Publié le 04/04/2018

Barbara KUNZ, citée par Pierre Alonso dans Libération

Exportations d’armes, armement des drones... Paris et Berlin discutent ce jeudi de l’avenir de la défense européenne. Mais depuis que la Grosse Koalition est aux commandes en Allemagne, les positions divergent. L’opération de sauvetage est lancée. Jeudi, la ministre française des armées, Florence Parly, rencontre à Paris son homologue allemande, Ursula von der Leyen. Cette rencontre se déroulera dans un climat un peu différent des six précédentes.

 

La nouveauté vient d’outre-Rhin et se nomme GroKo, l’accord de la Grosse Koalition, qui définit les termes du gouvernement réunissant le bloc conservateur et les socio-démocrates du SPD. Présenté début février, il vient d’être approuvé par les adhérents du SPD. Ce contrat donne des sueurs froides à Paris, surtout à l’hôtel de Brienne, siège de la ministre des Armées. Plusieurs dispositions s’avèrent en effet en contradiction avec les positions de la France et sa conception de l’Europe de la défense. Elles pourraient même freiner les ventes d’armes tous azimuts à l’Arabie Saoudite et aux Emirats arabes unis, auxquelles Paris s’accroche.

« Concernant la défense, l’accord reste relativement vague sur plusieurs points, comme l’augmentation du budget pour atteindre 2 % du PIB [que préconise l’OTAN, ndlr] », constate Barbara Kunz, chercheuse à l’Ifri. Sur les ventes d’armes, le texte se fait plus précis, ajoute Kunz. Sous le titre « Pour une politique restrictive d’exportation d’armement », une dizaine de lignes résument la position allemande. Elle prévoit de restreindre les ventes d’armes aux pays hors UE et hors Otan, ou qui n’ont pas des standards similaires, et surtout de ne plus «autoriser» les exportations vers les Etats « directement impliqués dans la guerre du Yémen ».

Détails

Le pays le plus pauvre de la péninsule Arabique est le théâtre d’une violente guerre civile, à laquelle s’ajoute une opération militaire d’une coalition dirigée par l’Arabie Saoudite. Or Riyad, tout comme Abou Dhabi (également engagé au Yémen), est un gros acheteur d’armes françaises.

L’accord de la GroKo veut aller plus loin en définissant « sur cette base » une « politique européenne commune ». Impensable pour la France, dont l’industrie de défense et, in fine, les armées, dépendent des exportations. « On se battra, au plus haut niveau, pour que la France puisse exporter si on lance des grands programmes d’armement », indiquait, visiblement préoccupé, un membre de l’entourage de Florence Parly en février. L’accord n’était pas encore finalisé. Aujourd’hui, le ministère des Armées joue la sérénité, disant attendre de connaître les détails pratiques : « Cette disposition concernera-t-elle les équipements fabriqués en coopération ? Les équipements français qui comprennent des composants fabriqués en Allemagne ? Des discussions sont en cours, le sujet sera abordé demain. »

Un autre point de l’accord interroge à Paris. Dans la partie intitulée « Pour une Bundeswehr équipée de moyens modernes », l’accord stipule que le Parlement votera pour armer ou non les drones de l’armée allemande. En France, l’exécutif a pris sa décision en septembre, sans demander son avis au Parlement. « Laisser le Bundestag décider revient à peu près à refuser l’armement des drones. Les élus auront bien du mal à vendre ce choix à la population », considère Barbara Kunz.

Responsabilités

Afin de remplacer les appareils achetés outre-Atlantique, et donc de réduire la dépendance à l’égard des Etats-Unis, la France et l’Allemagne ont déjà lancé un projet de drone européen de type Male (moyenne altitude, longue endurance). Paris n’imagine pas qu’il soit cantonné au renseignement. « Ne pas armer les Eurodrones serait un vrai problème, ce ne serait pas bon pour nos capacités », reconnaissait la même source chez Parly, tout en essayant de se rassurer : « C’est un programme emblématique, il est "too big to fail". » Le ministère certifie que ce futur drone peut très bien exister en version « armable et non armable ». Et répète, sur ce point comme sur les exportations d’armement, qu’il s’agit d’un sujet politique, renvoyant les responsables allemands à leurs responsabilités.

Outre sa politique de vente d’armes, c’est la vision française de l’Europe de la défense qui se retrouve fragilisée, alors que l’exécutif en fait une priorité. Son approche, vendue comme pragmatique, repose notamment sur ces coopérations industrielles, qui supposent un relatif alignement des vues, tant sur les débouchés que sur les spécifications techniques. « Que la France et l’Allemagne développent des armes ensemble a du sens, mais comment est-ce possible si les deux ont des attentes complètement différentes quand il s’agira de les exporter ? » interroge Marcel Dirsus, chercheur en sciences politiques à l’université de Kiel en Allemagne. Les deux heures de rencontre entre Parly et Von der Leyen s’annoncent denses.

Lire cet article sur le site de Libération [1].