Publié le 20/10/2017

Marc HECKER

Le Dictionnaire de la guerre et de la paix regroupe plus de 300 entrées rédigées par 200 contributeurs. La dernière entrée de ce dictionnaire, consacrée au "web social", a été écrite par Marc Hecker.

Les expressions "web 2.0" ou "web social" sont fréquemment employées pour désigner Internet. Elles marquent d’une part une évolution technologique et, d’autre part, un changement sociologique. La nouvelle génération d’Internet est plus riche et performante que la précédente. Elle est aussi plus simple d’utilisation. Alors qu’à l’époque du web 1.0, il fallait de bonnes connaissances techniques pour mettre en ligne du contenu, la publication de données de toutes sortes (texte, son, vidéo, etc.) est aujourd’hui à la portée de tous. Cette simplification s’est traduite par une explosion de la production de contenus : au début des années 2000, les blogs ont connu une croissance exponentielle puis une décrue rapide. Depuis le milieu des années 2000, ce sont les réseaux sociaux qui progressent à un rythme spectaculaire. Le plus populaire d’entre eux, Facebook, comptait 50 millions d’utilisateurs en 2007, 350 millions en 2009, 1 milliard en 2012 et 1,5 milliard en 2015. Twitter compte quant à lui plus de 600 millions de comptes pour environ 300 millions d’utilisateurs actifs. L’expansion des réseaux sociaux ne touche pas que les pays occidentaux. En Chine, Sina Weibo revendique autant de membres que son équivalent américain, Twitter. Quant à VK (Vkontakte), le Facebook russe, il totalise plus de 250 millions d’inscrits.

L’expression "web social" englobe les réseaux sociaux mais ne s’y réduit pas. Elle désigne plus largement la tendance observée sur Internet à échanger, partager et commenter tout type de contenu avec des personnes que l’on ne connaît pas nécessairement. Cette tendance a des effets sociologiques : la frontière entre sphères privée et publique tend à se brouiller, la limite entre vies professionnelle et personnelle devient moins claire, la notion d’amitié se transforme, etc. Le web social affecte de nombreux pans de la société et les hiérarchies se trouvent souvent bousculées : sur Internet, les citoyens critiquent ouvertement leurs dirigeants politiques, les consommateurs échangent leurs avis sur les produits, les élèves notent leurs professeurs, les patients évaluent leurs médecins. Les armées, dont la majorité des membres sont des jeunes qui utilisent un ordinateur depuis leur enfance, ne sont pas épargnées par ce phénomène. Par l’intermédiaire des "milblogs" – néologisme utilisé pour désigner les blogs tenus par des militaires –, des forums spécialisés puis des réseaux sociaux, la "grande muette" est devenue bavarde, ce qui n’a pas manqué de susciter des réactions à différents échelons de la hiérarchie.

La décennie au cours de laquelle a émergé le web social a été, dans le domaine militaire et stratégique, celle de la "guerre au milieu des populations". Avec les conflits en Afghanistan et en Irak, les armées occidentales ont redécouvert l’héritage des stratèges de la période coloniale (Gallieni, Lyautey, T.E. Lawrence) et des guerres de décolonisation (Galula, Trinquier, Lacheroy, Kitson). Dans la doctrine américaine de contre-insurrection publiée en 2006 – le Field Manual 3-24 – la nature des opérations est présentée comme du "travail social armé" : les militaires qui font face à l’insurrection ne doivent pas uniquement combattre les insurgés les armes à la main, mais aussi contribuer à persuader la population de soutenir le gouvernement légitime. Cette "conquête des cœurs et des esprits" (winning hearts and minds) implique non seulement d’assurer la sécurité, mais également de contribuer à la reconstruction du pays et à l’amélioration des conditions de vie des habitants.

La double évolution qui vient d’être décrite amène à constater que la période où le web est devenu "social" a coïncidé avec une décennie où la guerre est elle aussi devenue plus "sociale". L'entrée "web social" du Dictionnaire de la guerre et de la paix analyse les conséquences de la convergence de ces deux tendances. Cet ouvrage peut être acheté sur le site des Presses Universitaires de France [1].