg, puissance de sortie de 10kW en fin de vie, durée de vie 15 ans) (21). Bien que la Chine considère que ce développement est entièrement local, elle a hérité de coopérations européennes sur la plateforme précédente DFH-3 avec EADS Allemagne pour le système, les antennes, le contrôle d’attitude, Teldix GmbH pour les mécanismes de panneaux solaires, Officine Galileo SpA, filiale de Finmeccanica, pour les capteurs terrestres dans l’infrarouge et sur la plateforme actuelle avec la fourniture par Thales Alenia Space ETCA Belgique d'unités de puissance de 9kW à l'entreprise chinoise BESTEC (Beijing Siangyu Space Tech Corporation) (22).

Le satellite géostationnaire de télécommunications vendu au Nigeria, Nigcomsat-1, développé et lancé en mai 2007 par la Chine, a été perdu en novembre 2008 suite à un dysfonctionnement sur ses panneaux solaires. Le projet, qui a coûté environ 256M$, devait améliorer les communications au Nigeria, mais a subi de nombreuses critiques en raison de ses liaisons Internet peu fiables et les plus chères de la région. Cet échec relatif n’en reste pas moins un succès commercial puisque, 77 jours après la perte du satellite Nigcomsat-1, un accord en vue de le remplacer d"ici 2010 et de développer deux nouveaux satellites Nigcomsat-2 et Nigcomsat-3 en 2011 a été signé par les représentants du Nigeria et de la Chine et les sociétés NigComSat Ltd et CGWIC (China Great Wall Industry Corporation). Ce programme a de plus permis au Nigeria de former une centaine d’ingénieurs nigérians capables de concevoir, assembler, intégrer et tester un satellite, puis de le contrôler en orbite, d’après Abimbola Alale, directeur de Nigcomsat Ltd (23).

En octobre 2008, la Chine a lancé le premier satellite géostationnaire de télécommunications du Venezuela, Venesat-1 (dit " Simon Bolivar "). Ce projet de 241M$, dont 10% ont été financés par l’Uruguay, a été réalisé, conçu et fabriqué à 90 % par la Chine. Il couvre les pays d'Amérique Latine et des Caraïbes et fournit des services de télévision haute définition, d'Internet haut débit et de téléphonie mobile. Pour l'occasion, le Venezuela a mis en service la station terrestre El Sombrero, d'où le satellite est contrôlé par des ingénieurs chinois qui doivent être remplacés, à terme, par une trentaine d'ingénieurs vénézuéliens, formés à Pékin (24).

Outil stratégique et ressource commerciale pour la Chine ?

En 2008, la Chine a annoncé le développement pour 2011-2012 de satellites géostationnaires de télécommunications pour le Laos, probablement Laostar, et le Pakistan, PakSat-1R (25). Les contrats prévoient la livraison d’un satellite et des équipements de contrôle au sol à chacun des deux pays (26).

Les pays vers lesquels la Chine exporte ses satellites lui permettent de renforcer sa position politique sur différents continents en s’y dotant de partenaires forts et riches en ressources naturelles face aux autres acteurs régionaux. En Afrique, le Nigeria peut aider la Chine à poursuivre le développement de ses intérêts économiques et contrebalancer en particulier les progrès de l’Afrique du Sud. Le Venezuela offre quant à lui une entrée dans la " chasse gardée " des Etats-Unis et une participation au front anti-Etats-Unis mené par le pays du président Chavez. Enfin, le Pakistan a déjà mené avec la Chine des coopérations dans les domaines nucléaire et balistique et est un allié précieux en Asie par rapport à l’Inde.

En plus d’être un outil stratégique, les exportations de satellites de télécommunications vers des pays peu enclins à se fournir auprès des maîtres d’œuvre occidentaux permettent à la Chine d’améliorer ses capacités technologiques et la fiabilité de ses systèmes. Son échec avec NigComSat-1 est particulièrement significatif sur ce point. Les objectifs de la Chine en termes de parts de marché sont ainsi hautement crédibles et vont la placer rapidement dans un rôle incontournable dans ce domaine, comme elle a su le faire pour les lanceurs.

http://www.reuters.com/article/scienceNews/idUSPEK1170320080725 [1]
http://www.satmagazine.com/cgi-bin/display_article.cgi?number=920026898 [2]
http://www.eutelsatigo.int/ [3]http://www.itso.int/ [4]
http://www.arabsat.com/Arabsat/English/default.htm [5]
http://www.satellitetoday.com/via/supplement/Military-Satellite-Market-To-Remain-Strong-Around-Globe_30349.html [6]
http://www.janes.com/articles/Janes-Space-Systems-and-Industry/PT-Indonesian-Satellite-Corporation-Tbk-Indosat-Indonesia.html [7]
http://ciberhabitat.gob.mx/medios/satelites/mexicanos/satmex.htm [8]
http://www.starone.com.br/source/website/home/ [9]
http://www.turksat.com.tr/english/v2/satellite-fleet-and-specifications [10]
10 COSPAR Advances in Space Research, " The Egyptian Space Programme ", Pr. Mosalam Shaltout, Décembre 2007
11 http://www.mabuhaysat.com/thecompany.php [11]
12 Space Technology in Vietnam: 2008 Country Report, APRSAF-15, December 9-12,2008
13 http://www.ipstar.com/index_country.html [12]
14 http://www.boeing.com/defense-space/space/bss/factsheets/376/palapa_a/palapa_a.html [13]
15 http://www.arabsat.com/Arabsat/English/default.htm [5]
16 www.eutelsat.com/news/compress/fr/2009/pdf/CP0509Declaration-W2M.pdf [14]
17 http://asterisk.tmcnet.com/news/2008/11/22/3807542.htm [15]
18 http://clusters.wallonie.be/espace/fr/infos-cluster/newsletter/cluster-infos-n-40-septembre-octobre-2008.html [16]
19 http://asterisk.tmcnet.com/news/2009/07/13/4268850.htm [17]
20 http://www.atimes.com/atimes/Southeast_Asia/JJ10Ae01.html [18]
21 http://www.space.com/spacenews/archive06/chinadfh_1016.html [19]
22 http://www.esa.int/esaCP/SEMTWH1DU8E_Belgium_fr_0.html [20]
23 Nigeria, China seal deal on new satellites, Sonny Aragba-Akpore, The Guardian, Tuesday, January 27, 2009
24 http://www.nasaspaceflight.com/2008/10/china-launch-venesat/ [21]
25 http://www.wallonie-espace.be/docs/ClusterInfos44.pdf [22]
26 http://www.chinadaily.com.cn/china/2008-08/26/content_6970556.htm [23]