Publié le 23/05/2018

Tatiana KASTOUEVA-JEAN, citée dans La Croix. Par l'AFP

Emmanuel Macron s'est affiché en ami de Donald Trump, espérant peser sur le président américain, en vain. Avec Vladimir Poutine, il joue sur un autre registre, fastueux et historique, pour faire évoluer une relation compliquée, dont l'acte deux se joue jeudi à Saint-Pétersbourg.

Quelques jours à peine après son élection, en mai 2017, le président français avait sorti le grand jeu pour recevoir le maître du Kremlin, en froid avec les Occidentaux depuis l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014.

Le château de Versailles, la Galerie des Batailles, l'hommage à Pierre Le Grand, le tsar bâtisseur et ouvert sur l'Europe: rien n'avait été laissé au hasard pour flatter Vladimir Poutine et donner un nouveau lustre à la relation franco-russe, à grand renfort de symboles monarchiques.

Par un jeu de miroirs, Vladimir Poutine accueillera son homologue jeudi et vendredi dans l'ancienne capitale impériale et la plus européenne des villes de Russie, Saint-Pétersbourg.

"C'est le match retour après Versailles" où Emmanuel Macron avait voulu prendre la main dans "le rapport de forces avec Poutine", analyse le philosophe et spécialiste de la Russie Michel Eltchaninoff, auteur du livre "Dans la tête de Vladimir Poutine", que le président français a consulté, parmi d'autres experts, avant son déplacement.

"A Versailles, il s'agissait de jouer la majesté, la grandeur et même la profondeur historique face au maître du Kremlin pour l'impressionner et lui montrer que la France n'est pas ce pays oublieux de ses racines que Poutine veut suggérer", décrypte-t-il pour l'AFP.

Un an plus tard, les deux dirigeants vont pouvoir se mesurer à l'aune des désaccords sur la Syrie ou l'Ukraine et de la crise diplomatique provoquée par l'empoisonnement d'un ex-agent russe au Royaume-Uni.

Les yeux dans les yeux

Mais Donald Trump va aussi leur offrir une rare occasion de s'entendre après son retrait tonitruant de l'accord sur le nucléaire iranien, vécu comme un véritable camouflet en Europe.

Le président français peut-il réussir avec Vladimir Poutine là où il semble avoir échoué avec "l'ami" Donald Trump, qui a surjoué la sympathie envers son hôte en avril à Washington pour mieux le contredire ensuite sur l'Iran ?

"Je pense que Macron et Poutine peuvent très bien s'entendre. L'un et l'autre sont très cultivés, aiment l'histoire", considère l'ex-ambassadeur de Russie en France, Alexandre Orlov, qui avait assisté à la rencontre de Versailles en 2017.

"Ce serait tout à fait normal que Macron ait une meilleure relation avec Poutine que Trump, qui sont deux types tout à fait différents. Trump est un homme peu cultivé, violent, brutal", ajoute-t-il sans détours.

Les dirigeants français et russe ne se sont vus que deux fois - à Versailles et au sommet du G20 à Hambourg en juillet 2017 - mais se parlent très régulièrement par téléphone, quels que soient leurs différends.

Emmanuel Macron n'hésite pas à mettre en scène cette relation. Dans une récente vidéo de l'Elysée, il apparaissait appelant "Vladimir" depuis l'Airbus présidentiel. "Je voulais te parler pour faire un petit point" sur l'Iran, peut-on l'entendre dire.

"Mais aucune conversation téléphonique ne remplace le contact physique. Pour qu'une alchimie se crée entre deux dirigeants, il faut qu'ils se voient et se regardent dans les yeux", explique Alexandre Orlov à l'AFP.

Un "oligarque" à l'Elysée

Les deux hommes ne manquent pas de points communs. Ils ont surgi de nulle part sur la scène politique et ils ont le même souci de replacer leur pays au centre du jeu international.

"Ils se ressemblent sur la volonté de rééchanter le rapport aux leaders politiques et de s'inscrire dans une longue durée de leur histoire", note Michel Eltchaninoff.

Mais les sujets de friction sont aussi nombreux entre l'ancien banquier d'affaires et l'ex-agent secret. "Quelqu'un qui vient de la banque, dans l'esprit de Poutine, c'est un oligarque. Cela ne lui inspire pas forcément confiance", relève l'auteur.

A Versailles, Emmanuel Macron n'a pas pris de gants pour dénoncer la campagne de dénigrement dont il avait été victime dans les médias russes avant son élection.

Il s'est forgé depuis une stature d'homme d'Etat mais aux yeux des médias pro-Kremlin, il reste le président d'un pays "vassal" des Etats-Unis, relève Tatiana Koustaéva-Jean à l'Institut français des relations internationales (Ifri).

Une perception qui pourrait évoluer si les Européens se dressent contre Donald Trump dans l'affaire du nucléaire iranien.

"La France est un pays que l’on respecte ici mais seulement si elle montre son indépendance de toutes ses forces", pointe Alexandre Baounov, expert au centre Carnegie à Moscou.

 

Relire l'article sur le site de La Croix [1]