Publié le 11/01/2018

Tatiana KASTOUEVA-JEAN, article paru dans L'Opinion

L’enjeu principal du quatrième mandat présidentiel sera de préserver autant les assises du régime que la nouvelle place de la Russie sur la scène internationale

Who is Mister Putin ? Il n’est pas certain qu’après plus de dix-huit ans au pouvoir (y compris la « parenthèse Medvedev » quand Poutine était Premier ministre, entre 2008 et 2012), on connaisse précisément la réponse. Modernisateur à l’aube, autocrate à mi-parcours, il n’a probablement pas fini d’évoluer et de surprendre, et on découvrira d’autres évolutions de sa personnalité au cours de son quatrième mandat alors qu’il semble pouvoir aborder en toute sérénité les élections présidentielles du 18 mars 2018.

Que ce soit un « Poutine IV » ou un successeur, le prochain président russe se retrouvera devant un dilemme : faire perdurer à tout prix le système politique et économique tel qu’il s’est formé depuis dix-huit ans ou tenter de le réformer, car les problèmes se sont accumulés. Les carences industrielles, le manque d’infrastructures, un faible investissement dans la recherche et le développement, la stagnation ou le déclin des dépenses pour la santé publique et l’éducation sur fond de problèmes démographiques (5,7 millions d’actifs en moins entre 2007 et 2017, selon le Service fédéral des statistiques) ne sont pas de bon augure si la Russie cherche à assurer sa place entre l’Occident et la Chine. Les inégalités territoriales et l’évolution de certaines régions ethniques comme la Tchétchénie ou le Daghestan doivent attirer l'attention. L'enjeu principal du quatrième mandat présidentiel qui débutera en mars 2018 sera de trouver des tactiques habiles - à défaut d'une stratégie viable - pour préserver autant les assises du régime que la nouvelle place de la Russie sur la scène internationale.

POURQUOI VLADIMIR POUTINE EST-IL POPULAIRE ?

La popularité de Vladimir Poutine - probablement moindre que ce qu'indiquent les sondages, mais réelle - repose sur trois piliers. En premier lieu, le pilier économique : le pays a connu un décollage économique spectaculaire lors de ses deux premières présidences. Les années 2000 ont apporté un net soulagement à différentes catégories de la population après l'appauvrissement brutal provoqué par la chute dè l'URSS. Aidé par le niveau élevé du prix des hydrocarbures - principale matière d'exportation et source de revenu pour le budget fédéral -, le niveau de vie global s'est sensiblement amélioré. L'autorité de l'Etat, chancelante dans les années 1990, a été rétablie, et les tendances régionales centrifuges maîtrisées avec la fin de la deuxième guerre de Tchétchénie.

Grâce à une capacité financière retrouvée, l'Etat a réinvesti des secteurs laissés à l'abandon. Les crises économiques et financières de 2008-2009 et de 2014-2015 ont même pu être traversées sans trop de conséquences néfastes, en partie grâce aux fonds souverains constitués pendant les années de croissance. La classe moyenne qui a émergé en Russie privilégie la stabilité économique et politique plus que l'alternance politique et le respect des droits de l'homme.

En deuxième lieu, le rétablissement de la grandeur nationale sur la scène internationale est aujourd'hui perçu comme le grand acquis des présidences Poutine. Le président est arrivé au pouvoir à la faveur de la deuxième guerre de Tchétchénie : aucun autre dirigeant n'incarne à ce point la double image du chef politique et du chef militaire, capable d'imposer la paix et de garantir la sécurité de l'Etat. L'image martiale a été renforcée par l'annexion de la Crimée, un « exploit » qui lui est personnellement attribué : le « manager économique efficace » devient « protecteur » contre les menaces extérieures et le « sauveur » des compatriotes russes à l'étranger. La politique extérieure musclée est loin d'inquiéter - elle est saluée comme un juste retour des choses après l'humiliation des années de transition et la perte de territoires. Les sondages montrent que la popularité de Poutine a atteint des sommets précisément lors des opérations militaires en Tchétchénie (1999), de la guerre en Géorgie (2008) et de l'annexion de la Crimée (2014). Facteur de continuité, la principale menace militaire est aujourd'hui à nouveau personnifiée par l'Occident et l'Otan.

En troisième lieu, la valorisation des spécificités de la Russie, et de son rôle particulier autant dans le passé (victoire lors de la Seconde Guerre mondiale) que dans le présent (opposition à l'Occident pour façonner un nouvel ordre mondial) et l'avenir (« gardienne » des valeurs chrétiennes), alimente la fierté nationale.

La réception de ce discours est aujourd'hui facilitée par les faiblesses dont fait preuve l'Occident : ses difficultés à gérer les problèmes socio-économiques et politiques, ainsi que la montée des populismes prouveraient que le modèle démocratique et libéral n'est pas à la hauteur des défis du monde actuel. Cet état de choses finit de convaincre les Russes que le pays sous Vladimir Poutine avance dans la bonne direction.

QUEL SERA L'« APRÈS-POUTINE » ?

Cette question hante les Russes autant que leurs partenaires internationaux. En 2018, Poutine aura battu le record de Leonid Brejnev, resté dix-huit ans au pouvoir. La concentration et la personnification du pouvoir dans un Etat semi-autoritaire rendent les perspectives de transition incertaines et les risques de déstabilisation élevés.

Quand s'ouvrira l'après-Poutine ? Le Président est très populaire : 66% des Russes voteraient pour lui en mars 2018. Le système semble stable : la situation socio- économique s'est redressée ; l'économie affiche même une croissance de plus de 1% ; le potentiel de protestation est faible et les mesures de répression ciblées ont un effet dissuasif suffisant. A la différence de l'Ukraine, aucun oligarque ne dispose d'assez de poids politique ou d'outils médiatiques pour soutenir des protestations. Vladimir Poutine a toutes les chances de se faire réélire en mars 2018 et d'aller jusqu'au bout du quatrième mandat, sauf si lui-même en décide autrement. La constitution actuelle ne lui permet pas de se représenter en 2024 (il aura alors 72 ans) pour un cinquième mandat, mais les options existent. Il peut soit la modifier (comme ce fut déjà le cas avec le changement de durée du mandat présidentiel, passé de quatre à six ans en 2008) ce qui lui permettrait de se représenter, soit rester au coeur du pouvoir à un autre poste, tel Beng Xiaoping en Chine, après remaniement des institutions.

QUI PRENDRA LE RELAIS ?

Aucune passation du pouvoir n'est possible par voie électorale. Les leaders des principaux partis politiques ne sont pas de vrais concurrents : âgés, ils semblent plus préoccupés par la préservation de leurs acquis au sein du système politique actuel que par l'obtention réelle du pouvoir. Les leaders de l'opposition comme Alexeï Navalny - sauf surprise - ont peu de chance d'être admis à participer librement à la course presidentielle. Le scénario d'un successeur désigné par Poutine - qui devrait ensuite être légitimé par la procédure des élections, comme ce fut le cas lors de la passation de pouvoir entre Boris Eltsine et Vladimir Poutine en 2000 - est évoqué comme le plus plausible. Des spéculations vont bon train à Moscou sur la candidature du successeur, mais il se pourrait que ce soit un parfait inconnu du public.

Beaucoup dépendra des conditions dans lesquelles se fera le transfert. Sera-t-il soigneusement préparé ou arrivera-t-il subitement ? En fonction de la situation socio-économique, des menaces comme le terrorisme ou les migrations mal maîtrisées, de révolution de l'Occident dont le modèle pourrait devenir plus attractif ou plus répulsif, les priorités du prochain leader peuvent varier, ainsi que le style et les méthodes. Le choix de la démocratisation et de la renaissance des institutions comme étant les réponses les plus adéquates aux défis internes et géopolitiques est loin d'être évident. Il est probable que - le moment venu - la succession se jouera entre les clans nationalistes, conservateurs et étatistes qui dominent aujourd'hui la scène politique. Les scénarios d'inertie, voire de durcissement du régime sous le successeur de Vladimir Poutine ne sont pas à exclure : ils feront probablement repenserson propre héritage politique.

 


De « Quelle mémoire les Russes ont-ils de l'époque tsariste ?» à « Quel est l'état des relations entre la France et la Russie », Tatiana Kastouéva-Jean qui dirige le Centre Russie/NEI de l'Ifri dresse à travers cent questions un portrait didactique et complet de la Russie de Poutine. La Russie de Poutine en 100 questions, Tatiana Kastouéva-Jean, Ed. Tallandier, 352 pages.

 

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