Publié le 31/07/2018

Sophie BOISSEAU du ROCHER, point de vue paru dans Ouest-France

Cela avait l’allure et le goût d’élections et pourtant… ça n’en était pas vraiment. Pas de vraie campagne, des moyens déséquilibrés au profit d’un parti, et surtout pas d’opposition. Pourrait-on qualifier les petits partis dûment sélectionnés par le pouvoir en place, de partis d’opposition quand le seul grand parti, organisé et avec un programme sérieux, n’a pas été autorisé à concourir ?

Que signifie 82 % de participation quand on vous menace si vous n’allez pas voter ? Les grands rassemblements du parti en place étaient des spectacles bien orchestrés, susceptibles d’endormir les moindres velléités politiques.

Alors, maintenant, le chiffre crucial à suivre va être celui des bulletins blancs. Pourquoi ? Parce que le dirigeant de l’opposition, Sam Rainsy - en exil à Paris -, et du Parti du Sauvetage national, interdit en 2017, a demandé à aller voter (il n’était pas possible de ne pas prendre les menaces au sérieux) mais à voter blanc comme signe de contestation, de non cautionnement à cette mascarade démocratique.

Déséquilibres et inégalités pointés par des experts

Question suivante : le parti au pouvoir, le PPC Parti du Peuple Cambodgien, du Premier ministre Hun Sen, en place depuis trente-trois ans (le dirigeant le plus ancien au monde), va-t-il s’arranger avec les résultats ?

Selon certains experts, les signes de mécontentement s’accumulaient ces dernières années. Car, si le pouvoir glosait sur ses bons résultats économiques (près de 7 % de croissance en 2017), des économistes sérieux faisaient valoir les déséquilibres et inégalités croissants, l’absence de base industrielle pérenne, la médiocrité persistante d’un système éducatif et les dégâts (notamment écologiques) d’une croissance qu’on ne peut assimiler à du développement.

La jeunesse (3,5 millions des 15 millions de Cambodgiens ont entre 20 et 30 ans) est favorable à un changement tant l’avenir leur semble précaire dans un contexte d’iniquité, de corruption, d’injustice et de précarité économique. Ces jeunes n’ont jamais connu d’autre Premier ministre qu’Hun Sen et ils ont voté lors du scrutin de 2013 pour l’opposition, qui a obtenu 44,34 % des sièges contre 49 % pour le PPC. Logiquement, le Parti du Sauvetage National du Cambodge avait toutes les chances de l’emporter ; d’où les réactions incisives à son égard.

Vers une dérive post Khmer Rouge

Où va le Cambodge ? Vers une dérive post Khmer Rouge d’où il mettra des générations à se remettre. Car il y a un fil rouge entre le traumatisme Khmer rouge et la situation actuelle, un régime directement issu des rangs Khmers rouges (dont Hun Sen a d’abord été un soldat) et qui a remis en place un système de contrôle et de quadrillage (notamment dans les campagnes où vivent 70 % de la population), un système de peur mentale qui éloigne très loin l’État de droit.

À cela s’ajoute une corruption endémique gérée par la famille Hun. Le risque « héréditaire » est réel avec deux fils qui pourraient bientôt se disputer l’héritage paternel.

Le Cambodge n’a pas fini de souffrir et il le fait avec les apparences du sourire car cela vaut mieux pour survivre. »

 

Voir l'interview sur le site d'Ouest-France [1]