Publié le 28/02/2018

Laurence NARDON, citée par Jacques Hubert-Rodier dans Les Echos

Derrière une présidence apparemment fantasque, Donald Trump poursuit en réalité une série d'objectifs répondant aux aspirations de son électorat. Il impose au fur et à mesure comme une nouvelle normalité la révolution ultra-conservatrice à l'oeuvre aux Etats-Unis.

Donald Trump est-il un président normal ou une anomalie dans l'histoire américaine ? Une sorte d'Hamlet qu'on hésiterait à déclarer fou mais qui suit des objectifs. « Il y a de la méthode dans cette folie », pourrait-on dire comme dans l'aparté de Polonius à propos du prince du Danemark.

Depuis son arrivée à la Maison-Blanche en janvier 2017, le 45e président américain a surtout capté l'attention par ses tweets rageurs ou ses déclarations à l'emporte-pièce contre la Corée du Nord ou l'Iran voire encore sur ses propositions outrancières comme celle d'armer les professeurs dans les classes.

De lui, on retient surtout la chevelure blonde et le visage orange, devenus les emblèmes d'une présidence hors norme, comme le souligne Michael Wolff dans son ouvrage-enquête « Le Feu et la Fureur » (Robert Laffont pour l'édition française).

Conservatisme dur

On en oublierait presque que Donald Trump n'est pas rentré par effraction à la Maison-Blanche. Il est lui-même le symbole d'un mouvement global de la société américaine vers un conservatisme dur. 

  • « Donald Trump n'est pas un coup de tonnerre dans un ciel serein, affirme aux 'Echos' Laurence Nardon, responsable du programme Amérique du Nord à l'Ifri. Le terrain pour son accession au pouvoir a été préparé depuis les années 1980 au sein même du Parti républicain par une montée de l'agressivité politique. »

Depuis janvier 2017, le milliardaire n'a pas dévié de ses idées-force qu'il avait défendues pendant la campagne électorale souligne Elizabeth Saunders, professeur à l'université George-Washington (District de Columbia). « Il est contre le libre-échange, les alliances et il est favorable aux hommes forts à l'étranger », écrit-elle dans la revue « Foreign Affairs ». Sur la nécessité de contenir l'immigration, autre engagement de campagne, il n'a pas varié d'un iota en dépit de ses revers devant la justice américaine ou encore dans le financement d'un mur de séparation d'avec le Mexique.

Avec méthode - voire obsession - Donald Trump s'acharne à déconstruire ce qui avait été réalisé par Barack Obama. La protection médicale mise en place par son prédécesseur en est le meilleur exemple. Le tout au nom d'un mouvement de déréglementation (« deregulation »), qui avait été entamé par le président démocrate Jimmy Carter en 1978 avec la libéralisation du transport aérien, [1] puis accéléré par le républicain Ronald Reagan, mouvement que Donald Trump, selon Laurence Nardon, ne fait qu'amplifier. Il est de ce point de vue l'exact reflet du mouvement de balancier du Parti républicain, entraîné sur sa droite notamment par le Tea Party et l'expression d'une Amérique blanche qui se sent trahie par la mondialisation.

La révolution judiciaire

Les sautes d'humeur du président, à la limite parfois de la clownerie, ne doivent pas faire oublier la « révolution conservatrice » qui s'applique sur tous les terrains, y compris le judiciaire. C'est vraisemblablement avec la nomination de juges fédéraux que Trump laissera une trace dans l'histoire sur des questions aussi importantes que la liberté religieuse, les redécoupages des circonscriptions électorales voire les conflits syndicaux, écrivait à l'automne dernier le  « Christian Science Monitor ». L'arrivée de l'ultra-conservateur Neil Gorsuch à la Cour suprême n'est qu'« une partie émergée de l'iceberg », selon Laurence Nardon.

Ni vision ni idéologie

La plus grande faille que l'on prête aujourd'hui à Donald Trump est sa politique étrangère. Sans développer ni vision ni idéologie mais semblant ne réagir que par pulsions instinctives, il semble guidé par quelques grandes obsessions en diabolisant la Corée du Nord et l'Iran, en disant le tout et son contraire à propos de la Chine ou de la Russie, ou encore en reconnaissant Jérusalem comme capitale d'Israël pour satisfaire l'une des revendications de millions de chrétiens évangéliques américains qui voient dans le retour des juifs en Israël une prophétie biblique.

Mais est-il le premier président à se fourvoyer dans ce domaine ? Après avoir fixé une ligne rouge à Bachar Al Assad sur l'utilisation d'armes chimiques, Barack Obama a finalement fait marche arrière en août 2013 en ouvrant totalement la porte de la Syrie à la Russie. En renversant Saddam Hussein en 2003, George W. Bush, lui, avait fait basculer l'Irak dans le camp de l'Iran et, indirectement, permis l'installation de l'Etat islamique dans ce pays.

Le principe de transgression

Ce qui différencie profondément Trump de ses prédécesseurs c'est l'absence totale d'expérience et de culture politiques avant son arrivée à la Maison-Blanche. Pour flatter une partie de ses électeurs qui continuent à lui accorder leur confiance, il a avant tout affiché sa volonté d'être transgressif. A force de provocations, il a fini par installer - y compris aux yeux de ses détracteurs - une nouvelle normalité. Sur ce terrain, il ne se situe pas très loin des dirigeants populistes polonais ou hongrois qui n'hésitent plus à passer outre nombre de règles minimales des démocraties.

Mais Donald Trump doit se méfier avant tout de lui-même. Richard Nixon a chuté non pas parce qu'il avait reconnu la Chine ou à cause de la guerre du Vietnam, mais parce qu'il n'a jamais su limiter ses accès paranoïaques, faisant espionner ses rivaux ou insultant ses conseillers et ses opposants. Ce qui l'a obligé à démissionner pour éviter l'humiliation d'une destitution.

Lire l'article sur le site des Echos [2]