Publié le 24/08/2018

Corentin BRUSTLEIN, cité par Jordan Muzyczka dans La Nouvelle République.

Le 24 août 1968, la France devenait la 5ème puissance nucléaire au monde. 50 ans plus tard, la situation géopolitique actuelle oblige les États à une nouvelle course à l'armement.

En 2009, Barack Obama, alors président des États-Unis en déplacement à Prague, rêvait d'un "monde sans arme nucléaire"; en 2017, son successeur à la Maison-Blanche Donald Trump promet "le feu et la colère" contre le régime nord-coréen. En huit années, le risque d'un embrasement nucléaireest revenu à la surface, alors que la France célèbre ce 24 août 2018 [1], ses tests réussis de la bombe à hydrogène (bombe H) dans le Pacifique, il y a 50 ans.

Le tableau est plus sombre comme le confirme Corentin Brustlein, docteur en sciences politiques et responsable du Centre des études de sécurité au sein de l'Institut français des relations internationales (Ifri): " Les menaces et les zones de crises impliquant des puissances nucléaires sont plus importants qu’à la fin de la guerre froide dans les années 90. La dynamique n'est pas du tout positive".  Le chercheur note des rapports de force qui se tendent dans toutes les régions du monde, avec parfois l'emploi de la force.

La Russie, entre action et communication

C'est le cas d'abord de la Russie. Après avoir rattaché à elle la péninsule ukrainienne de Crimée lors d'un référendum contesté, et alors qu'elle est accusée de fomenter le conflit dans l'est de l'Ukraine, le pays a également envoyé une centaine de missiles de croisière en Syrie, son alliée. "Il y a des indicateurs réels de durcissement de la position russe. Sans que cela ne veuille dire pour autant que la Russie va envahir l’Europe demain", explique Corentin Brustlein. " Mais elle a augmenté l’activité de ses forces stratégiques, elle procède à des tirs de missiles bien plus sophistiqués qu’il y a quelques années".

Ajoutez à cela un Vladimir Poutine qui joue les gros bras, vantant de nouvelles armes « invincibles »dont certains missiles nucléaires seraient capables d’échapper aux boucliers anti-missiles des États-Unis, et tous les relents de Guerre froide sont réunis. Bien que le chercheur à l'Ifri préfère rester prudent: " Il y a toujours une dimension de guerre de l’info, de guerre psychologique. Ce sont des démonstrations de force aussi il ne faut pas l'oublier". 

Si la Russie a pour la première fois abaissé les sommes allouées au budget de son ministère de la Défense en 2018, les autres pays du globe ont eux tous augmenté les dépenses pour d'avantage s'armer en 2017. Même l'Union européenne, réveillée depuis 2015 par les conflits en Ukraine et en Syrie.

Et le nucléaire iranien?

Selon Corentin Brustlein, l'accord signé en 2015 entre l'Iran et la communauté internationale "n’est pas mort" car seul les États-Unis en sont sortis.

  • Les autres pays s’efforcent à rester dans le cadre des protocoles qui ont été signés et les enquêteurs de l’AIEA (l'Agence internationale de l'énergie atomique) continuent d'effectuer des inspections.
  • En revanche, "si l’Iran voit qu’il ne tire plus aucun avantage économique à cause des sanctions et des firmes européennes et américaines qui n’investissent plus", là il peut y avoir un risque.
  • Le régime islamique de Téhéran "ne va pas tenter d’acquérir des armes nucléaires" tempère le spécialiste, car ils "s’exposeraient à l’isolement internationale et à des frappes ciblées contre leurs installations".
  • La stratégie serait alors pour les Iraniens de développer un programme nucléairecivil, avec des centrifugeuses, des usines: ils "joueraient sur les marges, sur les limites légales".

"Nouveau cycle" en France

Un sursaut réenclenché par François Hollande qui est amené à s'accélérer sous le quinquennat d'Emmanuel Macron.  "On amorce aujourd'hui un cycle de renouvellement avec des dépenses en hausse dans la dissuasion nucléaire. A partir du milieu des années 2020, il y aura une montée progressive estimée à six milliard d’euros par an. En comparaison, en 2017, il était de moins de quatre milliards d'euros", explique le docteur en sciences politiques "Mais c'est un cycle habituel".

En clair, le nucléaire à toujours fait consensus chez les chefs d'État français. Au moment du lancement du premier programme militaire nucléaire en 1954, à nos jours, tous les présidents, exception faite de Nicolas Sarkozy, ont participé à renforcer l'arme nucléaire. Outil de dissuasion, "arme de non-emploi utilisée non pas pour des effets militaires mais a des buts géopolitiques" elle permet à la France d'avoir voie au chapitre du l'échiquier mondiale et de préserver son intégrité, chose qu'elle n'avait pas pu au moment de précédents conflits.
De ce fait, ce "nouveau cycle" est le troisième depuis 1954.  Il est définit par la Loi de programmation militaire qui s'étale de 2019 à 2025.  "Elle sert à anticiper des dépenses et à vérifier si l'on aura assez d'argent", explique Corentin Brustlein.

"Depuis une quinzaine d'année, il y a eu un sous-financement chronique du budget de la défense.  Là, cette programmation est très ambitieuse. Même si elle pose des questions sur sa mise en œuvre."  Les postes de dépense seront conditionnés selon plusieurs facteurs comme la croissance ou les directives européennes quant au respect des déficits des comptes publics.

Dans cette enveloppe consacrée à la défense, la dissuasion nucléaire représente environ 10%. Si on regarde quant aux investissements liés par exemple à la recherche, c'est 20%. "Pour qu'un sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) soit opérationnel de 2030 à 2060, il faut débuter sa conception dès 2010", donne comme exemple le chercheur. 

Lire le texte intégral de l'article sur le site La Nouvelle République [2].