Publié le 06/02/2018

Thierry VIRCOULON, interviewé par Pascal Airault pour l'Opinion

Coordinateur de l’Observatoire de l’Afrique des Grands Lacs et de l’Afrique australe, Thierry Vircoulon était en mission en décembre au Zimbabwe pour le compte de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Il décrypte pour l’Opinion les enjeux de la transition post Mugabe.

Quel est l’état d’esprit de la population dans l’ère post Mugabe ?

La joie populaire suscitée par la démission forcée de Robert Mugabe a été de très courte durée. Le nouveau président, Emmerson Mnangagwa, a 75 ans, est issu de la vieille garde du Zanu-PF [le parti au pouvoir]. Il est bien connu des Zimbabwéens qui savent qu’il a été très étroitement associé au long régime de Mugabe. Ils ne se font donc pas d’illusion.

Y a-t-il des demandes de réparation après des décennies marquées par la violence politique et l’intimidation ?

L’histoire post-indépendance a été marquée par plusieurs épisodes de violence politique. Il y a donc plusieurs pans de la société qui voudraient voir les injustices du passé reconnues et réparées. Les victimes du Gukurahundi, la répression anti-ndebele menée par l’armée qui a débuté en 1983 et a fait environ 20 000 morts ; les opposants politiques du MDC victimes de la volonté de Mugabe de rester au pouvoir depuis le début du siècle ; et les fermiers blancs qui ont perdu leurs propriétés sans compensation lors des invasions de fermes. Le nouveau président a promis à ces derniers des indemnisations. Toutefois, il est effrayé par la problématique du Gukurahundi. Ce sujet est bien plus sensible car il s’agit d’une violence des « Noirs sur les Noirs ». Elle peut mettre en cause l’unité nationale, le Zimbabwe étant composé de deux ethnies, les Shona et les Ndebele. Il n’est pas prêt à faire toute la lumière sur cette période très sombre de l’immédiate après-indépendance et à devenir un Krouchtchev zimbabwéen en reconnaissant les crimes du régime précédent. C’est la raison pour laquelle un contre-feu a été allumé avec des demandes sur les réseaux sociaux pour que les Ndebele reconnaissent et indemnisent les Shona pour leur violente installation au Zimbabwe au XIXe siècle. Idéalement, le président voudrait que les victimes puissent s’exprimer devant une commission, puis qu’on tourne la page. L’idée de conséquences pénales est exclue.

L’armée sera-t-elle réformée ?

Aucune chance. A l’époque de Mugabe, l’armée tirait les ficelles. Comme elle a porté le nouveau président à la tête du pays, elle est maintenant au gouvernement. Le chef d’état-major, Constantino Chiwenga, qui a organisé le putsch, a été nommé vice-président et plusieurs ministères (dont l’Agriculture et les Affaires étrangères) reviennent aux militaires.

Emmerson Mnangagwa promet des élections libres et transparentes dans cinq mois. Peut-on lui faire confiance au regard de son passé ?

Oui, elles auront lieu car, en Afrique, les élections font partie du processus de normalisation des putschs. Le président a donc besoin des élections pour légitimer son accession au pouvoir grâce à l’armée et normaliser sa situation politique. Il déclare pour l’instant être prêt à accepter des observateurs internationaux.

Dans quel état est la Zanu-PF après avoir été traversée par des guerres fratricides ?

La Zanu-PF succède à la Zanu-PF en faisant une place à l’armée au sein du gouvernement. Le président a changé mais pas le parti au pouvoir. Et ce n’est pas la première lutte de factions au sein de ce mouvement. Le régime de Mnangagwa est occupé à purger l’administration des membres de la faction Génération 40 (G40, poussée par l’ex première dame Grace Mugabe) et à les remplacer par ses hommes. Mais il ne devrait pas s’acharner sur les pro-Mugabe. Ces derniers seront écartés des cercles du pouvoir sans être jugés car cela pourrait être embarrassant. Les mises au purgatoire pourraient même être temporaires.

Quelles sont les chances de l’opposition, dont le chef de file, Morgan Tsvangirai, est atteint d’un cancer ?

L’opposition zimbabwéenne a derrière elle beaucoup d’occasions manquées. Elle n’a pas été capable de présenter un front et un message unitaires face au putsch et beaucoup estiment au Zimbabwe que Morgan Tsvangirai, le leader du MDC qui a incarné l’Opposition contre Mugabe, devrait passer la main. A 65 ans, il lutte contre un cancer et est très critiqué dans les cercles d’opposition. Conscient de cette situation, il a récemment fait allusion à sa retraite mais son parti risquerait d’imploser une nouvelle fois. A l’instar de beaucoup d’oppositions en Afrique, l’opposition zimbabwéenne ne parvient pas à capitaliser sur le rejet populaire du régime car elle est divisée et manque de leaders charismatiques et d’idées. A moins qu’elle forme une grande coalition pour les élections de cette année, elle les perdra.

Quels seront les défis du pays à l’issue de ces élections ?

Le principal défi du pays est de redresser la situation économique. L’économie tourne au ralenti car il n’y a plus d’investissements internes et externes. Le gouvernement a tout juste assez d’argent pour couvrir le fonctionnement du secteur public et les investisseurs étrangers boudent le pays. Le secteur agricole, qui fournissait une bonne partie des devises en dollars, s’est effondré. Il aurait dû être remplacé par le secteur minier comme fournisseur de devises car, depuis le début du siècle, de nombreuses mines ont été ouvertes. Mais comme la rente minière échappe au Trésor public, l’Etat est pauvre. Ce secteur minier relève d’une économie de pillage au profit de la Chine, de la Russie et d’autres. En quête de ressources fraîches pour relancer la machine économique, le nouveau président affiche un politique de rupture avec celle de Mugabe : remise en cause de l’indigénéisation économique, indemnisation des fermiers, appel aux Zimbabwéens pour rapatrier leur argent à l’étranger… Son message est « now Zimbabwe is open for business », phrase proférée lors d’un discours en décembre.

Les autorités envisagent la création d’un tribunal spécial pour déterminer l’indemnisation des anciens fermiers commerciaux blancs dépouillés de leurs terres depuis 2000…

Le président a indiqué qu’il voulait indemniser les fermiers blancs, ce qui veut aussi dire qu’il ne compte pas revenir sur leur expropriation. L’agriculture a besoin de capitaux et d’expertise pour être relancée, l’indemnisation des fermiers expropriés est un rêve dans l’état financier du pays et n’est aujourd’hui qu’un geste politique pour apaiser le camp anglo-saxon et obtenir la levée des sanctions.

Se dirige-t-on vers une levée des dernières sanctions comme l’embargo sur les armes ?

Très probablement, en tout cas le président a fait référence à la reprise prochaine de relations avec des sociétés britanniques comme pour les Hawks de l’armée de l’air. Londres devrait aussi effacer une grande partie de la dette du pays.

Peut-on s’attendre à la conclusion d’un accord avec le FMI ?

Le nouveau gouvernement s’efforce de convaincre le FMI avec lequel le Zimbabwe a des arriérés de paiement. Il parle le langage qu’aime entendre le Fonds : ouverture aux investisseurs étrangers, réduction de la dépense publique… La question de la reprise d’un soutien du FMI et la question du remboursement des arriérés sont liées mais il va de soi que la décision dépendra beaucoup de ce que penseront Londres et Washington du nouveau régime.

Les promesses de libéralisme économique sont-elles possibles dans un pays gangrené par la corruption et l’interventionnisme étatique ?

Le discours « Zimbabwe is now open for business » n’est évidemment pas suffisant. Les gouvernements et les investisseurs occidentaux ne se contentent pas de paroles, ils attendent des actes. Le moment de vérité va donc arriver très vite. L’année 2018 est la fenêtre d’opportunité du président Mnangagwa : s’il ne joint pas l’acte à la parole et ne change pas la gouvernance économique cette année, il n’aura pas rétabli la confiance avec les bailleurs et les investisseurs. Cela a peu de chance d’arriver : les intérêts de la vieille garde du Zanu-PF dans l’économie sont considérables. Pour donner le change, il sera tenté de lancer cette année une opération anti-corruption cosmétique comme on en a l’habitude en Afrique.

La France regarde la transition avec intérêt et mise sur une reprise de la coopération. Sera-t-elle bien accueillie ?

Oui car elle apparaît comme un pays plus conciliant que le camp des Anglo-Saxons. Comme dans tous les pays d’Afrique, le gouvernement français est surtout intéressé par ses intérêts économiques et les contrats que ses entreprises pourraient signer, quel que soit le régime en place. Dans la perspective de la diplomatie économique, la reprise de la coopération est importante car elle envoie le signal que le pays n’est plus classé officiellement dans la catégorie des « mauvais régimes » et surtout qu’il va de nouveau bénéficier d’appuis financiers des bailleurs traditionnels. Mais cette reprise de la coopération peut prendre plusieurs formes et pas nécessairement celle qui remplisse les coffres vides de l’Etat.

 

Lire l'interview sur le site de l'Opinon [1]